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24/11/2022

Bâtiment : la crise énergétique électrise la filière

L'explosion des prix de l'énergie a engendré la hausse massive du coût de nombreux matériaux, fragilisant les marges des entreprises. De quoi créer un sentiment de fébrilité et une quête d'alternatives.

Après un répit sur les tarifs des matériaux, la flambée du coût de l'énergie a bouleversé les projections, avec des prix du marché de gros de l'électricité et du gaz en Europe soumis depuis cet été à un yo-yo permanent. « Depuis 2019, le coût des énergies fossiles a été multiplié par quatre et celui de l'électricité par quatre et demi, voire sept si l'on se projette au premier trimestre 2023 », indique Philippe Gruat, président de l'Association française des industries des produits de construction (AIMCC). Le directeur général de Terreal, Jean-Baptiste Fayet, confirme : « L'impact énergétique est majeur pour nos produits en terre cuite. Le coût aura largement explosé entre la période avant Covid et les prévisions pour le début de 2023. » Philippe Gruat nuance : « Il existe des inégalités selon les activités et il convient de distinguer les entreprises qui ont dû négocier le renouvellement de leur contrat d'énergie début 2022, à des prix de marché, et celles dont le contrat est garanti jusqu'à fin 2023. » De l'autre côté de la chaîne, constructeurs et promoteurs constatent les effets de cette inflation. « Un parquettiste avec lequel nous travaillons a dû, sous l'effet de sa facture énergétique, répercuter une hausse de 4 euros HT par m2 , illustre Alexandra François-Cuxac, présidente d'AFC Promotion et ancienne présidente de la FPI. De toute façon, pour les logements en Vefa, nous ne pouvons pas répercuter ces variations : nous vendons à des prix fermes et l'on achète désormais à des prix variables ! » Pour les constructeurs de maisons, dont les prix de vente sont également fixes, la note est aussi salée. « Les prix de certains matériaux explosent comme celui du carrelage qui a progressé de 40 à 50 % en 2022 », note David Lacroix, président du Pôle habitat FFB Ile-de-France et président de Maisons Berval et Maisons Evolution.

Stocks faibles. Des critiques fusent contre les industriels qui arrêteraient certaines lignes de production. « Ils ont vidé leurs stocks pour sauvegarder leurs résultats pendant la crise sanitaire et ont redémarré leur outil de production le plus tard possible, analyse Arnaud Labaune, président du Pôle habitat FFB Bourgogne-Franche-Comté et directeur général chez Maisons Cercle Entreprise. On en paie le prix au moment où certaines lignes de production trop coûteuses sont fermées. » Si le directeur général de Terreal reconnaît que les stocks de tuile sont faibles - un mois et demi contre trois avant le Covid - et que « des lignes très énergivores qui ne pouvaient plus tourner dans ce contexte » ont été arrêtées, il veut rassurer les constructeurs : « Non seulement ces lignes sont marginales, mais en se basant sur les chiffres de la Fédération française des tuiles et briques (FFTB), la production a augmenté de 16 % en 2021 tandis que le stock baissait face à une forte demande. » Julien Viossat, directeur commercial du groupe Fabemi, récuse quant à lui toute rupture d'approvisionnement : « Même si nous nous attendons à un surcoût énergétique de 100 à 150 % en 2023, nous avons jusqu'ici été protégés dans le cadre de contrats annuels d'électricité et il n'est pas question d'arrêts de lignes de production. »

Système D. Pour s'adapter, Jean-Luc Lachard, dirigeant du CMiste Maison & Jardin, se substitue à l'artisan pour l'achat des matériaux. « Depuis fin juin, nous nous occupons des négociations et commandes directement avec les distributeurs, l'artisan étant payé pour la main-d'œuvre. Ce qui nous demande plus de collaborateurs et de travail en interne pour anticiper les besoins. » Certains changent les modèles de tuiles pour éviter le blocage de chantiers : « Nous essayons de proposer des formats plus petits, mais si la teinte change, nous allons avoir un problème de conformité avec le permis de construire, explique un constructeur qui préfère rester anonyme. On devrait nous autoriser à placer le modèle de tuile disponible. Mais ne rêvons pas, ni les architectes ni les collectivités ne l'accepteront. » Pour calmer un client agacé devant l'attente de tuiles et éviter des pénalités de retard, Jean-Luc Lachard a contacté son fabricant en juillet dernier, opté pour une référence disponible mais de couleur différente, déposé un permis modificatif, lequel a été accepté. La livraison n'a été effectuée que deux mois et demi plus tard. « L'industriel ne maîtrise plus rien », s'emporte-t-il.

Côté promoteurs, les solutions existent mais doivent intervenir le plus en amont possible. « En phase conception et pour des projets en consultation, nous avons la possibilité de rechallenger d'autres fournisseurs, d'envisager d'autres systèmes constructifs », explique David Bruchon, directeur technique national & RSE d'Icade Promotion. Quant à la tuile béton que certains envisagent comme alternative à la terre cuite, les constructeurs interrogés pointent le refus des collectivités. Interrogées, l'AMF et France Urbaine n'ont pas répondu. « De toute manière, la tuile béton est une fausse solution, lance Jean-Baptiste Fayet. Son prix a grimpé fortement et les quelques lignes de production en France ne suffiraient pas à répondre à une demande soutenue. »

Rééquilibrage en vue. Face à des constructeurs et des promoteurs inquiets de voir leurs marges fondre, Philippe Gruat rappelle quelques évidences : « Tout le monde va devoir rogner sur ses marges et, parce que l'industriel tout comme le distributeur ou l'entreprise de construction ne peuvent pas travailler à perte, il faudra bien répercuter le coût au niveau du client final. » Même si l'index BT01 tous corps d'état grimpe de 12,6 % par rapport à décembre 2020, « son mode d'application se fait au détriment de la marge des entreprises », regrette David Lacroix.

Certains ne voient qu'une issue : le ralentissement du marché de la construction

De plus en plus d'interlocuteurs ne voient qu'une issue : le ralentissement du marché de la construction. « La chute des autorisations de construire entraîne une baisse des ventes, ce qui aura des effets sur le nombre de chantiers en 2023 », prévoit Pascal Boulanger, président de la FPI. Pour Pascal Barbottin, P-DG de Midi-Habitat, « la crise énergétique est le coup de grâce d'une crise majeure que personne ne veut voir. Nous allons au-devant d'un fort ralentissement dans la production des grandes opérations de réhabilitation, y compris dans la partie sociale ».

Pourtant, l'horizon n'est peut-être pas si bouché, tout du moins pour le logement neuf. « Une opération de promotion immobilière est une équation à plusieurs variables, dont celle du terrain, souligne David Bruchon. Si le marché du neuf poursuit sa tendance actuelle, les achats de foncier seront moindres et un rééquilibrage de leur valeur pourra être opéré, d'autant que s'ajoutent désormais des normes environnementales réglementaires et volontaires. La crise énergétique pourrait finalement se révéler un accélérateur de transformation. » La demande de matériaux devrait donc se calmer, et peut-être même, leur prix…

« Réglementer le tarif de l'énergie pour stabiliser la filière »

« Les prix de sortie de certains produits industriels comme la brique, la terre cuite mais aussi la laine de verre, sont devenus complètement fous, avec une progression moyenne de 40 % sur dix-huit mois.

Difficile, cependant, de distinguer ce qui relève du surcoût énergétique . Dans le même temps, le prix global des maisons a suivi une hausse comprise entre 22 et 28 % depuis juin 2021. Pour stabiliser l'ensemble de la filière, les industriels - avec lesquels les contacts sont complexes depuis des mois - doivent pouvoir bénéficier d'un tarif d'énergie réglementé et faire tourner leurs lignes de production à fond, et non pas en fermer, pour reconstituer leurs stocks et répondre à la demande. »

Arnaud Labaune, président du Pôle habitat de la FFB Bourgogne Franche-Comté et DG chez Maisons Cercle Entreprise.

« Ne pas opposer les acteurs entre eux »

« Nous n'avons jamais connu une telle hausse des prix de l'énergie, mais selon la nature de la production et les contrats signés avec les fournisseurs, les situations sont très variables. Les industriels sont des transformateurs et dépendent du prix de la matière première et de l'énergie. Nous ne sommes pas en amont ! Je comprends le mécontentement des acteurs de la construction, mais nous ne maîtrisons pas le coût très volatil de l'énergie. Cette crise, conjoncturelle et circonscrite à l'Europe, ne doit pas nous opposer les uns aux autres.

La filière doit rester solidaire et développer la concertation, à l'instar de la déclaration de solidarité qu'elle a signée en juillet dernier à Bercy. »

Source Le Moniteur par Laurent Duguet