Vous êtes l'un des co-auteurs du Manifeste de la frugalité heureuse et créative, lancé en janvier 2018. En quoi consiste le concept d'architecture frugale ?
Philippe Madec : Avec Dominique Gauzin-Müller, architecte et auteure, et Alain Bornarel, ingénieur, nous avons lancé ce manifeste en janvier 2018 car on se disait qu'il était utile de rassembler les acteurs engagés dans l'écoresponsabilité dans le bâtiment. Aujourd'hui, on a dépassé avec succès les 15 000 signataires de notre Manifeste pour une frugalité heureuse et créative dans l'architecture et l'aménagement des territoires urbains et ruraux. Ce qui était un manifeste est devenu un mouvement international ; il y a les actions locales portées par des acteurs de terrain, et celles de certains groupes qui sont plus généraux sur la question des territoires frugaux, de la maîtrise d'ouvrage et de la cartographie des ressources naturelles.
La frugalité, ce n'est pas la sobriété. La frugalité essaie d'établir une relation sereine, juste avec la terre ; et elle n'est pas dans une injonction de décroissance d'usage, ce que la sobriété impose. Comme nous sommes des acteurs de terrain, nous avons une vision assez pragmatique de notre utilité. Nous voyons bien à quel point aujourd'hui, quand il y a des choix à faire au moment de passer des marchés avec des entreprises pour des travaux de réhabilitation ou dans le neuf, combien les matériaux biosourcés coûtent encore plus que les matériaux habituels. Alors qu'ils sont polluants, destructeurs de la planète, ils sont moins chers, parce qu'industrialisés et produits en grand nombre. Afin de promouvoir les matériaux biosourcés, géosourcés, qui sont d'origine naturelle et peu transformés, et ceux relevant du réemploi dans la construction et la rénovation, la fiscalité s'est imposée à nous. En janvier dernier, l'association La Frugalité heureuse et créative a donc mis en ligne une pétition demandant de réduire la TVA sur ces matériaux de construction vertueux. Elle recueille désormais près de 11 000 signatures.
Pourquoi passer par le levier fiscal ?
PM : La baisse de leur coût est décisive pour en massifier l'emploi, sans attendre une éventuelle taxe carbone. Nous demandons une baisse de la TVA sur les achats, ventes et mises en œuvre des matériaux biosourcés, géosourcés et de réemploi qui passerait ainsi de 10 % à 2,1 % pour tous types de travaux en réhabilitation. Le taux de 2,1 % est déjà appliqué dans les départements et territoires d'outre-mer. On considère que ces matériaux sains et décarbonés sont des matériaux de première nécessité.
Ces matériaux sains et décarbonés sont des matériaux de première nécessité.
Le grand enjeu est la réhabilitation de tout ce qui a été construit dans la seconde partie du XXe siècle, de mener des rénovations globales. Réduire leurs coûts aiderait à développer les filières industrielles. Nous demandons également de passer de 20 % à 5,5 % pour tous types de travaux en construction neuve.
Pourtant la réglementation environnementale des bâtiments neufs RE 2020, appliquée depuis 2022, encourage déjà l'usage de matériaux décarbonés avec le recours par exemple au bois ou à la brique.
PM : Ce n'est pas la réalité du terrain et la RE 2020 n'a pas été le « boosteur » qu'on a ressenti, et elle est arrivée au moment où le coût des matériaux a flambé. On a vu sur nos chantiers tous les prix monter, y compris ceux des matériaux biosourcés et géosourcés, à l'instar du béton et de l'acier. On a besoin de marquer vraiment des différences et de faire en sorte que la fiscalité montre clairement l'engagement envers une construction décarbonée. Or, le gouvernement distribue des milliards aux sites les plus pollueurs de France pour les dépolluer et sur les cinquante sites en question, plus de vingt-cinq sont des cimenteries qui ont tout à fait les moyens de mener leur dépollution. Il faudrait en revanche réorienter ces milliards pour aider l'économie biosourcée, géosourcée et de réemploi. Est-ce qu'on continue à ne mettre en œuvre, dans le neuf et la rénovation qui est le plus gros du marché, que des matériaux qui viennent de la pétrochimie, comme les isolants en laine de roche ou en polystyrène ? Ou est-ce qu'on fait en sorte, comme le souhaite le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, que l'on fasse appel à une industrie décarbonée et locale ? Les organisations représentatives des filières biosourcées, bois, géosourcées soutiennent notre démarche et ont signé notre pétition.
Quelles suites en attendez-vous ?
PM : Pour l'instant, nous sommes en train de créer un groupe de travail sur la TVA appliquée au bâtiment. Puis nous remettrons, le mois prochain, au cabinet du ministre du Logement, Olivier Klein, et celui de Bercy les milliers de signatures de soutien collectées. Nous espérons qu'ils répondront à notre appel pour massifier ces solutions constructives par nature bas carbone.
Source Actu Environnement par Rachida Boughriet, journaliste