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14/03/2022

La filière couverture sous fortes pressions

(Interviews réalisées en janvier et début février 2022, avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie)

Dans un marché en pleine expansion, les couvreurs peinent à honorer leurs engagements, alors que les carnets de commandes ne désemplissent pas. Les stocks sont vides et les industriels peinent à honorer leurs commandes. À cela, il faut encore ajouter des pénuries sur certains matériaux et l'explosion des factures d'électricité et de gaz. Résultats, certains fabricants arrêtent leurs lignes de production quand d'autres n'hésitent pas à contingenter leurs livraisons. Les distributeurs grognent. D'autant que les hausses des prix en janvier et en mars liées à celles de l'énergie et à la demande dynamique sur les matériaux ferreux sont difficiles à répercuter chez les artisans.

Tout le monde devrait être comblé. Le marché de la couverture est en pleine expansion avec des progressions à deux chiffres : + 15 % en volume et en valeur sur la seule année 2021. Quant à la demande pour 2022, elle est au beau fixe. Les carnets de commandes des couvreurs sont pleins sur les huit à douze prochains mois. Du jamais vu de mémoire de tuilier, selon Olivier Lafore, directeur de la stratégie commerciale d'Edilians : « Le marché a enregistré une hausse de 40 % Entre 1985 et 2007, puis il a chuté de 36 % entre 2007 et 2019, avant de se reprendre en 2020 avec une hausse de 2 à 3 %. »

Envol de la rénovation

Ce développement inattendu est une conséquence la pandémie de Covid-19. « Cette crise a accru les demandes de rénovation, observe Claudia Cogliati, responsable du marketing des achats couverture et bois-panneaux chez BigMat. Les Français confinés ont eu une brusque envie de rénover leur habitat. » Cette tendance s'est amplifiée avec les ventes de logements anciens, comme le soulignait Pascal Casanova, PDG d'Edilians, lors d'une visite du site de Léguevin, près de Toulouse (Haute-Garonne), en juin 2021 : « Dans le Centre et l'Est, où la rénovation de toiture déclinait depuis plusieurs années, elle est repartie à la hausse, et c'est clairement lié à des achats de maisons. » La dernière note de conjoncture des Notaires de France, publiée en janvier 2022, devrait donc le satisfaire, tout comme l'ensemble de la filière.

Une demande trop forte !

Les ventes de logements anciens se sont une nouvelle fois envolées : à fin novembre 2021, le volume a atteint 1,2 million de transactions en cumul sur les douze derniers mois, en hausse de 17,5 % sur an. Pourtant, malgré ces bonnes nouvelles, le plat du jour au menu des cantines des industriels, des distributeurs et des couvreurs est plutôt la soupe à la grimace. Un fabricant, sous couvert d'anonymat, a même lâché : « En ce moment, le marché, c'est la merde. » La raison en est simple : les stocks sont vides et les industriels, notamment les tuiliers, ne peuvent répondre à la demande. « Nous sommes en rupture de stock », avoue Olivier Lafore. Le son de cloche n'est pas différent chez Terreal, selon Émilie Benjamin, chef de marché couverture tuile et isolation : « Nous observons un phénomène que peu de prévisionnistes avaient anticipé.

La demande est telle que nos organisations industrielles ne sont pas adaptées pour y répondre. » Quant à Koramic, « nous concentrons actuellement tous nos efforts à améliorer nos taux de service et à réduire les tensions sur l'approvisionnement », explique Sylvain Ponchon, directeur commercial et marketing.

Livraisons contingentées

Les ruptures de stock ne sont pas sans incidences sur le marché. Alors qu'il s'inscrivait sur un trend haussier de plus 30 % en juin 2021, il a terminé à + 15 %. Pour Claudia Cogliati, cette baisse résulte essentiellement de la pénurie - même si elle reconnaît un ralentissement des ventes de maisons individuelles à partir de septembre. « Il faudrait 300 000 tonnes de plus - soit l'équivalent de six usines supplémentaires - pour répondre à la demande. » Le phénomène touche également les ardoisiers et les fabricants de fenêtre de toit. « Depuis huit mois, Velux n'arrive pas à fournir, constate Guillaume Savin, représentant de l'enseigne Au Faite, groupe de sept dépôts spécialisés dans la couverture et membre du groupement France Matériaux. Cela a d'abord été un problème d'approvisionnement de bois puis de pigments, ensuite de puces pour les systèmes électriques, enfin de quantités fabriquées. »

Charles Lacassagne, category manager en gros œuvre et en couverture de Gedex (Gedimat-Gedibois), enchaîne : « Les performances du marché en 2021, y compris sur le dernier quadrimestre, conduisent nos partenaires industriels à ne plus disposer des stocks nécessaires afin d'assurer un taux de service. Certains fournisseurs d'ardoises, de tuiles, de fenêtres de toit contingentent les livraisons sans aucune garantie de volumétrie et ce, dans un contexte hyperinflationniste. » Résultat, de nombreuses enseignes demandent un état des commandes et attendent le reliquat du dernier trimestre 2021.

L'énergie flambe

Pourtant, les industriels essaient de faire le maximum, notamment les tuiliers, dont les lignes sont saturées. « Nous embauchons et nous réorganisons nos lignes de production [NDLR : avec des passages en 4 x 8], mais la situation reste difficile », explique Émilie Benjamin. Ladite situation est d'autant plus laborieuse que les tarifs de l'énergie - qui compte pour plus de 30 % du coût de fabrication d'une tuile en terre cuite - explosent. En juin 2021, le prix du gaz avait pris 50 % par rapport à janvier de la même année, celui de l'électricité plus de 30 %. En cumul annuel, le prix du gaz a s'est envolé de 435 % en septembre 2021 par rapport à septembre 2020, selon Terreal.

La situation a une répercussion directe sur le budget de fonctionnement de ces industriels, donc sur leurs marges. Leurs dépenses en électricité et en gaz, en moyenne, ont plus que triplé en un an. À cela, il faut intégrer, comme le quotidien Les Échos le relève, le prix de marché des quotas carbone pour cette production émettrice de CO2, qui a plus que doublé depuis novembre.

Quand les industriels décident de relancer des fours à l'arrêt depuis la crise 2007-2018, la flambée des cours les rappelle à l'ordre. Quelques mois après avoir rallumé le second four de son usine de Saint-Martin-Lalande (Aude) après neuf ans d'arrêt, le groupe Terreal s'est résolu à l'éteindre, comme l'hebdomadaire La Voix du Midi lauragais le rapporte dans son édition du 29 octobre 2021. « En 3 × 8 avant le rallumage du deuxième four, les employés de l'usine sont passés en 4 × 8 pendant ces quatre mois et demi, « avec une équipe de huit intérimaires supplémentaires », précise le groupe industriel. À la suite de ce nouvel arrêt de la machine, le rythme de travail des salariés est revenu en 3 × 8 ».

Inflation et stabilisation des stocks

Ce contexte n'est pas sans conséquence pour les négoces. Ils doivent faire face à cette équation imposée : pénurie + hausse des prix de l'énergie = inflation. Sur la tuile, leurs fournisseurs ont annoncé une hausse moyenne de 17 % au 1er janvier 2022, et une seconde d'au moins 15 % en mars.

Le phénomène touche d'autres matériaux. Exemples : en un an, le prix du zinc a grimpé de près de 18 %, celui d'une latte de bois de 1 mètre de 300 % . Les prix des ardoises sont à l'encan. « Nous sommes en compétition avec les marchés anglo-saxons, qui sont plus riches que nous », constate, désolé, un négociant. Sur certaines matières premières, tel le polypropylène utilisé pour la fabrication d'écrans, les cours fluctuent tellement qu'ils sont devenus illisibles pour de nombreuses enseignes.

Dans ce contexte conjoncturel, les directions des achats cherchent à compenser les défauts des fournisseurs et à stabiliser leurs stocks. Ainsi, le groupement Gedex, dès qu'il trouve des produits disponibles, achète plus que prévu. L'enseigne Au Faite agit de même, et a presque multiplié par deux ses réserves. « Notre stock permanent est passé de 1,5 M€ à 2,5 M€ », raconte Guillaume Savin.

Défaut de paiement

Cette inflation peut-elle durer ? Olivier Royer, dirigeant d'Asturienne, l'enseigne couverture de Saint-Gobain Distribution Bâtiment France, se veut rassurant : « Dès que les stocks seront reconstitués, les hausses liées aux pénuries devraient se lisser dans le temps, tout comme celles liées au dynamisme de la demande. L'inflation due aux coûts de l'énergie, elle, risque de durer. Le prix de l'énergie est appelé à monter encore. » Peut-elle grever le dynamisme du marché ? Là, les avis sont plus tranchés.

« Le marché freine déjà depuis quelques mois en raison de la pénurie, note Claudia Cogliati (BigMat). L'inflation ne va rien arranger. » Pour Guillaume Savin (Au Faite), ces hausses risquent de poser des problèmes à un certain nombre de ses clients dans les moins à venir. « Le risque de défaut de paiement sera même assez élevé chez plusieurs artisans d'ici à la fin de l'année. Avec des matériaux qui représentent déjà entre 30 et 40 % de leurs devis, beaucoup de couvreurs ne pourront pas répercuter l'ensemble des hausses aux clients finaux. » Jusqu'à maintenant, grâce à des carnets de commandes bien pleins, ils ont pu écrêter ces augmentations. Mais actuellement, les chantiers prennent du retard en raison de la crise sanitaire et de la désorganisation des équipes. « Pour tenter de sauver leur affaire, certaines entreprises n'ont plus d'autre choix que de rogner leurs bénéfices sur des chantiers signés il y a déjà plusieurs semaines », s'inquiète Guillaume Savin. Il n'en demeure pas moins que ce n'est qu'une solution provisoire.

Investissements contraints

Dans ce contexte, la position des industriels n'est pas simple. Après la période 2007 à 2019 pendant laquelle ils ont réduit la voilure en fermant plusieurs unités de production, ils ont conscience que les efforts consentis cette année ne produiront leurs effets que dans plusieurs mois, voire années. En attendant, ils investissent pour moderniser leurs outils de production, avec trois objectifs clairs : améliorer la capacité de production, réduire la consommation d'énergie, diminuer l'empreinte environnementale.

Kingspan, groupe né en 2019 de la fusion avec le fabricant français Bacacier, a annoncé, le 2 février 2022, un investissement de 70 M€ à Riom, au nord de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), pour implanter un complexe « ultramoderne » de production. Dès 2023, il intégrera de nouvelles lignes de production de pannes pour les modèles Z, C, Sigma, renforts ou non renforts et des plieuses de 12 m et panneaux sandwichs isolants à très hautes performances, destinés à l'ensemble de leurs marchés européens, au-delà de simplement de la France. L'ensemble sera complété par l'implantation d'un centre logistique afin « de mieux répondre aux attentes du marché ».

De son côté, Edilians a annoncé avoir engagé 25 M€ en 2021 pour adapter « trois petites usines ». En fait, il s'agit de remettre une mise à niveau, à l'instar de ce qu'il a fait dans l'usine de Phalempin, implantée à une vingtaine de kilomètres de Lille (Nord) et d'une capacité de production de 1 540 m² de toiture par jour (l'équivalent de sept maisons). L'industriel y a injecté 3,5 M€, dont 1,5 M€ pour l'acquisition d'une nouvelle mouleuse et la robotisation de la zone d'encastage. Le solde (2 M€) a été consacré à la modernisation de la zone du circuit claies, du convoyage sec et de l'espace d'engobage, correspondant à la pose de cinq robots. Grâce à ces investissements qui ont permis de réduire les pannes rencontrées lors de la fabrication des tuiles, la production de l'usine a augmenté de 10 %, tout en réduisant aussi de 10 % la consommation d'énergie.

De même, Terreal a signé, le 13 octobre 2021, un accord avec Total Énergies pour le développement de centrales solaires photovoltaïques sur des projets de reconversion de 96 hectares de terrains dans l'Aude, la Charente, le Calvados et en Dordogne. L'énergéticien y implantera huit centrales photovoltaïques au sol pour une mise en service prévue pour 2024. « Ces projets solaires viendront compléter nos installations existantes au sol ou sur toitures d'usines, qui représentent 16 % de la consommation de Terreal déjà en service, soit une production supplémentaire à disposition du réseau de 70 millions de kWh d'électricité par an », déclarait dans un communiqué Patrick Leblans, directeur de l'énergie du tuilier.

Et des rachats

En attendant, tous les industriels tablent sur une progression du marché dans les prochaines années. Dans ce contexte, la course à la valeur prévaut. Ils ne cessent de multiplier les fusions et acquisitions et les réorganisations afin d'élargir expertise et compétences. Dernière opération en date (début février), le fonds canadien Brookfield a acquis Cupa Group, qui exporte 80 000 tonnes de schiste par an (à la marque Cupa Pizarras) vers la France, premier pays consommateur d'ardoises au monde. D'après le communiqué, « 40 % des ardoises naturelles importées dans l'Hexagone proviennent de carrières exploitées par Cupa Pizzaras », qui ambitionne « de franchir les 50 % du marché dans les années à venir. ».

De son côté, Edilians a mis la main sur deux entreprises coup sur coup, la française IRFTS (spécialiste du solaire) et espagnole Tejas Borja (spécialiste de la céramique sérigraphiée). Quant au groupe Terreal, il a repris, fin 2020, la société allemande Creaton, le propulsant à la place de numéro un européen de la tuile avec un chiffre d'affaires de près de 630 M€ (production de briques incluse).

Toutes ces opérations traduisent ce phénomène de course à la concentration mené depuis dix années et motivé par des logiques de maillage, de conquête de parts de marché, de réduction de coûts et d'assimilation de technologie. Pendant ce temps, les entreprises de couverture serrent les dents et attendent des jours meilleurs.

Source Le Moniteur par Guillaume Fedele