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20/01/2022

Les carrières françaises s'inquiètent pour leurs ressources

La France tourne le dos à la mine, mais reste une productrice importante de minéraux extraits de ses 200 carrières. L’accès aux gisements pourrait devenir problématique.

Les buttes de sable blond dévalent vers un petit lac aux eaux turquoise. Malgré le crachin breton et les deux pelleteuses affairées à détacher des blocs de roche, la carrière de kaolin de Ploemeur (Morbihan) a un faux air de plage paradisiaque. Le lieu est surtout un trésor pour Imerys, son exploitant, qui extrait chaque année près de 60 000 tonnes de ce minéral blanc, exporté à 90 % vers le Sud de l’Europe et jusqu’en Amérique latine. « Ce gisement est d’une qualité exceptionnelle », confirme ­Sandrine ­Péraud-Dégez, la directrice de l’activité minéraux de performance pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique chez Imerys.

La France a choisi de tourner la page de la mine. Mais elle continue à être une importante productrice de minéraux industriels. « La France a une forte diversité géologique. À part quatre ou cinq minéraux industriels, on y trouve presque tout, avec plusieurs gisements de classe mondiale », confirme Sandra Rimey, la secrétaire générale de l’organisation professionnelle Minéraux industriels France (MI-F). À Glomel, au centre de la Bretagne, Imerys exploite l’un des trois gisements d’andalousite identifiés à l’échelle mondiale, les deux autres se trouvant en Chine et en Afrique du Sud. Un minéral cantonné à des applications de niche pour la fonderie, « mais son empreinte carbone faible le promet à un bel avenir », assure Chris Parr, le directeur du centre R&D du groupe à Lyon. En Ariège, à Luzenac, se trouve aussi le plus grand gisement mondial de talc, exploité par le même Imerys.

Identifier les gisements d’intérêt national

Avec l’accélération des réflexions autour de l’autonomie stratégique, y compris minérale, la pérennité des gisements est surveillée de près. Sur les 200 carrières en exploitation, « un certain nombre voient leurs autorisations expirer d’ici à 2030, d’autres s’amoindrissent », pointe Sébastien Colin, géologue au ­Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). La superposition de différents zonages restreint les ouvertures de nouveaux gisements. S’y ajoutent les oppositions des riverains, de plus en plus fortes.

« Il n’y a pas de pénurie de ressources, mais d’accès aux gisements. Les minéraux industriels ne sont pas aussi faciles à trouver que les granulats », pointe Franck Evanno, le président de MI-F et le directeur général du groupe Fulchiron. Lui n’est toujours pas assuré de pouvoir maintenir l’activité sur une de ses six carrières de sables silicieux à faible teneur en fer en Alsace, dont l’autorisation d’exploitation, expirant à la fin de l’année 2021, reste en attente de renouvellement depuis qu’une espèce de crapaud protégée, le pélobate brun, y a été identifiée.

À moyen terme, le risque est que « sans production locale, les produits suivent la matière première. Il est plus facile de faire voyager un pot de peinture qu’une tonne de carbonate de calcium », s’inquiète Catherine Delfaux, la PDG de Provençale, qui vient d’obtenir gain de cause devant le Conseil d’État pour l’extension de sa carrière de carbonate de calcium de Vingrau (Pyrénées-Orientales), un projet lancé en… 2005.

Pénurie de ciment en Suède

Un exemple extrême : en Suède, le secteur de la construction s’est retrouvé face à une pénurie de ciment après l’annulation du permis de la principale carrière du pays par un tribunal environnemental. Au point de forcer le gouvernement à intervenir en urgence. « Il n’y a pas de risque en France sur le ciment. Mais les vulnérabilités sur les minéraux industriels sont plus difficiles à identifier considérant le grand nombre d’applications et la faible valeur ajoutée qu’ils représentent dans le produit final », reconnaît le ministère de l’Industrie. Les schémas régionaux de carrières, en cours de mise en place dans chaque région, doivent permettre d’identifier les gisements d’intérêt national. En dernier recours, l’article 109 du code minier donne à l’État la possibilité d’instaurer un régime de concessions sur des gisements stratégiques.

En analysant les intrants critiques de l’industrie de la santé, Bercy est ainsi remonté jusqu’à la diatomite utilisée pour la filtration de plasma et l’extraction d’ADN. Ces micro-algues fossilisées, extraites pour l’instant de deux carrières dans le Massif central, pourraient cristalliser les tensions dans un avenir proche. Alors que les réserves de son site s’épuisent, Imerys projette l’ouverture d’une nouvelle carrière sur le seul autre gisement identifié, en dessous de la narse de Nouvialle, dans le Cantal.

Localement, le projet fédère face à lui les oppositions. « On ne veut pas mettre un coup d’arrêt aux carrières. Mais un tel projet n’a pas de sens ici, alors que nous faisons tout pour maintenir un cadre de vie préservé pour attirer de nouveaux habitants », se défend la présidente de Saint-Flour ­communauté, qui réclame le classement du site en arrêté de biotope pour bloquer le projet, arguant des conséquences sur le paysage et sur les ressources en eau. Du côté de Bercy, on pointe « un dossier qui mérite d’avancer, mais il faut donner le temps aux acteurs locaux de trouver les bonnes garanties ».

Un enjeu de communication

Pour améliorer l’acceptabilité, la balle est aussi dans le camp des industriels. « Pendant longtemps, notre credo a été “vivons caché, vivons heureux”. Il faut que nous communiquions mieux », reconnaît Brigitte Pagès, la responsable technico-commerciale de Silmer, la seule entreprise au monde à exploiter les galets de mer, ramassés sur les plages de Cayeux-sur-Mer (Somme). Calcinés à haute température, les galets ultrapurs en silice sont transformés en cristobalite, exportée à 70% pour servir dans les peintures routières et le béton fibré haute performance.

La difficulté d’accès à de nouveaux gisements a toutefois pour vertu de pousser les industriels à économiser leurs ressources. « Nous avons un chantier d’optimisation pour perdre le moins de matière possible et exploiter au mieux les gisements », raconte Catherine Delfaux. À Ploemeur, Imerys a commencé à réexploiter ses anciennes lagunes, qui contiennent encore de faibles quantités de kaolin, grâce à l’amélioration des techniques d’extraction. Le graal, pour le groupe, serait d’obtenir un minéral recyclé. « Concevoir des procédés avec des matières recyclées va prendre un peu de temps », pointe Chris Parr. Ce sera pourtant l’un des relais de la souveraineté de la France.

Les minéraux industriels se cherchent un avenir dans la décarbonation

Des crèmes exfoliantes à base de perlite, une litière pour chat en bentonite, une argile adaptée à l’impression 3D de céramiques… La variété des applications de minéraux industriels sur lesquelles planchent les techniciens du centre R&D d’Imerys à Toulouse ressemble à un inventaire à la Prévert. Dans ses sept laboratoires mondiaux, dont deux en France, le groupe concentre ses efforts sur de nouveaux usages pour ses minéraux dans la transition environnementale. « Nous bougeons notre portefeuille vers les marchés où se trouve la croissance », résume Guillaume Delacroix, le vice-président en charge des minéraux industriels chez ­Imerys, qui vient de doubler ses capacités de production de noir de carbone, utilisé dans les anodes des batteries des véhicules électriques. Depuis 2018, le groupe s’est fixé un prix interne du carbone plus élevé pour ses produits en développement que celui appliqué à ses investissements actuels (80 euros, contre 50 euros la tonne) et a réorganisé ses processus d’innovation.

Diminuer l’empreinte carbone

« La demande des clients est forte pour réduire l’empreinte carbone de leurs produits grâce aux charges minérales », souligne ­Frédéric Jouffret, le directeur du centre de R&D spécialisé dans les minéraux de performance de Toulouse. Dans l’automobile, le talc permet d’alléger les véhicules en renforçant la résistance des plastiques à l’impact. De quoi diminuer l’épaisseur de matière nécessaire et alléger de 6 % le poids des pièces plastiques, qui représente 12 à 15 % du poids d’une voiture. Augmenter la part de silice précipitée incorporée dans un pneu, en substitution du noir de carbone, améliore son empreinte environnementale. « En ajoutant 10% de talc, on peut aussi renforcer la résistance des biopolymères biodégradables », indique Frédéric Jouffret.

Dans son autre site de R&D, à Lyon, spécialisé dans les produits réfractaires et la construction, Imerys travaille à associer des aluminates au ciment pour diminuer le temps de prise du béton. « Cela permet de réduire les liants hydrauliques et de limiter de 30 à 40 % l’empreinte carbone du béton », précise Chris Parr, le directeur du centre de Lyon, qui planche aussi sur des mousses minérales résistantes au feu et des mortiers adaptés à l’impression 3D dans le bâtiment, plus économe en matériaux. Autre enjeu sur lequel les minéraux ont leur carte à jouer : améliorer le taux de recyclage des produits. Imerys a mis au point un carbonate de calcium pour recycler un mélange de polypropylène et polyéthylène afin de fabriquer des emballages industriels avec le nouveau polymère.

Source L'Usine Nouvelle