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28/01/2007

La ruée vers le ciment indien



Les grands producteurs occidentaux accélèrent le mouvement vers le deuxième marché mondial, multipliant prises de participations et investissements. De près ou de loin, ils contrôlent aujourd'hui un quart de la production du pays.
Le long des grands axes embouteillés de Bombay ou de Calcut-ta, les panneaux publicitaires de Lafarge et de ses concurrents rivalisent avec ceux des réseaux de téléphonie mobile. Dans un pays où la consommation de ciment par habitant est l'une des plus faibles du monde, c'est donc au public le plus large que les producteurs s'adressent. Avec la volonté de prendre leur part d'une croissance record : d'ici à 2010, la consommation de ciment en Inde devrait passer de 150 à 200 millions de tonnes par an. Du coup, à l'unique exception de Cemex, le numé- ro 2 mondial, tous les grands cimentiers se précipitent en Inde. Holcim, Lafarge, Heidelberg et Italcementi... y sont déjà. Même un « petit » produc- teur comme le français Vicat - sa capacité de production est de 21 millions de tonnes par an -, cherche à prendre une participation dans un cimentier indien de 3 millions de tonnes par an.
Un potentiel énorme...
L'acquisition totale ou partielle d'une entreprise locale est la voie privilégiée par les Occidentaux qui veulent se développer en Inde. En juillet dernier encore, l'allemand Heidelberg annonçait une prise de participation majoritaire dans Mysore Cement, un petit producteur (2,5 millions de tonnes par an) sur les marchés du sud et du centre de l'Inde.
Aujourd'hui, le développement interne suit ce premier mouvement d'acquisition. En novembre, Bruno Lafont, le directeur général de La-farge, est venu poser lui-même la première pierre d'une extension de l'usine de Sonadih, dans l'est du pays (Etat de Chhattisgarh). Le cimentier français avait acheté le site au groupe Tata en 1999. Lafarge prévoit, par ailleurs, de construire pour 2010 une nouvelle cimenterie dans le nord, dans l'Etat de Himachal Pradesh. Au total, sa capacité en Inde va doubler, de 5,5 à 11 millions de tonnes par an. Quant à Italcementi, dont les activités internationales sont gérées par sa filiale Ciments Français, il doit lui aussi doubler la capacité de son usine de l'Etat de l'Andhra Pradesh (Inde du Sud), qui passera de 2 à 4 millions de tonnes par an d'ici à deux ans.
Cet engouement s'explique : l'Inde affiche le deuxième plus fort taux de croissance mondiale (8 à 9 %) après la Chine. Et sa consommation de ciment, + 8 % par an depuis dix ans, devrait croître de 10 % par an jusqu'en 2010. Un marché encore émergent dans un pays où une immense population sans abri vit toujours dans les grandes agglomérations, et où la construction d'une maison individuelle en « dur » est souvent l'objectif de toute une vie dans la classe moyenne. Le boom de la construction évoque, en décalage, celui connu par la Chine - la référence constante des acteurs de l'économie indienne. Y compris en termes de potentiel : si ce marché est aussi prometteur, c'est parce que la consommation de ciment par habitant y est très faible, 122 kilos, contre 660 kilos en Chine !
L'autre caractéristique de ce marché est d'être encore peu consolidé. En dehors du leader indien Grasim-Ultratech (30 millions de tonnes) et de poids moyens comme ACC (18 millions de tonnes), GACL (12,5 millions de tonnes) - dans lesquels Holcim a pris des parts minoritaires - ou India Cements (9 millions de tonnes), plusieurs dizaines d'acteurs régionaux produisent de 1 à 5 millions de tonnes par an.
Dans un contexte de forte demande, cet environnement très concurrentiel n'a pas empêché les prix de vente de monter. « Sur un an, le prix moyen "départ d'usine" est passé de 25 à 35 euros la tonne », indique Yves-René Nanot, le P-DG de Ciments Français, qui souligne que l'Inde contribue positivement au résultat du groupe. « En 2006, la hausse des prix a été supérieure à celle des coûts », confirme Martin Kriegner, le président régional de Lafarge en Asie.
Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que les cimentiers indiens entendent profiter eux-mêmes du boom du secteur... et ne soient pas pressés de se transformer en filiale de géants mondiaux. Du reste, pour entrer sur ce marché par acquisition, il faut y mettre le prix : des entreprises, qui valaient il y a quelques années 60 dollars la tonne de capacité de production, se négocient aujourd'hui à près de 200 dollars la tonne !
... mais le marché n'est pas encore stabilisé
« Les acquisitions sont trop chères, et c'est pourquoi nous choisissons de nous développer en investissant dans de nouvelles capacités », indiquait Bruno Lafont, de Lafarge, lors du lancement de l'extension de l'usine de Sonadih. Le groupe français pense réaliser son augmentation de capacité pour un investissement limité à 90 dollars la tonne. Une maîtrise qui repose en partie sur son expérience en Chine, où il a déjà construit des usines à faible coût afin de s'adapter aux conditions locales. Le cimentier a même créé une « relation forte » avec un producteur chinois... qui fournira une partie des équipements de la nouvelle ligne de fabrication de l'usine indienne de Sonadih.
L'adaptation aux conditions locales se décline aussi sur le plan marketing. En Inde, Lafarge s'est focalisé sur le segment des particuliers qui font construire leur maison (70 % du marché dans l'est du pays). Avec une stratégie commerciale digne d'un produit grand public : publicité massive, mise en valeur de la marque... Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le responsable marketing de Lafarge India vient de chez Philips...
Mais sur un marché qui n'en est qu'à ses prémisses, rien n'est stabilisé. Ni l'organisation du secteur qui, comme dans tous les pays émergents, évoluera de la vente en sacs (quasiment 100 % des débouchés aujourd'hui) vers la vente de ciment en vrac pour le béton prêt à l'emploi. Ni les prix. « Etant donné les nombreuses extensions de capacité annoncées, nous nous attendons à un retournement de tendance pour 2008 ou 2009 », signale Yves-René Nanot.
Si des incertitudes demeurent, c'est qu'il y a « des places à prendre ». Les perspectives restent favorables, puisque le secteur du B-TP, soutenu par un important programme de constructions d'infrastructures, connaît une croissance de 15 % par an. Outre ses projets cimentiers, Lafarge projette de construire au Rajasthan sa première unité indienne de production de plâtre. .