« J'ai aidé au déchargement », se souvient Jean-Paul Chessé, 72 ans, de la famille Legatte-Chessé, qui a racheté l'usine en 1938, avant de la vendre à la commune en 2004. (photo dominique jullian)
«C'est la tuile ! » s'exclament depuis

près de 140 ans les habitants de La Grève-sur-Mignon. Mais pas question de constater un événement fâcheux et imprévu pour cette commune du Marais poitevin située près de Courçon. Au contraire. Dans la langue française, le mot « tuile » permet de constater un fâcheux ou un heureux événement.
La tuile - puis la brique - a fait la renommée et la richesse de La Grève-sur-Mignon. Au nord et au sud, la commune dispose de gisements d'argile très pure. En 1872, les Vincent, frères et industriels, fondent une des premières briqueteries de la région. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, l'usine tourne à plein. Les crises économiques, l'exode rural, le progrès technique, la demande qui se tarit, un incendie aussi viennent à bout de l'usine.
Fours monumentaux
Les portes se ferment, le village prend une claque. C'est la tuile ! La mauvaise, celle-là… Reste deux fours industriels monumentaux et une cheminée de 22 mètres, des ateliers et une machine à vapeur, des moules, des tuiles et des briques par milliers. À jamais inutilisées, certaines arborent fièrement, gravées dans leur terre : « Tuilerie mécanique de La Grève, canton de Courçon ».
Hier, en fin de matinée, La Grève-sur-Mignon s'est réjouie à nouveau. Toiture neuve, charpente réhabilitée, cheminée consolidée… La première phase de travaux de réhabilitation vient de s'achever. Le complexe industriel, racheté par la commune en 2004, a retrouvé des couleurs. Et la commune, sa mémoire.
« Pendant la guerre, on venait s'amuser ici avec les filles », glisse un vieux monsieur. « Les jeunes faisaient des boums dans le four désaffecté », rajoute une habitante. Pour la mémoire des chiffres, il faudra repasser et potasser. « Il y a eu jusqu'à combien d'ouvriers ? » demande un curieux dans l'assistance. « 150 ! » lance un septuagénaire. « T'es malade ? 35 au maximum », conteste un camarade du même âge.
Peu importe la véracité des effectifs, qui ont varié selon les époques, la tuilerie fut toujours centrale dans la vie du village, des familles, des habitants.
L'usine libère les souvenirs
Depuis deux ans, « 217 apprentis et leurs formateurs sont passés par le chantier. La grande majorité des jeunes n'avait jamais touché à une charpente ou à de la maçonnerie », se félicite Henri Patois, délégué régional du Chantier école Poitou-Charentes, une structure de formation et d'insertion.
Si loin, si proche, le temps où « c'était de l'esclavage. À l'époque, il fallait beaucoup de main-d'œuvre pour charger et décharger l'argile sur les bateaux », témoigne encore un vieux monsieur.
Quarante-deux ans après sa fermeture, la briqueterie prépare sa renaissance (1). Courant 2012, elle s'ouvrira aussi au public comme pôle de référence sur l'éco-habitat et les nouvelles énergies. À deux siècles de distance, l'usine déchaîne les passions et les vocations, libère les souvenirs et les hommes.
(1) Commune, État, Région Poitou-Charentes, Département de Charente-Maritime, le Pays d'Aunis, la CdC du canton de Courçon, le Parc interrégional du Marais poitevin, des mécènes privés participent à l'aventure de cette réhabilitation.
Source Sud Ouest par Benoît martin