«L'or rouge» qui fait vivre Roumazières-Loubert
Les vents de la mondialisation ne semblent pas inquiéter les deux géants de la tuile installés depuis plus d'un siècle à Roumazières et encore là pour un bon moment
Depuis plus d'un siècle et demi, le sous-sol de Roumazières-Loubert fait sa renommée et sa fortune. Les gisements d'argile sont une mine d'or… rouge qui fait vivre deux mastodontes de la tuile. Terreal et Lafarge sont les deux entreprises qui emploient le plus en Charente Limousine, avec respectivement 572 et 250 salariés.
Le trésor attise les convoitises et les deux tuiliers ont été ballottés dans un marché très spéculatif depuis quelques années. Mais les romanes et autres losangées ont encore, semble-t-il, de beaux jours devant elles.
«Une tuile sur cinq fabriquées en France vient de Roumazières», révèle Alain Absous, directeur de l'usine Lafarge. En Charente, la balance penche toutefois du côté de Terreal, qui pèse environ le double de son concurrent et voisin avec une production annuelle estimée à 400.000 tonnes de tuiles et accessoires, contre 220.000 tonnes pour Lafarge.
Au plan national, les deux tuiliers sont au coude à coude et fabriquent environ un million de tonnes chacun. Ils trustent plus des deux tiers de la production nationale et exportent entre 10 et 20 % de leur production. Tout le reste est absorbé en France, le premier marché européen.
Et si la commune de Charente Limousine reste bien la capitale de la tuile en terre cuite, c'est le résultat d'une longue histoire.
Lafarge est née du rapprochement de trois tuileries historiques, datant de la fin du XIXe siècle : Perrusson, Rohmer et la Grande tuilerie de Roumazières (GTR). Les deux premières ont fusionné en 1968 pour devenir Céramique du Midi Perrusson Rohmer (CMPR) et ont racheté la troisième en 1976. Le dernier acte du groupe, passé sous différents pavillons pendant vingt ans, s'est joué en 1997 avec l'OPA de Lafarge sur Redland, le dernier propriétaire, qui a donné naissance à la branche toiture de Lafarge.
Terreal, de son côté, a été créé en 2002 par Saint-Gobain et appartient aujourd'hui à un fonds d'investissement, LBO France. Mais son histoire est tout aussi ancienne. A Roumazières, la création de TBF date de 1907. Dans les années 90, suite à un regroupement, l'entreprise familiale se retrouve dans une holding de gestion avec deux autres sociétés: Tuiles Lambert et Guiraud Frères.
En 1996, Saint-Gobain met la main sur cette holding, fait fusionner les trois entreprises et créé Terreal, qui est vendu aux fonds d'investissements Carlyle et Eurazeo, 400 millions d'euros en 2003. LBO France l'a racheté plus du double en août dernier.
«Encore là pour
au moins trente ans»
Alors quel avenir pour ses deux tuileries qui font battre le cœur économique de la Charente Limousine ? «On est encore là pour au moins trente ans», répondent les deux entreprises.
«Sur nos deux gisements principaux, on en a encore au moins 28 ans de réserve», assure Alain Absous, directeur de l'usine depuis quinze ans.
Même optimisme du côté de Terreal et de son directeur marketing, Bernard Caron : «Ce n'est pas une préoccupation. Il y a des gisements à proximité et nous avons plusieurs dizaines d'années devant nous. C'est une vraie chance géologique.»
La matière première est là. Mais qu'en est-il des structures financières et techniques ? Là encore, l'optimisme est de mise. «Chez Lafarge, il y a une stratégie de développement de la branche tuile terre cuite, assure Alain Absous, qui insiste sur le poids de l'usine charentaise. La tuilerie de Roumazières emploie 250 des 1.000 employés de Lafarge couverture et assure un quart de notre production totale de tuiles.»
Du côté de Terreal, les rachats successifs ne semblent pas inquiéter. «Ces opérations suscitent des interrogations et le fait est que ça change un peu vite. Mais je crois que ça ne fragilise pas l'entreprise. Au contraire, ça la consolide. L'actionnaire n'intervient pas sur le plan opérationnel et fait confiance à l'équipe, qui a été maintenue. Et puis, un fonds d'investissement ausculte l'entreprise, achète des projets, mise sur l'avenir. C'est la preuve qu'on va bien», analyse Bernard Caron.
Quant aux délocalisations, craintes un temps, notamment vers l'Espagne, là aussi, les responsables des tuileries sont rassurants. «Ce n'est pas une industrie qui a vocation à se délocaliser, une tuile fait 200, 300 kilomètres, rarement plus. Ici, il y a un savoir-faire, des compétences et on investit des millions d'euros dans l'outil. C'est la logique inverse d'une menace sur l'emploi, appuie le directeur marketing de Terreal qui affirme que 114 embauches ont eu lieu ces trois dernières années. La dynamique du secteur est très positive.»