Vous recevez les cadres de votre groupe à Vienne pour votre événement annuel. Douze mois après une annonce importante pour Wienerberger...
Heimo Scheuch : Effectivement, c’est assez amusant parce qu’il y a un an exactement, dans ce même lieu, les salons de l’Albertina Museum de Vienne, j’ai signé le contrat pour le rachat de Terreal. Les vendeurs, des fonds d’investissement anglo-saxons, étaient là pour les dernières négociations.
Comment se présente la finalisation de cette vente ?
H.S. : Dans les mois qui ont suivi, nous avons mis en place les dispositions nécessaires avec les autorités de la concurrence. Nous avons eu le feu vert très rapidement en Allemagne, le 20 janvier 2023. Nous avons établi un dialogue professionnel avec l'Autorité française, fait de respect mutuel et d'une très bonne connaissance du marché. Tout cela a duré 6 à 7 mois pour aboutir à un accord le 19 juin. Les autres pays, hors UE, nous ont ensuite répondu et nous étions prêts dès septembre. Je rappelle que nous ne rachetons pas l’intégralité du groupe. Les activités autrichiennes, polonaises et hongroises sont reprises par un groupe suisse qui a signé le contrat en octobre. Nous pouvons donc désormais regrouper les activités de Wienerberger et Terreal en France, Creaton et Wienerberger en Allemagne.
En quoi ce rachat peut-il vous ouvrir de nouvelles opportunités ?
H.S : Terreal est un grand acteur des solutions de toitures. Cette acquisition nous permet de mettre un pied solide sur le marché de la rénovation principalement.
Frédéric Didier : L’acquisition est majeure en ce qui concerne « l’intelligence du toit » : avec le solaire bien évidemment, mais aussi l’enveloppe de la toiture avec la gestion de l’eau. Avec Terreal nous pourrons véritablement travailler en France sur nos quatre métiers : structure (briques terre cuite), couverture, façade et le solaire pur. Nous avons deux axes de développement avec Koramic dans le nord du pays et Terreal dans le sud-ouest. Les deux entités sont complémentaires stratégiquement et géographiquement. Sur le solaire, Terreal a de l’avance sur Koramic. Nous allons donc pouvoir accélérer sur ce créneau.
Est-il de nature à accélérer votre développement dans le domaine du solaire ?
F. D. : Pour l'instant, le solaire est modeste dans le chiffre d’affaires de Wienerberger. Nous avons déjà développé un axe sur la partie esthétique : un panneau pour les couvreurs qui posent leurs tuiles et le photovoltaïque en même temps. Cela représente un CA d’un petit million d’euros en France. Avec le rapprochement de Terreal, nous visons plusieurs centaines de millions d’euros à court terme, notamment avec le programme de toits solaires « demain tous solaires » de Terreal.
H. S. : La maison individuelle représente beaucoup d’avantages pour le développement du photovoltaïque. La toiture peut être équipée de panneaux pour la production. Ensuite si vous construisez une maison avec de la terre cuite, c’est idéal pour l’autoconsommation car les murs possèdent les qualités d’isolation nécessaires.
F. D. : Bien sûr qu’il y a les ombrières, les champs de panneaux mais cela n’est pas incompatible avec le développement du solaire individuel. Les deux marchés cohabitent très bien. Sans oublier que nous avons la volonté de développer au sein de notre industrie des champs pour notre propre usage. Plusieurs projets sont d'ailleurs actuellement à l’étude.
H. S. : Je connais bien la France et son énorme potentiel en matière d’énergie qui ne se limite pas au photovoltaïque. Vous avez la géothermie, la mer, le nucléaire... et la stratégie de transition énergétique va donner au tissu industriel l’accès à une électricité bon marché pour rester compétitif - et durable. Par ailleurs, le développement du solaire soulève des questions : comment gérer l'intermittence et, surtout, que faire de la surproduction. Le stockage individuel a un rôle majeur à tenir dans la résolution de cette problématique.
F. D. : Notre idée est claire proposer des systèmes et une gamme de produits pour l’autoconsommation. Si on est en capacité de produire de l’énergie la journée, la stocker et l’utiliser quand on en a besoin, c’est très intéressant. Surtout quand on a pour ambition de déployer le véhicule électrique, comme c'est le cas en France et en Europe.
Une telle ambition suppose-t-elle forcément de nouvelles acquisitions ?
H.S : Aujourd’hui, il faut davantage rechercher des coopérations que des acquisitions. Nous allons approfondir ce sujet en Europe, via des start-up notamment spécialisées dans la gestion énergétique des maisons. Nous fournirions alors aussi les « softwares ».
Sur quels standards de performance environnementale bâtissez-vous votre stratégie ?
H. S : Nous nous inspirons des normes environnementales les plus en avance. Mais au-delà de ça, ce qui nous importe c’est l’amélioration de nos technologies et de notre outil de production. Nous investissons des centaines de millions d’euros dans la réduction de nos consommations énergétiques et dans l’avancée technologique. Nous avons beaucoup de R&D en France. D’ailleurs Terreal nous offre un accès encore plus prononcé à la recherche avec leur centre de R&D à Castelnaudary.
F. D. : Nous investissons dans le process industriel : trouver les meilleures argiles, les moins carbonées, avoir le meilleur séchage, comment récupérer le maximum d’énergie au niveau de la cuisson avec des échangeurs pour pouvoir auto-alimenter le séchoir et/ou le four, des PAC à haute pression pour réduire les consommations énergétiques au niveau du séchage… Tout cela est en cours de recherche et de déploiement et nous pouvons, grâce à la taille de notre groupe, nous appuyer sur des retours d’expérience significatifs : fours électriques en Belgique, bientôt en Autriche, pour de la brique de structure, des tuiles au Royaume-Uni.
L’autre aspect c’est : comment offrir les meilleurs matériaux pour l’enveloppe du bâtiment pour que le consommateur final ait le moins d’énergie à consommer, grâce à la performance thermique de la brique (confort d’hiver et d’été).
« Le potentiel devant nous est énorme »
Un matériau traditionnel tel que la terre cuite offre-t-il de véritables perspectives d'innovation ?
H. S. : Il y a beaucoup de technique derrière nos briques pour la structure, pour la façade ; et nos tuiles. Nous avons beaucoup de choses à développer.
F. D. : Nous avons par exemple lancé en juin notre IsoBric. Une brique de 20 rectifiée et posée rapidement (6,6 briques au m2) avec un R de 2 qui permet de gagner de la surface habitable à performance identique. Quand on connaît la pression qui pèse sur le foncier en Europe et particulièrement en France avec le ZAN, pouvoir construire des bâtiments très performants avec une emprise au sol moindre, c’est capital. Nous travaillons aussi avec l’Eco-brick pour la façade - 30% de moins de matière, même durabilité (joint mince, joint vif ou moucharabieh) ; sur le développement de la brique sur des façades à ossature bois (village des médias des JO). Nous travaillons sur la technologie de production de nos briques et nos plaquettes avec des process électriques (nouvelle technologie, nouveaux flux, nouveaux coloris), sur leur décarbonation et la réduction du CO2 au m². En structure nous intégrons des solutions géosourcées et biosourcées pour l’isolation afin de répondre aux exigences de la RE2020.
H. S : Enfin nous sommes actifs en Allemagne dans la préfabrication des éléments de murs hors-site et sur site avec l’utilisation de robots comme par exemple ce robot australien Hadrian X qui pose les maçonneries.
Quelles sont les autres pistes de développement pour Wienerberger ?
H. S. : Vous ne le savez peut-être pas mais nous sommes leader du marché des tuyaux en plastique pour la gestion de l’eau dans le nord et l’est de l’Europe. Pour un chiffre d’affaire de 1,5 Md €. Et nous prenons une part de plus en plus importante du marché de la conduite de l’électricité, de l’eau et du chauffage, à l’intérieur du bâtiment. Nous ne sommes donc pas uniquement dans la construction du bâtiment mais dans la gestion de son exploitation. Il y a donc beaucoup de pistes de développement pour nous. Nous réalisons un peu plus de 4 Mds € de chiffre d’affaires malgré le déclin des marchés en Europe. Mais notre croissance dans les années à venir ne se démentira pas. Nous faisions 1,5 Md € il y a dix ans. Le potentiel devant nous est énorme. Regardez la France qui, avec l’acquisition de Terreal, fait désormais partie des plus gros marchés de Wienerberger. Je suis foncièrement optimiste car à la fin nous sommes tous pareils. Nous voulons la reconnaissance, une stimulation, une activité. Nous ne sommes pas faits pour ne rien faire.