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19/09/2015

ALGERIE «La croissance dépendra des investissements privés»

Le vice-président de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord ( MENA) effectue une visite en Algérie depuis dimanche. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Hafez Ghanem insiste sur l’importance des données statistiques. Et dans ce contexte de crise budgétaire, il estime nécessaire pour tout gouvernement faisant face à ce genre de crise de prioriser les investissements publics porteurs de croissance et d’emploi et d’encourager l’investissement privé.

- Votre visite entre dans le cadre du renforcement de la coopération entre l’Algérie et la Banque mondiale. Quels sont, dans ce sens, les axes de travail ?
Pour nous, à la Banque mondiale (BM), l’Algérie est une priorité. C’est un grand pays qui a un potentiel de développement et qui doit jouer un rôle très important dans le développement économique de toute la région. Je suis venu pour transmettre un message très clair : nous voulons accompagner l’Algérie dans son programme de développement économique et nous sommes prêts à tout faire pour la soutenir. Nous sommes très contents du partenariat que nous avons noué avec l’Algérie et nous voulons l’approfondir. Nous travaillons dans plusieurs secteurs en Algérie : la protection sociale, le climat des affaires, l’agriculture, le secteur bancaire, les TIC…
Nous avons en tout 12 programmes d’assistance technique. Il faut préciser que le travail de la BM en Algérie ne concerne que l’assistance technique. Si l’on se penche sur les perspectives, on sait que les deux grands défis qui s’imposent, non seulement pour l’Algérie mais pour tous les pays de la région, sont la protection sociale ou comment s’assurer que les couches les plus vulnérables et les plus pauvres soient protégées. En second lieu, la diversification de l’économie ou comment s’assurer que la croissance est une croissance partagée qui crée de l’emploi et des opportunités.
- Lors de votre visite, il était question d’évoquer deux secteurs, à savoir l’agriculture et les statistiques nationales. Comment évaluez-vous le système statistique algérien ?
Nous avons un programme d’appui à l’Office national des statistiques (ONS). Notre appui se concentre surtout sur les statistiques sur la pauvreté et les enquêtes auprès des ménages. Les statistiques sont, dans n’importe quel pays, très importantes. Si vous avez un objectif de croissance, il faut pouvoir le chiffrer. Un objectif qui n’est pas chiffré est un objectif qui ne sera jamais atteint. Les statistiques jouent un rôle très important dans un contexte économique.
- Votre visite intervient dans un contexte de crise. Comment la BM entrevoit-elle les perspectives d’évolution de la situation en Algérie ?
L’Algérie, comme beaucoup de pays de la région, est affectée par la baisse des prix des produits pétroliers. C’est une crise, certes, mais c’est aussi une opportunité. La situation pousse à chercher le modèle de croissance approprié pour l’Algérie. C’est surtout une opportunité pour mettre en place des réformes et pour la diversification de l’économie.
- La Banque mondiale émet-elle des propositions en ce sens ?
Nous travaillons avec le ministère de l’Industrie sur l’amélioration de l’environnement des affaires, ce que nous appelons «doing business». Nous travaillons sur le cadre macroéconomique des affaires. Mais il n’est pas suffisant de travailler sur le seul cadre macroéconomique. Il faut aussi travailler sur les différentes chaînes de valeur et regarder ce que l’on peut développer.
En Algérie, je peux citer l’exemple de la filière laitière. Nous travaillons avec le ministère de l’Agriculture et celui de l’Industrie sur le développement de cette filière. L’Algérie importe annuellement 2,5 milliards de dollars de produits laitiers. C’est un grand marché et aussi une possibilité de créer de la valeur ajoutée, de l’emploi, des opportunités pour les agriculteurs ainsi que pour les agro-industries.
- Pour faire face à la crise, le gouvernement algérien prépare un projet de budget pour 2016 qui prévoit une baisse des dépenses d’investissement. Quel impact cela risque-t-il d’avoir sur la croissance et l’emploi ?
La réduction des investissements publics est une mesure à laquelle recourent tous les pays qui doivent faire face à la baisse des recettes budgétaires. L’impact de cette réduction dépend de deux choses. Il s’agit, en premier lieu, des projets dont l’exécution devra être différée. Il faut pouvoir prioriser les projets. Les pays qui prennent ce genre de mesure doivent choisir les projets qu’ils continueront d’exécuter et les projets qui seront différés. Comment faire ce choix ? Ce tri est très important et cela risque d’affecter la croissance de l’emploi. Si l’on choisit de maintenir les projets prioritaires porteurs de croissance et d’emploi, on réduit l’impact.
Le deuxième aspect important est celui qui concerne l’investissement privé. La croissance économique, dans la plupart des pays du monde, dépend non pas des investissements publics, mais des investissements privés. Si, en parallèle à la réduction des investissements publics, on met en place un programme pour encourager l’investissement privé, cela affectera de manière positive la croissance et l’emploi. Tout cela pour vous dire qu’on peut réduire les dépenses d’équipement de l’Etat et en même temps maintenir le taux de croissance, et pourquoi pas l’accélérer.
- Le gouvernement semble s’attacher à prioriser les projets liés à la protection sociale. En ce qui concerne les subventions, le projet de budget pour 2016 prévoit une hausse des taxes sur les produits énergétiques, mais on se refuse à revoir les subventions. Qu’en pensez-vous ?
A mon avis, l’Algérie peut bénéficier des expériences d’autres pays en développement, surtout certains grands pays d’Amérique latine, comme le Mexique ou le Brésil, qui sont passés par la même réflexion. Ce sont des pays qui dépendaient des subventions comme mécanisme de protection sociale. Ils sont passés aujourd’hui à un autre mécanisme, celui des transferts en liquide. Au milieu du XXe siècle, nous n’avions pas les moyens techniques et institutionnels pour effectuer des transferts en liquide bien ciblés, surtout dans les pays en développement. La plupart de ces pays, dont l’Algérie, ont mis en place un système de subventions aux prix de certaines matières, pour s’assurer que tout le monde y aura accès.
Ce système a des inconvénients. Le plus gros étant qu’il est porteur d’injustice. Celui qui consomme le plus, donc le plus riche, tire le plus de profit de ces subventions, notamment celles liées aux prix des produits énergétiques. C’est ainsi que le Mexique a mis en place le système Progresa, qui est un système de transfert de liquide aux familles pauvres. Il en est de même au Brésil où l’on a mis en place un système qui s’appelle Bolsa Familia. C’est un programme qui a apporté un soutien direct aux familles les plus nécessiteuses. La réflexion sur la protection sociale et les subventions est une réflexion que beaucoup de pays ont menée. Ce n’est pas juste une question d’équilibre budgétaire, mais une question d’équité sociale.
- Ces solutions alternatives dépendent d’un système d’information statistique performant. Pensez-vous que nous disposons ou parviendrons à mettre en place ce genre de système ?
Bien évidemment. L’Algérie dispose de capacités institutionnelles pour cela. Beaucoup de choses ont été mises en place, c’est juste une question d’affinement.
- C’est aussi une question de temps. Or, en situation de crise, avons-nous encore le temps ?
Vous avez raison de dire que ce sont des choses qui demandent du temps. Il faut savoir aussi qu’on ne peut pas passer d’un système à un autre de manière brutale. On le fait graduellement. La question du temps est liée à un commencement. Il faut prendre des décisions et commencer à faire les choses.
Source El Watan par Roumadi Melissa

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