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03/01/2010

Entreprises : pourquoi le Maghreb monte en puissance

Sixième opérateur du continent, Maroc Télécom capitalise sur sa stratégie africaine.
Le classement des 500 premières sociétés du continent que vient de publier Jeune Afrique confirme une tendance de fond : les champions de la région contestent de plus en plus le leadership sud-africain. Une performance qui doit être consolidée par l’essor du secteur privé.
Affrontement Nord-Sud. La bagarre s’intensifie avec l’Afrique comme seul terrain de confrontation. Le onzième palmarès annuel de Jeune Afrique sur les 500 premières entreprises du continent, en kiosque depuis le 7 décembre, confirme une tendance de fond : le Maghreb et l’Afrique du Sud se livrent un bras de fer pour s’assurer le leadership économique du continent.
Avec 278 entreprises sur 500 qui évoluent sous le pavillon de la première économie d’Afrique ou d’un des pays du Maghreb, leur domination ne cesse de progresser. Elles n’étaient en effet « que » 260 l’an dernier. Dans l’édition 2010, 155 sociétés appartiennent à la locomotive économique du sud du continent, contre 123 pour le Maghreb : le Maroc (75 entreprises), la Tunisie (26) et l’Algérie (22). Un très bon résultat pour l’Afrique du Nord, qui place 21 entreprises supplémentaires dans le Top 500. Une percée qui est surtout le fait du Maroc, avec 19 nouveaux représentants. Pour les autres pays de la région, la Société nationale industrielle et minière (Snim) opère une remarquable ascension, passant de la 198e à la 140e place, mais demeure l’unique représentant de la Mauritanie dans le classement. Quant aux Libyens, ils sont adeptes, à la manière suisse, du culte du secret.
Malgré un plongeon dans la récession, le pays de Zuma compte toujours 57 compagnies parmi les 100 premières africaines (16 pour le Maghreb). Et les entreprises classées de la pointe australe totalisent 44 % des 567 milliards de dollars de chiffre d’affaires cumulé par les sociétés du Top 500 (51 % l’année écoulée). Contre près d’un tiers pour le Maghreb. Les algériennes représentent 15,5 % du chiffre d’affaires cumulé, pour 9,4 % pour les marocaines et 2,5 % pour les tunisiennes.
Un coup de maître
Toutefois, comme chaque année, Sona­trach brûle la politesse aux MTN, Sasol et autres Eskom. Le puissant groupe public algérien reste la première entreprise africaine. Avec un chiffre d’affaires de 71,4 milliards de dollars, en hausse de 5,5 % (données 2008), il distance ses deux poursuivants, l’angolais Sonangol (26,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires) et le sud-africain Sasol (13,7 milliards). Même fragilisé par la chute des cours du pétrole depuis l’été 2008 – principal paramètre susceptible d’affecter Sonatrach –, le numéro un africain tient bon. « L’objectif est d’atteindre un chiffre d’affaires de 40 milliards de dollars d’ici à la fin de l’année », précisait, fin octobre, Mohamed Meziane, le PDG. Pour rester dans la course, le groupe s’ouvre à l’international, où il veut réaliser 30 % de son chiffre d’affaires en 2015, et s’imagine dans de nouveaux métiers dans son pays (transport aérien, mines, télécommunications…).
La mainmise de l’algérien en tête du classement est complétée par l’impressionnante ascension de son voisin marocain. L’Office chérifien des phosphates (OCP) passe de la 45e à la 6e place. Un coup de maître pour le groupe dirigé par Mustapha Terrab. Il a profité de la flambée des cours du phosphate en 2007 et 2008, qui lui a permis de plus que doubler son chiffre d’affaires l’an passé (7,5 milliards de dollars). L’OCP bat les groupes du sud du continent sur leur propre terrain – le secteur minier –, où il devient le numéro un, talonné par quatre monstres sud-africains : la filiale diamantifère du holding De Beers (6,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires), Anglo Platinum, Impala Platinum et AngloGold Ashanti. Résistera-t-il en 2010 ? Malgré des cours du phosphate en repli, le groupe poursuit son programme d’investissement de 1,9 milliard de dollars sur la plate-forme mondiale, consacrée à la chimie des phosphates, de Jorf Lasfar, au sud de Casablanca.
Dans l’agroalimentaire, c’est le groupe Cevital d’Issad Rebrab qui réussit la bonne opération. Encadré par quatre sud-africains – Sab Miller, Tiger Brands, Pionner Foods Group et Afgri –, le premier groupe privé algérien gagne deux places et devient le numéro un de l’agroalimentaire du continent. Un signe de vitalité pour un groupe qui frôle les 1,8 milliard de dollars de chiffre d’affaires et vise les 2,5 milliards de dollars en 2009. Mené par un infatigable entrepreneur, le groupe d’Issad Rebrab, né dans l’agro­alimentaire en 1998, a un pied dans la distribution automobile et alimentaire et se rêve en acteur dans la pétrochimie, la sidérurgie, la construction automobile ou l’énergie solaire. En 2012, Issad Rebrab imagine son groupe fort de 25 000 salariés et de 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires. À la 69e place du Top 500 cette année, il se hisserait alors parmi les 20 premiers, à la hauteur de Vodacom South Africa…
Créer des dizaines de Cevital
Dans les télécommunications, en revanche, les positions maghrébines sont plus diffuses. L’Afrique du Sud domine avec cinq opérateurs aux sept premières places du secteur. Maroc Télécom gagne toute­fois une place (6e africain) et engrange les bénéfices de son développement au sud du Sahara, à l’image de l’acquisition, en 2009, de la Sotelma au Mali pour 275 millions de dollars. Son concurrent national Méditel, lui, conserve sa position (19e), devancé d’une courte tête par Tunisiana (17e). Le voisin Orascom Telecom Algérie ne gagne qu’une place (9e). Mais le leader national (60 % de parts de marché) risque la dégringolade. La filiale de l’égyptien Orascom Telecom paie au prix fort (des milliers de désabonnements) les fortes tensions entre l’Égypte et l’Algérie. Cela profitera à l’opérateur historique Algérie Télécom (13e) et à Wataniya Telecom Algérie, qui gagne quatre places (21e).
Toutefois, l’essentiel des performances maghrébines est à mettre à l’actif d’entreprises publiques, de sociétés largement contrôlées par les États ou de multinationales. « Il faudrait des dizaines de Cevital pour que le secteur privé prenne le relais du public en Algérie », relève Abderrahmane Mebtoul, professeur d’économie à l’université d’Oran et expert international. Si le Maghreb veut conforter sa position d’unique contrepoids au géant sud-africain, il doit favoriser l’émergence d’entrepreneurs privés aux dents longues. Certains pointent déjà la tête. À eux de transformer leur success story en champion africain.
En Algérie, seul ETRHB, premier groupe privé dans le BTP, piloté par Ali Haddad, en a la trempe. En vingt ans, le jeune patron de 43 ans a bâti un groupe de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires qui emploie 6 000 salariés. Vinci et Alstom, ses partenaires en Algérie, pourront lui servir de point d’appui pour s’exprimer à l’international. Envolée identique sur le marché voisin de l’immobilier, au Maroc, pour Douja Promotion Groupe Addoha. Numéro un du secteur, le groupe fondé par Anas Sefrioui, seconde fortune du pays, qui en détient 61 % des actions, a gagné 22 places dans le Top 500. À 624 millions de dollars en 2008, son chiffre d’affaires bondit de 134 %. Et rien qu’au premier semestre 2009, le chiffre d’affaires libellé en dirhams a progressé de 107 % et le résultat net de près de 72 %. Après avoir bâti son succès dans le logement économique, le groupe se développe dans le très haut de gamme, malgré une conjoncture internationale défavorable. Seule ombre : le scepticisme du marché. L’action Addoha a ainsi dévissé de 140 à 93 dirhams à la Bourse de Casablanca entre le mois de juin et le 8 décembre.
Autre performance marocaine, l’ascension d’Akwa Group, dirigé par Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture et de la Pêche. Le groupe familial se hisse au 5e rang des entreprises du royaume, juste derrière Maroc Télécom ! En 2008, il a enregistré un chiffre d’affaires de 2,5 milliards de dollars. Il est historiquement présent dans la distribution de carburants et de gaz, les lubrifiants automobiles, la franchise, les médias, l’assurance, l’immobilier… Akwa Group détient en outre, aux côtés de Maersk, 10 % du groupement concessionnaire du premier terminal à conteneurs du nouveau port de Tanger Méditerranée.
Côté tunisien, c’est bien entendu Poulina Holding (159e groupe africain) qui se détache. Le groupe d’Abdelwahab Ben Ayed, son fondateur, a réalisé un chiffre d’affaires de 763 millions de dollars en 2009 pour 51 millions de bénéfice net. Depuis un an et demi, Poulina est le seul grand groupe privé tunisien coté en Bourse. Une opération dont il a retiré 55 millions d’euros pour sa croissance dans la région mais aussi un prestige international. Si le groupe réalise toujours près de la moitié de son activité dans l’aviculture, il s’est diversifié en quarante ans au point de former l’un de ces vastes conglomérats appréciés des entrepreneurs familiaux. Poulina est actif dans l’agroalimentaire, l’industrie, la céramique, l’emballage et même l’immobilier. Outre la Tunisie, il opère en Libye, en Algérie et au Maroc. Les fondateurs contrôlent toujours la majorité du capital. Mais, à 70 ans, Abdelwahab Ben Ayed s’est choisi un successeur en la personne de Karim Ammar. Pour la communauté des affaires, ce fut un signe supplémentaire – après l’introduction en Bourse – du modernisme de Poulina.
Une étape que n’a pas encore franchie le Groupe Elloumi, leader tunisien dans l’industrie des câbles (notamment pour l’automobile), qui annonce détenir 25 % du marché Euromed. Avec Coficab et Cofat, l’activité dépasse les 400 millions de dollars de chiffre d’affaires. Fondé par Taoufik Elloumi et dirigé par ses enfants (Hichem, Faouzi et Selma), le groupe a choisi très tôt de se développer à l’international. En 1993, il a créé des filiales au Portugal, au Maroc, en Roumanie, en Égypte, et affiche des ambitions en Amérique ou en Asie. Le groupe, qui emploierait 7 000 personnes pour un chiffre d’affaires consolidé frôlant les 700 millions de dollars, subit de plein fouet la crise automobile et serait tenté d’imiter la plupart des groupes familiaux tunisiens en empruntant la voie de l’opportunisme stratégique. Le groupe Elloumi, actif dans l’agro­alimentaire avec Stifen depuis quinze ans, a été candidat à la reprise d’une banque et d’une chaîne de magasins…
Moins nombreux aux avant-postes du Top 500, les groupes tunisiens ont toutefois l’avantage d’avoir la fibre inter­nationale bien plus développée que les marocains et, surtout, que les algériens. Un sacré atout dans une économie mondialisée. « L’Algérie, le Maroc et la Tunisie ne pourront pas créer seuls de grands groupes, il faudra qu’ils privilégient l’intégration régionale », conclut Abderrahmane Mebtoul.
Source Jeune Afrique par Alexandre Dupeyron

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