Son bail aura été vite résilié. Nommé en février dernier, Guillaume Kasbarian quitte déjà le ministère de Logement. Il est remplacé par la centriste Valérie Létard, nommée ce samedi 21 septembre dans le nouveau gouvernement de Michel Barnier responsable d’un portefeuille regroupant le Logement et la Rénovation urbaine. L’ancienne vice-présidente du Sénat (2017-2023), qui fut secrétaire d’Etat sous Nicolas Sarkozy, avait été élue députée lors des dernières législatives de juillet. La native du Nord, proche de Jean-Louis Borloo, s’était impliquée sur le dossier du Zéro artificialisation nette (ZAN) alors qu’elle était sénatrice.
Personne ne sait si la nouvelle ministre du Logement aura le temps d’assister au congrès annuel des HLM, qui s’ouvre mardi à Montpellier. Mais une chose est sûre : des promoteurs aux bailleurs sociaux en passant par les courtiers, les banquiers et les notaires, sans oublier la filière du BTP, toute la galaxie du logement attend la successeure de Guillaume Kasbarian de pied ferme. «Quand le bâtiment va, tout va», dit le proverbe. Or depuis quatre ans, rien ne va plus. La filière avait déjà connu un coup de mou en 2020, avec la crise sanitaire Covid et la montée du «Nimby» («Not in my backyard»), acronyme qui désigne cette fichue tendance des habitants à ne pas vouloir de nouveaux voisins.
Mais la guerre en Ukraine a précipité la filière dans le mur : l’inflation a non seulement augmenté les coûts de construction mais obligé la Banque centrale européenne à augmenter ses taux, ce qui a renchéri le coût des crédits. En 2023, les mises en chantier de logements ont chuté de 22 % par rapport à 2022, et les permis de construire de près de 24 %, selon les données provisoires du ministère de la Transition écologique.
Au-delà de la crise d’un secteur économique vital, ce sont ses conséquences sociales que le gouvernement Barnier devra affronter. En janvier 2023, Olivier Klein, le Premier ministre du Logement du deuxième quinquennat, avait parlé de la «bombe sociale à retardement» du logement. Près de deux ans plus tard, il ne fait pas de doute qu’elle a éclaté, en particulier dans les métropoles où les prix de l’immobilier sont au plus haut. Etudiants qui renoncent à leurs études faute de pouvoir se loger, couples séparés obligés de continuer à cohabiter ou qui renoncent à faire des enfants car ils n’ont pas les moyens de déménager, entreprises qui n’arrivent pas à recruter, etc : et pourtant le président Emmanuel Macron semble étrangement indifférent, ne voyant dans le logement qu’une «rente» à dégonfler ou des dépenses excessives, qu’il convient de raboter.
L’ex-Premier ministre Gabriel Attal a bien promis un «choc d’offre» en janvier 2023 pour relancer la construction. Un peu tard. Et le projet de loi présenté par Guillaume Kasbarian au printemps, qui visait à assouplir la loi SRU en réduisant le nombre de logements sociaux à construire par commune au profit de la catégorie moins sociale des «logements intermédiaires», a été stoppé net dans son élan par la dissolution.
Si ce projet d’inspiration libérale était remis sur le métier, on peut parier que les bailleurs sociaux remonteraient illico au créneau. Ce n’est pas le moment d’affaiblir l’obligation à construire des logements sociaux, alors que le nombre de ménages en attente d’un HLM a battu un nouveau record au premier semestre 2024 : ils sont désormais 2,7 millions, 100 000 de plus qu’en 2023. Or seuls 82 200 logements sociaux ont été agréés l’an passé, contre 124 200 en 2016.
L’écologie et le BTP ne font pas bon ménage
Pour ne rien arranger, les locations de type Airbnb, bien plus lucratives que des locations à l’année, continuent de proliférer dans les territoires les plus attractifs, asséchant le marché locatif au détriment des travailleurs essentiels, contraints de crécher loin des centres-villes voire de dormir dans leur voiture. La situation devenait si critique que le gouvernement a fini par céder à la pression des élus locaux, et le Parlement a adopté en mai une loi qui réduit fortement l’avantage fiscal dont bénéficiaient les propriétaires de meublés de tourisme.
L’écologie et le BTP ne font pas bon ménage : la loi Climat et résilience est accusée d’aggraver la pénurie, que ce soit en imposant de ralentir l’urbanisation pour viser le Zéro artificialisation nette (ZAN) ou en obligeant les proprios à retirer du marché les passoires thermiques - souvent de petits logements qui seraient bien utiles aux étudiants. Comment construire moins et loger toujours plus de Français ? Tous les ministres se sont heurtés à cette équation insoluble.
Cette crise multiforme du logement tombe d’autant plus mal que la Fondation abbé Pierre, qui est la voix des mal-logés en France, risque de ressortir durablement affaiblie du scandale provoqué par la révélation des agressions sexuelles commises par le célèbre curé. La fondation, qui avait alerté contre les effets délétères de la loi anti-squat portée par Guillaume Kasbarian, devrait d’ailleurs changer de nom. Cela fait partie des dossiers qui attendent le nouveau locataire du Logement, à la croisée du social et du sociétal.
Mais il y a des motifs d’espérer : dans la foulée de la décision de la BCE d’abaisser son taux directeur à 3,5 %, les taux d’intérêt devraient amorcer une décrue, et donc resolvabiliser les acheteurs et dégripper le marché. Autre bonne nouvelle, les prix dans l’ancien ont aussi amorcé un repli l’an passé, de l’ordre de 4 % selon l’Insee.