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27/01/2023

Manifestation du 19 Janvier: Saint-Nazaire un patron et ses salariés côte à côte

« Nous avons tous commencé à 17 ans, nous sommes sur les toits, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente. Qu’il fasse chaud l’été ou froid l’hiver. Cela mérite d’être pris en compte. » 

Dans ce bassin ouvrier, un chef d’entreprise a mis en pause ses chantiers pour participer à la manifestation et faire grève avec ses employés.

Sont-ils 13 000, 15 000 ? Personne n’arrive vraiment à comptabiliser le nombre de manifestants ce jeudi matin, à Saint-Nazaire, ni à se souvenir de pareille masse. « Que ce soit le nombre, la diversité des professions, des âges, quand même: ça a de la gueule ! Et ce n’est que la première journée », s’esclaffe fièrement Mathieu Pineau de la FNME-CGT. Place de l’Amérique-Latine, il aura fallu plus d’une heure après le départ du cortège pour que l’étau se desserre et que la foule encore massée puisse enfin défiler.

Au milieu de cette marée humaine, Éric Pineau, pour sa première manifestation et sa première grève, a rejoint son frère, mais aussi son père, ancien syndiqué à la CGT dans une entreprise sous-traitante des Chantiers, parti à 50 ans parce que malade de l’amiante. Éric, patron d’une petite entreprise de dix salariés, symbolise à lui seul cette mobilisation, qui a parlé à l’ « ensemble des travailleurs qui se lèvent tôt le matin ». Il a délaissé ses chantiers et invité ses salariés à faire grève. Hors de question pour lui et « ses gars » de travailler deux ans de plus. « Nous avons tous commencé à 17 ans, nous sommes sur les toits, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente. Qu’il fasse chaud l’été ou froid l’hiver. Cela mérite d’être pris en compte. »

«  au-delà de 60 ans, c’est impossible  »

Ses clients devront attendre. Éric est prêt à enchaîner les journées comme celle-ci. Ses salariés, qu’ils décident ou non de faire grève, seront payés, assure-t-il. C’est le cas de Rodolphe qui, depuis treize ans, crapahute sur les toits à ses côtés et bat également le pavé. Tous deux sont déterminés à faire barrage à cette réforme des retraites qu’ils considèrent comme totalement injuste. D’autant qu’ayant commencé à travailler très tôt, ils devraient cotiser plus longtemps que les autres: 44 années contre 43 pour tous les autres, rappelle Rodolphe. Il n’oublie pas non plus le trimestre de cotisations qu’il perd, sa première année d’apprentissage n’entrant pas dans le calcul de sa future pension. À 44 ans, il ne s’imagine pas tiré sur son corps dix-huit ou vingt années de plus, lui qui ressent déjà les douleurs dans le dos, mais aussi aux genoux. Idem pour son patron du même âge.

Dès qu’il le peut, Éric essaie d’améliorer les conditions de travail de son équipe. « Chaque bénéfice est réinvesti soit dans les hommes, soit dans les machines », affirme-t-il. Un nouvel atelier « plus confortable est en construction » et de nouveaux outils de levage sont venus soutenir les ouvriers dans leur travail. « Même si on met des choses en place pour moins forcer, on force quand même », confie Éric. «Hier, témoigne de son côté Rodolphe, nous avons mis en place à deux une baie vitrée de 100 kg. Nous ne pouvons pas faire autrement pour la poser. C’est ça, la réalité du métier. » Son collègue de 60 ans est en arrêt maladie. Pourtant, il ne monte plus sur les toits, son poste a été aménagé. Une preuve supplémentaire qui montre qu’ « au-delà de 60 ans, c’est impossible ».

Depuis son embauche dans l’entreprise d’Éric, le salaire de Rodolphe a réellement progressé, ce qui compte pour sa future retraite. Lorsqu’il le compare avec ses anciens collègues de la Navale, la différence est criante : 2 500 euros net sans compter les primes, contre moins de 2 000 euros par mois pour les autres. Une dynamique qui pourrait toutefois être cassée. Même si l’entreprise évolue dans une région attractive avec une clientèle aisée et est en bonne santé, la crise du Covid l’a contrainte à « taper dans la trésorerie ». La flambée des tarifs de l’énergie et le « yoyo » des prix des matières premières compriment ses marges. Les aides gouvernementales? Éric n’en voit pas la couleur. « C’est toujours ceux qui se lèvent le matin qui paient », conclut l’entrepreneur.

Source L'Humanité par Clotilde Mathieu