D'un côté, André Coisne, gérant de l'Union des briqueteries de Lille. De l'autre, Henri Bernard, à la tête des Briqueteries haubourdinoises. Nous sommes en 1912 et les deux hommes décident de s'associer avec Ducoin et Philippe pour créer Les Briqueteries du Nord (BdN). Chaque année, six à huit millions de briques sortent des trois fours de l'entreprise centenaire. Mais pas seulement.
« On serait moins vaillants si on n'avait que trois briqueteries », lâche Gilles Bernard, président directeur général et arrière-petit-fils d'Henri Bernard. Car la force des Briqueteries du Nord, hormis la qualité des briques, a été la diversification. D'abord, dès 1920, avec des activités de négoce, alors que l'entreprise regroupe pas moins de dix fours à briques à Lomme (au Marais, à la Croix-de-Pierre et au pavé de Pérenchies), à Ronchin, à Lille (au pavé de l'Arbrisseau, à Saint-Maurice et au Faubourg-des-Postes), à Hellemmes, à Croix et à Loos.
En 1929, BdN construit le site de Leers, le dernier, à ce jour, qui fonctionne au charbon. « Depuis l'arrêt - qu'on avait anticipé - de la houillère de Lorraine en 2002, où on se servait, on s'approvisionne en Amérique du Sud. » Le site de Leers consomme mille tonnes de charbon par an. Lomme et Templeuve cuisent quant à eux l'argile au gaz. Ces trois sites constituent aujour-d'hui l'activité brique des BdN : brique pleine, brique perforée, plaquette... À cela s'ajoutent l'extraction d'argile et de sable de remblais, le négoce d'agrégats et de produits de gros oeuvre, l'enfouissement d'inerte et le recyclage de déchets inertes du BTP. Le tout représentait un chiffre d'affaires de 17 millions d'euros en 2011. Avant la modernisation progressive de l'entreprise, dans les années soixante, « le chiffre d'affaires était consommé aux trois quarts par la masse salariale, souligne Gilles Bernard. Les hommes cuiseurs sont passés de l'âge de pierre à l'informatique et du concret à l'abstrait ».
La mécanisation s'est fortement accélérée au début des années 2000, quand l'entreprise a fait appel à des sous-traitants pour l'extraction de l'argile. La cuisson a également été automatisée et l'empilage des briques, dans les wagons qui prennent la direction du four, a lui aussi été robotisé. C'est cette mécanisation que suit, entre autres, Gilles Bernard, depuis son arrivée dans l'entreprise le 1er septembre 1994. D'abord ingénieur de construction navale au Havre, il a ensuite travaillé dans l'industrie chimique avant de reprendre le flambeau des BdN, tenu par son père et son oncle, Marc et Yves. « Je suis venu faire chez les miens ce que je faisais chez les autres », expédie-t-il.
À ses côtés, Xavier d'Albissin, qui représente la quatrième génération de la famille Coisne. Ils dirigent, en binôme, les Briqueteries du Nord, dont le siège social est basé au port de Lille. « En 1912, nous étions au square Jussieu, puis nous avons déménagé rue Anatole-France, avant d'arriver au port de Lille en 1987 pour rejoindre notre négoce de matériaux », raconte Gilles Bernard. Les BdN comptent aujourd'hui cent salariés, répartis sur quatre sites dans la métropole. En cent ans, l'entreprise familiale a vécu la mécanisation, mais aussi la guerre, prouvant alors « qu'il faut payer de sa personne pour défendre son outil de travail ».
« Au début des années quarante, la région est occupée par les Allemands. Et, entre autres, ils occupent la briqueterie de Ronchin. Mon oncle m'a raconté qu'ils démontaient tout pour se faire des tranchées avec les briques. Mon grand-père, Léon, a donc appelé la Kommandantur pour dire : " C'est mon matériel, mon outil de travail, vous n'avez pas le droit de tout détruire." Rien n'y a fait, il a été emprisonné à Loos. Il courait même le risque d'aller en Allemagne. Avec sept enfants à charge... Finalement, il a été libéré au bout de quinze jours et, de retour à la maison, un de ses fils lui a dit qu'il ressemblait à un clochard, ils ne l'ont pas reconnu », rapporte Gilles Bernard, soulignant la « fierté » de son père d'être « l'héritier de cette histoire ».
En 2012, les briqueteries continuent de vivre avec leur temps, au point d'avoir installé, dans la cour de l'usine de Leers, un prototype de brique industrialisée, 100 % naturelle, économique, écologique avec des propriétés isolantes et hydro-régulatrices, permettant de mettre en avant les atouts techniques et environnementaux de la brique crue. Et Gilles Bernard de résumer : « On est passé de livreur de briques à fournisseur de systèmes constructifs normés à performance garantie. » Sans perdre de vue d'autres axes de diversification, notamment dans l'immobilier (la société BdN s'étale sur 150 hectares), car les carrières d'argile ne sont pas inépuisables.
Les Briqueteries du Nord en quelques dates.
1912 Création de l'entreprise par Henri Bernard et André Coisne. Suivront quatre générations.
1920 L'entreprise lance l'activité de négoce, quai de l'Ouest, au port de Lille.
1929 Construction du site de Leers.
1957 Début de la modernisation, qui s'est accélérée au début des années 2000 avec la mécanisation de nombreux procédés.
2012 Centenaire des BdN.
Source La Voix du Nord PAR ANNE-SOPHIE PUJOL
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