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21/08/2014

République Démocratique du Congo : " des travaux scolaires... aux travaux forcés dans les briqueteries"

Des directeurs d’écoles de Bukama, ville du sud de la République démocratique du Congo, ont trouvé une méthode peu orthodoxe pour rénover gratuitement leurs écoles : sous couvert de "travaux manuels" ce sont les élèves, parfois très jeunes, qui fabriquent eux même des briques dans les carrières d’argile au lieu d’étudier.
Le travail des enfants est officiellement interdit depuis un arrêté du ministre congolais des Affaires sociales de 2008. Pourtant, à Bukama, une ville d’un peu plus de 40 000 habitants située dans le Katanga, les travaux manuels des élèves ont pris des allures de travaux forcés. Les enfants d’une dizaine d’écoles primaires de la ville se rendent quotidiennement dans des carrières d’argile pour y confectionner des briques. Derance Onimba, Observateur à Bukama, a pris des photos d’enfants travaillant sur un chantier, certains ayant "moins de huit ans" explique-t-il.
Les élèves vont d'abord chercher de l'argile dans des carrières pour les ramener le chantier.
Les pierres sont assemblées pendant les journées d'école par des élèves un peu plus âgés. Certains en produisent "jusqu'à 400 par jour" selon des parents d'élèves.
"Certains enfants travaillent entre six et huit heures par jour"
Derance Onimba habite à Bukama. Il a relayé l’information de ce travail des enfants à Radio Okapi, une des principales radios de la République démocratique du Congo.

Tous les jours de la semaine, dès 7h30 du matin, des enfants se rendent dans les carrières d’argile par groupe de 8 ou 10. Ils mettent ensuite l’argile dans des moules pour confectionner des briques. Pendant ce temps, d’autres vont couper du bois dans le maquis qui va permettre de confectionner ces moules, et d’autres encore transportent les briques jusqu’à l’école. Les enfants se relaient dans chacune de ces taches. Et dans une journée, ils passent parfois plus de temps à travailler que sur les bancs de l’école.
Ceux qui sont considérés comme "les plus robustes" travaillent entre six et huit heures par jour. Mais j’ai déjà constaté que de très petits enfants, de moins de dix ans, pouvaient passer quatre heures à faire ce genre de travaux. Parfois, ils ne sont même pas accompagnés par leurs enseignants qui les laissent travailler seuls. C’est pour ça que j’ai pu prendre ces photos.
Officiellement, on dit aux parents que ces activités rentrent dans le cadre des "travaux manuels quotidiens". [Les travaux manuels, à hauteur d’une heure par jour, sont conseillés par un texte datant de 1954]. Mais depuis deux mois, beaucoup commencent à se plaindre, parce que leurs enfants rentrent très fatigués, avec des problèmes de dos et aux articulations. Beaucoup travaillent au-delà de leurs capacités physiques. J’ai compté qu’un enfant de dix ans fabriquait une centaine de briques par jour, et ceux de seize ans en font jusqu’à 400.
Les enfants les plus jeunes sont réquisitionnés pour porter les briques et les assembler sur des chantiers mis en place par les écoles. Photo de notre Observateur.
"Les parents n’ont aucune solution, car s’ils s’opposent, leurs enfants sont menacés d’être renvoyés"
Kenga Kadi Lufu est inspecteur de la prévoyance sociale pour le ministère du Travail.
Il y a un mois, nous avons organisé des réunions de sensibilisation avec les directeurs d’école pour appeler à ne pas abuser de ces ‘travaux manuels’. Officiellement, chacun s’engage à ne pas utiliser les enfants, mais dès la fin des réunions, le ton change, et les enseignants et directeurs me répondent que "Je ne suis pas leur chef et qu’ils s’en fichent complètement".
Le problème principal, c’est qu’il existe un accord sur le sujet entre un comité de parents d’élèves et les directeurs des écoles de Bukama. Comme la majorité des parents ne voulaient pas financer la rénovation des écoles, ils ont décidé, sans consulter tous les parents, de faire travailler les enfants dans les carrières. Les parents qui ne sont pas d’accord sont coincés : s’ils s’opposent à ces travaux forcés, ils subissent des pressions et leurs enfants sont menacés d’être renvoyés.
Quelques rares écoles ont bien arrêté ces activités, mais elles n’ont plus la capacité d’accueillir les enfants des parents protestataires. Nous avons identifié une dizaine d’établissements à Bukama qui utilisent ces pratiques et environ 1000 élèves sont concernés. Mais il y en a sûrement davantage dans les zones rurales qui échappent à notre contrôle.
Cosmas Mugimba le responsable de l’enseignement de la région, basé à Kamina, à 140 kilomètres de la ville de Bukama, explique que ces "travaux manuels" sont nécessaires à la rénovation des écoles :
Nous vivons dans un contexte de grande pauvreté, et le gouvernement n’a pas encore réalisé l’ampleur des besoins pour rénover les écoles. Les directeurs font tout pour réhabiliter les bâtiments, souvent en très mauvais état, et avaient demandé la participation des parents d’élèves. Mais beaucoup se sont dérobés, et n’ont pas payé ce qui était prévu [3000 francs (environ 5 euros) comprenant les frais d’inscription et de rénovation selon nos informations NDLR]. Il a donc été décidé que ce serait les enfants qui participeraient à la rénovation de leurs écoles.
Je suis disposé à ouvrir une enquête et à évaluer les responsabilités s’il est vrai que des enfants travaillent au-delà de leurs capacités et que cela engendre des conséquences physiques. Les chiffres annoncés [jusqu’à 400 briques par jour pour certains enfants NDLR] sont exagérés à mon sens car aucun parent n’est venu directement se plaindre.

Source France 24

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