Le secteur du bâtiment qui est, sans aucun doute, l’un des secteurs les plus dynamiques au Sénégal, souffre malheureusement de l’absence d’une vraie industrie de fabrication de matériaux de construction.
La plupart des matériaux qui rentrent dans la construction sont importés et coûtent, de ce fait, excessivement cher. Il est urgent de commencer à développer une vraie industrie de fabrication de matériaux de construction, dans le but de réduire les coûts de construction de nos immeubles.
En dehors des produits isolants dont nous avons parlé dans le chapitre sur la conception bioclimatique, il y a deux produits qui, s’ils étaient développées, pourraient dans un délai très court, avoir un impact très positif sur le secteur de la construction et partant sur notre économie.
Il s’agit des matériaux en terre cuite et des carrelages à base de ciment. La fabrication de ces deux matériaux ne requiert pas une grande technicité et ils ont l’avantage de pouvoir être fabriqués à travers de petites coopératives artisanales ou de petites unités industrielles et donc de créer des milliers d’emplois.
´De la terre cuite dans nos bâtiments´
Les matériaux en terre cuite ont un pouvoir isolant très important et une très forte inertie thermique, ce qui garantit aux bâtiments une bonne protection vis-à-vis des échanges et variations de température.
L’inertie thermique d’un matériau, à ne pas confondre avec son pouvoir isolant, se définit par sa capacité à stocker de la chaleur et à la restituer petit à petit. L’inertie thermique des produits en terre cuite permet d’assurer un confort thermique meilleur que celui des produits à base de ciment, d’où leur développement en Europe avec des produits comme le « Monomur ».
La plupart des constructeurs dans les pays développés proposent des variantes en brique de terre cuite pour la commercialisation des maisons individuelles et compte tenu des avantages offerts par ce produit, un bon nombre d’acquéreurs optent pour ce type de construction.
Dans les pays tempérés, la terre cuite permet d’assurer un bon confort thermique d’été, tout en garantissant l’isolation thermique des constructions, nécessaire en hiver. Au Sénégal, l’utilisation de la terre cuite dans l’enveloppe des bâtiments permettrait de lutter contre le réchauffement des espaces de vie de nos bâtiments et donc de réduire le besoin de climatisation.
Le développement des produits en terre cuite va dans le sens de la recherche d’efficacité énergétique dans nos bâtiments, car la terre cuite est un matériau bon marché et écologique.
Il existait 9 tuileries-briqueteries au Sénégal au début des "indépendances", mais face à la concurrence des matériaux en ciment, il ne reste plus que :
- i. la briqueterie de Pout vendue à la SOCOCIM INDUSTRIES, qui l’exploite depuis sous le nom de CERASEN avec une capacité de production de 12 000 tonnes par année et la tuilerie artisanale de Sebikotane.
- ii. et, très récemment, la SOFAMAC qui a démarré son activité en mars 2015, dans la fabrication de matériaux en terre cuite.
Le sous-sol sénégalais renferme pourtant « un potentiel d’argile important qui ne demande qu’à être exploité ». Nous disposons de plusieurs gisements d’argile de bonne qualité dans la presque totalité des régions du Sénégal (Région de Thiès, Dakar, Saint-Louis, Kaolack, Ziguinchor).
D’autres éléments entrant dans la construction d’un bâtiment peuvent être fabriqués à partir de la terre cuite d’argile. Il s’agit, par exemple, des planchers des immeubles. L’intégration des hourdis en terre cuite dans les dalles des constructions, surtout celles en toitures-terrasses, permet de lutter très efficacement contre les risques de surchauffe des espaces de vie, en augmentant l’inertie et l’isolation thermique.
Leur utilisation comme élément de pavage pour les cheminements et les trottoirs est aussi possible. Les pavés en terre cuite s’intègrent harmonieusement dans le paysage urbain. Il faut, bien évidemment, les combiner avec un système d’assainissement bien pensé.
Leur utilisation comme parement de façade est aussi possible et cela assure au bâtiment une très forte résistance au vieillissement, à la pluie et à la pollution, tout en améliorant l’efficacité énergétique.
Pour toutes ces bonnes raisons, il serait très intéressant de mettre en place une stratégie pour promouvoir l’utilisation de ce matériau. Il en est de même pour les produits de carrelage à base de ciment.
´Des carreaux de ciment pour compenser'
Au Sénégal, les carreaux les plus utilisés sont ceux à base de grès. Ils sont importés de Chine, d’Italie, du Brésil... où ils sont fabriqués dans des unités de production industrielle qui nécessitent de gros investissements. Au final, les consommateurs sénégalais se retrouvent à supporter les coûts de transport et les taxes douanières, rendant le prix d’achat plus élevé alors pourtant, que les carreaux à base ciment sont une variante possible à ces carreaux en grès.
Les carreaux en ciment sont des carreaux dont les principales composantes sont le ciment, le sable et des colorants. Des pays comme le Maroc et la Turquie se sont imposés sur la fabrication de ces carreaux en ciment, qu’ils exportent à travers le monde entier.
L’avantage de ce type de produit est que la fabrication est simple et accessible, sans de gros investissements. Elle se fait de façon traditionnelle et entièrement locale, à travers des briqueteries. Les carreaux en ciment sont nés en Europe et de grands monuments ont été construits avec ce matériau à travers le monde (Les Palais de Saint Pétersburg, le Barcelone de Gaudi). Nous avons la chance d’avoir plusieurs cimenteries au Sénégal et la concurrence qui existe dans ce domaine fait que le ciment est relativement bon marché. Il suffirait donc de s’appuyer sur cette filière déjà mature, pour développer des unités de fabrication artisanale de carreaux en ciment de qualité.
Les carreaux en ciment se déclinent sous plusieurs couleurs, avec des motifs variés. Lorsque je travaillais comme chef de projets pour l’Agence d’Exécution des Travaux d’Intérêt Public (AGETIP) au Sénégal, j’ai été amené à utiliser des carreaux en ciment, dans un des projets qui m’était confié.
En effet, j’ai été en charge de la reconstruction du Théâtre de verdure et de la réhabilitation de la Mairie sur l’Île de Gorée. Comme ces deux bâtiments étaient inscrits au Patrimoine Mondial de l’Unesco, nous étions contraints d’utiliser les mêmes matériaux et les mêmes procédés de construction que ceux des bâtiments d’origine. Puisqu’ils avaient été construits avec des carreaux de ciment, il fallait trouver des fabricants qui développent ce matériau, pour respecter le cahier des charges de la Direction du Patrimoine Historique.
Grâce à ce projet, je me suis rendu compte qu’il existait bel et bien au Sénégal, des entreprises qui s’étaient lancées dans la fabrication de carreaux en ciment mais que, visiblement, elles peinaient à trouver une vraie demande locale, du fait de l’importation massive des carreaux en céramique.
Pourtant, le ciment reste un matériau avec un certain charme, qui revient à la mode, un peu partout dans le monde. La preuve en est que les fabricants industriels de carreaux céramiques s’emploient de plus en plus à fabriquer des carreaux en grès cérames qui imitent les carreaux en ciment.
Le ciment reste d’ailleurs très prisé des décorateurs d’intérieur. Ces carreaux en ciment peuvent, en outre, largement prétendre aux mêmes labels de qualité que les carreaux en céramique (la norme UPEC par exemple qui, sur la base de plusieurs essais en laboratoire, définit la résistance d’un sol à l’Usure, au Poinçonnement, à l’Eau et aux agressions Chimiques).
Il faudrait donc que l’État définisse très rapidement une stratégie de développement pour ces 2 matériaux. Elle pourrait se résumer en 5 points :
- i. créer une norme pour encadrer la qualité des carrelages en ciment et des produits en terre cuite qui seront fabriqués au Sénégal
- ii. imposer leur utilisation sur toutes les constructions publiques.
- iii. imposer leur utilisation dans les futures opérations d’aménagement d’ensembles comme les pôles urbains de Diamniadio et du Lac Rose, en l’intégrant dans les cahiers de charges des assiettes foncières.
- iv. faciliter l’implantation d’unités traditionnelles de fabrication de carreaux de ciment et de matériaux en terre cuite, à travers un fonds d’investissement.
- v. taxer davantage les carrelages en grès cérame importés et prévoir des incitations fiscales pour promouvoir l’utilisation des produits en terre cuite et les carreaux en ciment.
- Des milliers d’emplois pourraient très rapidement être créés avec ces mesures.
'Des matériaux et équipements made in Sénégal'
En parallèle, il faudrait mettre en place un grand fonds d’investissement public pour financer les personnes qui souhaiteraient se lancer dans la fabrication de matériaux de construction (peinture, plomberie, sanitaires, électricité, menuiserie...).
On ne peut pas continuer à dépendre aussi fortement de l’étranger, pour des produits aussi courants que les matériaux de construction. Ce qui est encore plus grave, c’est qu’aucun seuil de qualité n’est exigé des importateurs sur les produits achetés à l’étranger.
De ce fait, on trouve, souvent sur le marché, des produits « bas de gamme » dont la qualité laisse à désirer mais dont le prix reste très élevé. Le cas le plus flagrant reste celui des équipements électriques contrefaits, qui créent des incendies dans les immeubles d’habitation (voir le chapitre sur la sécurité incendie).
En attendant le développement d’une vraie industrie des matériaux de construction et la certification de tous les matériaux de construction, il faudra exiger que les produits importés détiennent au moins la certification de qualité du pays d’origine. Tout cela pour s’assurer que l’on n’importe pas de produits de mauvaise qualité, favorisant la production de logements médiocres.
L’établissement de la liste des produits utilisés dans le bâtiment est facile à faire. Il en est de même pour les certificats de qualité utilisés par pays, sur chaque type de produits. L’idée est de ne permettre l’importation de matériaux de construction que pour des produits ayant des certificats et labels de qualité dans leur pays de fabrication.
Par ailleurs, il faudra moderniser le système de commercialisation et de distribution des matériaux de construction et favoriser la mise en place de surfaces spécialisées dans les matériaux de construction.
La logistique est aussi à revoir, l’idéal étant d’arriver à un système de stockage par palettes pour faciliter le transport avec des transpalettes et les engins de levage. Cela permet de gagner en efficacité, car le transport se retrouve facilité par l’utilisation des engins de levage.
Toutes ces mesures participent à la modernisation du secteur du bâtiment qui, sans aucun doute, en a vraiment besoin.
Extrait "Des solutions pour un habitat durable, moderne et confortable au Sénégal" Édition BOD - Malick NDIAYE - Juin 2016
Source Dakaractu