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02/10/2021

A Sevran, la brique en terre crue fait son retour

A Sevran (Seine-Saint-Denis), une fabrique de blocs à terre compressée, non cuite, est en train d'être achevée.

Un bloc à terre compressée (BTC) ou brique en terre crue (photo d'illustration).

D'ici à la fin du mois d'octobre, les premiers blocs à terre compressée (BTC) sortiront des presses de la future fabrique de briques en terre crue de Sevran (Seine-Saint-Denis). Une première en Île-de-France pour un matériau intemporel existant depuis plus de dix mille ans mais délaissé au cours du XXe siècle. "Comme le bois ou la pierre, la terre crue est indispensable à la mutation écologique du bâtiment, soutient Paul-Emmanuel Loiret, architecte et président de Cycle Terre, société coopérative à la tête du projet auquel sont associés la municipalité et Grand Paris aménagement. Elle nécessite peu de transformations, mobilise donc peu d'énergie et émet peu de CO2, quand le ciment et l'acier représentent plus de 10% des émissions dans le monde."

Une exemplarité environnementale renforcée à Sevran, où la moindre empreinte carbone ­superflue sera traquée. Ainsi une toiture transparente laissera passer les rayons du soleil, permettant d'accumuler l'air chaud avant de le souffler sur la matière première, des terres excavées, afin de la sécher. "Une matière qu'il faut ensuite humidifier avant le départ à la presse, une brumisation que nous réaliserons grâce à la récupération des eaux de pluie", indique Teddy Dusausaye, directeur général de Cycle Terre. La construction de la fabrique est en cours de finition. Elle a coûté 6,3 millions d'euros, financés à hauteur de 4,9 millions par le fonds européen de développement régional (Feder),

Un matériau à la mode

"Notre ambition, c'est d'obtenir une boucle d'économie circulaire le plus locale possible, souligne la cheffe de projet, Silvia Devescovi. En amont, nous recyclerons les terres excavées, jusqu'à 10.000 tonnes par an, des chantiers de l'Est francilien, puis, en aval, nous fournirons en cloisons, enduit et mortier les chantiers dans un rayon de 50 kilomètres." Guère davantage, afin d'éviter des livraisons longue distance par camion.

Si la réussite est au rendez-vous, le démonstrateur de Sevran a vocation à essaimer à travers le Grand Paris. Jusqu'à une trentaine d'unités pourront sortir de terre, afin d'exploiter le filon métropolitain, soit près de 500 millions de tonnes de déblais tous projets confondus d'ici à 2030, dont 45% seraient exploitables. De quoi assurer le renouveau d'un écomatériau tombé dans l'oubli.

Paul-Emmanuel Loiret, militant de longue date, veut croire en "un alignement des planètes" : "Outre l'enjeu environnemental, dit-il, on dispose d'une ressource produite en masse, de sondages ayant permis de mieux connaître les qualités du sol métropolitain, d'un savoir-faire scientifique mûr pour l'exploiter et d'une reconnaissance grandissante." La terre crue est aujourd'hui un matériau à la mode dont se sont saisis de grands noms de l'architecture comme Renzo Piano.

Un usage en intérieur

Reste que les réalisations franciliennes – groupe scolaire à ­Nanterre (Hauts-de-Seine), école à Villepreux (Yvelines), ­Maison du parc naturel régional du ­Gâtinais français (Essonne)… – sont encore rares. La faute d'abord à l'absence de normes et de réglementation. Cycle Terre s'est donc évertuée à faire homologuer son produit phare, le BTC, "afin de rassurer assurances et constructeurs", dixit Teddy Dusausaye, le directeur. L'entreprise a obtenu sa première appréciation technique d'expérimentation en juin.

Autre écueil pour l'émergence d'une véritable filière régionale : le manque de connaissances et d'habitudes des professionnels vis‑à-vis de ce matériau renaissant. "Nous espérons ouvrir un centre de formation à Sevran d'ici un an", prolonge Silvia Devescovi.

Teddy Dusausaye n'hésite toutefois pas à appeler à la prudence, en prônant "non pas des bâtiments 100% en terre crue, plutôt un usage en intérieur". Parce que cette dernière supporte mal le contact direct avec les intempéries. "Mais également parce que ses bénéfices se manifestent plutôt au sein des logements ou des équipements. Son inertie thermique lui permet de capter la fraîcheur la nuit pour la redistribuer en journée, c'est aussi l'un des rares matériaux à réguler l'humidité, en plus d'être un excellent isolant acoustique", précise Paul-Emmanuel Loiret. Une vingtaine de clients se sont d'ores et déjà manifestés.

Source Le JournalDuDimanche parJulien Descalles