La terre crue va-t-elle redevenir un matériau courant de la construction ? Cette ambition portée depuis plusieurs années par des pionniers ne semble plus si illusoire. Disponible à profusion sur tout le territoire, souvent inscrite dans l'économie circulaire, la terre crue bénéficie de l'entrée en vigueur de la RE 2020 qui place la décarbonation au cœur de la construction. Mais, en raison de son jeune âge, la filière doit faire la preuve des qualités techniques du matériau et définir des procédés de mise en œuvre compatibles avec les pratiques actuelles des chantiers. Sur ces deux objectifs, des avancées notables ont été réalisées ces derniers mois.
Validations scientifiques. En septembre dernier, le lancement du Projet national terre crue, soutenu par le ministère de la Transition écologique, a marqué une étape majeure dans l'organisation de la filière. La démarche prolonge la publication en 2019, par un collectif d'une douzaine d'organisations professionnelles, de guides de bonnes pratiques sur six techniques constructives en terre crue. Elle vise à regrouper les efforts de recherche pour mieux caractériser les matériaux à base de terre crue et lever les freins à leur utilisation. « Nous pourrons valider scientifiquement les qualités de ce produit que nous connaissons de façon empirique par nos chantiers », espère Nicolas Meunier, dirigeant de l'entreprise de construction Le Pisé. Comportement mécanique, sécurité incendie, confort et efficacité énergétique : ces données doivent nourrir de futurs outils de dimensionnement, de conception et de mise en œuvre. Voire constituer la base de ce qui pourrait devenir, à terme, les Règles professionnelles validées par l'Agence qualité construction (AQC).
En attendant que cet effort collectif porte ses fruits, les bureaux de contrôle ont un rôle décisif à jouer via leurs avis de chantier. Le groupe Socotec a publié en juin 2021 un document de synthèse sur la construction en terre crue. Si ce dernier appelle à une « introduction raisonnée d'éléments en terre crue » en raison du caractère expérimental des opérations, il rappelle les nombreux atouts du matériau, notamment en termes d'inertie thermique, d'acoustique et de régulation naturelle de l'humidité. « Il ne faut pas minorer certains points de vigilance comme l'exposition aux intempéries ou l'entretien courant. Mais les matériaux terre crue ont toute leur pertinence sur des projets de faible hauteur, avec des descentes de charge réduites », indique Patrick Bossa, directeur technique de Socotec.
Recours aux blocs grand format. L'élaboration de référentiels techniques se double d'innovations pour faciliter la mise en œuvre de la terre crue. En 2021, deux fabricants de briques de terre compressée (BTC) ont fait aboutir des appréciations techniques d'expérimentation (Atex) pour leurs produits. C'est d'abord Cycle Terre qui a obtenu le feu vert pour l'utilisation en cloison intérieure de briques 9,5 x 31,5 cm. Briques Technic Concept a ensuite obtenu son Atex pour la mise en œuvre de ses blocs 40 x 120 cm en murs porteurs jusqu'à R + 3. « C'est une avancée importante puisqu'on pourra désormais se passer d'une ossature primaire bois ou béton pour construire avec des briques de terre compressée, pointe Guillaume Niel, directeur d'établissement du bureau d'études Terrell. Le recours aux blocs grand format, appuyé par une manutention mécanisée, doit lui aussi permettre de baisser les coûts de mise en œuvre, condition préalable à une massification des BTC. » Cet objectif de démocratisation est au cœur du projet européen CobBauge, porté en France par l'ESITC Caen. Une première phase de recherche a permis d'optimiser les mélanges terre-fibres végétales pour aboutir à deux compositions, l'une assurant la stabilité structurelle, l'autre l'isolation, appliquées en deux couches.
Les travaux ont ensuite porté sur une approche chantier viable au plan commercial. « La bauge traditionnelle se met en œuvre par une succession de levées, suivies par un travail de rectification : c'est une méthode trop chronophage si l'on veut convaincre les artisans, relève Mohamed Boutouil, responsable de laboratoire à l'ESITC Caen. Nous avons opté pour un système de coffrage, compatible avec les pratiques actuelles de la construction. » La terre coulée offre une autre voie pour la démocratisation de la terre crue sur un usage structurel. Cette technique inspirée des voiles béton permet une approche économique, entre 200 et 300 €/m², et conforme aux habitudes des entreprises de gros œuvre. Reste la question des liants hydrauliques (chaux, ciment) qui renforcent la résistance mécanique de l'ouvrage, mais plombent son bilan carbone. Là encore, les initiatives se multiplient pour trouver de nouvelles solutions. Le centre de formation et de ressources Amàco a engagé un travail de R & D pour utiliser une matière non stabilisée par des liants, avec des premiers tests de voiles préfabriqués en atelier, où la terre serait coulée et séchée à l'horizontale afin d'optimiser le décoffrage.Intérêt des grands groupes. En septembre dernier, le groupe Saint-Gobain a présenté une offre dédiée via sa filiale de distribution Point. P : des big bags contenant un mélange de terre excavée et de fibres végétales, destiné au remplissage d'ossatures bois. La solution utilise un malaxeur et une machine à projeter standard, ainsi qu'un liant mis au point par la société Norper à base de laitiers de hauts fourneaux et d'un cristallisant exclusif. « La fiche de déclaration environnementale et sanitaire du liant indique qu'il émet 146 kg CO eq/t, contre 600 à 700 kg pour un ciment classique », pointe Patrice Richard, président de Saint-Gobain Distribution Bâtiment France. Le prix global des murs s'inscrit en dessous des 200 €/m2 . Une première offre, signe de l'intérêt pour la terre crue des grands groupes du BTP.
Structure - Des murs porteurs en bloc de terre compressée
Au cœur du programme immobilier Carré Flore à Cornebarrieu, près de Toulouse (Haute-Garonne), 18 logements en R + 1 (12 appartements et 6 villas en bande) vont être construits avec les blocs de terre crue compressée conçus par la société Briques Technic Concept. Ces éléments de grande dimension (40 x 120 cm) seront utilisés en structure pour la première fois depuis l'Atex de type A obtenue par la société tarnaise fin 2021 et cofinancée par le maître d'ouvrage GreenCity Immobilier. Les blocs constitueront les murs de refend et les pignons, tandis que des briques de terre cuite seront utilisées sur les longs pans, plus ouverts et exposés aux intempéries. L'ensemble portera une prédalle béton de 20 cm.