Réemployer des matériaux de construction fait aujourd'hui son chemin. Mais le prix de cette pratique est-il vraiment compétitif par rapport aux matériaux neufs ? L'ifpeb s'est penché sur la question et met en avant l'intérêt en matière d'impact carbone.
Le signal prix suffit-il pour inciter au réemploi de matériaux de construction ?
© HildaWegesLe réemploi en France représenterait moins de 1 % du gisement des déchets du bâtiment.
Le réemploi concerne toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets, sont utilisés à nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils ont été conçus. Aujourd'hui, le réemploi en France représenterait moins de 1 % du gisement des déchets du bâtiment, selon les derniers chiffres communiqués par l'Agence de la transition écologique (Ademe).
Pourtant, la réglementation place le réemploi comme une priorité dans la prévention des déchets. La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (loi Agec) acte quatre dispositions dont la création d'une filière à responsabilité élargie du producteur pour les déchets du bâtiment (REP PMCB), dont le cahier des charges des éco-organismes prévoit d'atteindre 4 % de matériaux réemployés en 2027 et 5 % en 2028. S'ajoutent un diagnostic déchets avant démolition et réhabilitation, intégrant la dimension réemploi (diagnostic PEMD), ou encore la mise en place d'objectifs de réemploi dans les achats des collectivités. Sans oublier la sortie du statut de déchets pour les matériaux à destination du réemploi.
En vigueur depuis 2022, la réglementation environnementale RE 2020 encourage aussi l'utilisation de matériaux et produits de réemploi ou de réutilisation dans les bâtiments neufs, car ils participent à la réduction de l'empreinte carbone des projets. Un matériau réemployé « est par essence vertueux », déclare Christophe Rodriguez, directeur général de l'Institut français pour la performance du bâtiment (Ifpeb). « Quand on fait du réemploi, on évite l'achat d'un matériau neuf qui lui est lié à une écotaxe qui peut être modulée, ou pas. » Pour autant, il reste encore à sensibiliser les acteurs du bâtiment à passer l'action et à leur prouver l'intérêt du réemploi sur le plan technique et financier. C'est l'objet de l'étude que l'Ifpeb (1) a menée avec Cycle Up, A4MT (Booster du réemploi) et Alliance Économie. Le 9 janvier, ils en ont présenté les premiers enseignements pour comprendre l'équation économique du réemploi des matériaux de construction et accélérer la pratique.
Comprendre les différences de prix entre neuf et réemploi
“ La motivation première [pour le réemploi] est souvent de limiter l'impact carbone des flux ”
Christophe Rodriguez, Ifpeb
Les partenaires ont ainsi analysé les différences de prix entre des matériaux neufs et réemployés, en distinguant les flux directs (où le repreneur est identifié avant la dépose du matériau) et indirects (matériau acheté auprès d'un fournisseur, d'une plateforme ou d'un opérateur du reconditionnement) et en analysant les coûts poste par poste. Ils se sont aussi intéressés aux coûts de garantie équivalent à ceux du matériau neuf, et ils ont estimé les coûts en euros par unité fonctionnelle, selon les flux.
Les 21 familles de matériaux retenues (2) ont été sélectionnées parmi les 29 propices au réemploi désignées par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) en juillet 2022, en éliminant certains flux déjà structurés ou ceux disposant de trop peu de données. Pour chacun des 21 flux étudiés, ont été identifiés un à trois niveaux de gammes en neuf (bas, milieu et haut de gamme). C'est-à-dire une à trois familles de prix pratiqués sur des projets de construction classiques pour des prestations à destination comparable et entraînant un coût de réemploi équivalent.
Des coûts équivalents en moyenne
Décomposition du coût du réemploi direct et indirect vs neuf en fonction des niveau de gammes.
Résultats : sur les 21 flux analysés, le réemploi coûte en moyenne « le même prix » que le neuf. Les partenaires de l'étude relèvent toutefois un coût moins cher de 5 %, « si on considère du réemploi pratiqué sur les 21 familles de matériaux en substitution de matériaux bas de gamme ou moyen de gamme ».
Le coût de reconditionnement (préparation, et requalification) pèse 40 % du coût du réemploi, ce qui n'est pas négligeable. Or, s'agissant des radiateurs étudiés, un des exemples étudiés, « il y a beaucoup de coûts de requalification, si on veut les réutiliser. Très vite, ils peuvent coûter chers par rapport à des radiateurs neufs », note Christophe Rodriguez. Idem pour la charpente à ossature bois, même si elle a des bénéfices bas carbone importants, sa requalification est aussi coûteuse par rapport au matériau neuf de milieu de gamme par exemple, soit 47 % plus cher en réemploi.
En revanche, quand il s'agit de matériaux bas de gamme, l'étude recense des flux pour lesquels le réemploi reste bien moins cher que le neuf, comme les lavabos (-30 %) ou les réglettes (-59 %).
Ainsi, pour maîtriser l'équation économique du réemploi, se pose donc la question du niveau de gamme du matériau neuf substitué. Il s'agit aussi de cibler des flux dits « faciles », c'est-à-dire ceux qui nécessitent peu de requalification technique et pour lesquels des filières de reconditionnement se structurent.
La motivation première du réemploi est l'impact carbone
« Aujourd'hui, on dresse un bilan mitigé sur le réemploi pouvant faire gagner de l'argent, et on ne voit pas encore un signal-prix intrinsèque. Or, la motivation première est souvent de limiter l'impact carbone des flux. Car quand je fais du réemploi, j'évite la fabrication d'un matériau neuf et donc des émissions carbone évitées », conclut Christophe Rodriguez. En mettant en œuvre des « flux faciles et ambitieux » de matériaux de réemploi, le Booster du réemploi a par exemple estimé un potentiel d'économies carbone totale de 45 kgeqCO2/m2 pour des projets de logements. Soit « jusqu'à 64 % de l'effort à fournir pour respecter le seuil Ic construction fixé en 2025 et 2028 de la RE 2020 », a indiqué Julie Obadia, chargée de projet. Et une économie carbone totale de 100 kgeqCO2/m2 pour des bâtiments tertiaires neufs, « soit 100 % de l'effort à fournir ».
1. Télécharger l'étude de l'Ifpeb
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43289-etude-ifpeb-cout-economique-reemploi.pdf
2. Les matériaux de construction passés au crible sont: ardoises, blocs autonomes d'éclairage de sécurité (BAES), bardages pierre naturelle ou assimilé, briques pleines, charpentes en bois, ossatures en bois, charpentes métalliques, ossatures métalliques, chemins de câble, cloisons amovibles vitrées , cuvettes WC, dalles gravaillonées, garde-corps métalliques, lavabos, moquettes, parquets massifs, plafonds suspendus, planchers surélevés, portes intérieures (sans contrainte feu ou acoustique), radiateurs à eau fonte/acier, réglettes, robinetteries sanitaires / mitigeurs, tuiles.
Source Actu Environnement par R. Boughriet