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29/03/2022

Bouyer Leroux tente de juguler la hausse des prix de la brique

Face à la flambée des prix de l’énergie et malgré des usines décarbonées à hauteur de 45 %, le groupe coopératif Bouyer Leroux, numéro un français des briques en terre cuite, se voit contraint d’augmenter ses prix au négoce.

« Nous devons faire le dos rond, mais ça ne doit pas nous empêcher de partir en mer pour affronter la tempête ». C’est par cette métaphore maritime que Roland Besnard, P-DG du groupe coopératif Bouyer Leroux, résume la situation qu’il est en train de vivre alors que son groupe, comme pour l’ensemble de l’économie mondiale, doit faire face à une flambée historique des prix de l’énergie. « On parle de plusieurs dizaines de millions de surcoûts énergétiques pour un groupe qui fait 140 millions d’euros de chiffre d’affaires » assure Roland Besnard qui, comme ses concurrents est contraint de répercuter ces hausses sur le prix de ses produits.

Plus de 20 % de hausse sur l’année

« Alors que sur les trois dernières années, la hausse des prix de nos briques en terre cuite a pu être maintenue à un taux légèrement inférieur à celui de l’inflation, nous avons été contraints d’appliquer une hausse tarifaire de 8,5 % le 1er février dernier » explique-t-il. « En achetant notre gaz pour 2021 et 2022, nous nous sommes cru couverts à hauteur de 80 % de nos besoins or, nous étions en pleine crise de la Covid et nous avons été trop prudents sur le niveau d’activité. En définitive, nous ne sommes couverts qu’à 60 % et au prix de l’énergie sur le marché, ça fait mal » détaille-t-il. Des prix de l’énergie qui ont explosés depuis la guerre en Ukraine et ses conséquences sur les approvisionnements gaz.

« Il y a un mois, notre principale préoccupation était d’optimiser nos organisations pour utiliser au mieux notre potentiel industriel. Avec ce contexte de forte inflation, aller chercher de l’énergie supplémentaire pour travailler au maximum revient à un suicide économique. Toutes nos usines sont utilisées aujourd’hui au plus haut de ce que nous pouvons raisonnablement faire et nous ne produirons pas en août. En effet, j’ai pris la décision de maintenir quatre semaines de congé cet été, également car tout le monde est fatigué par ces crises à répétition » expose l’industriel qui a pris de nouvelles décisions : limiter sa production par des quotas jusqu’à la fin de l’année et augmenter à nouveau ses prix de 12 % à partir du 1er juin. « Nous souhaitons que nos clients aient le temps de se préparer, d’où cette date du 1er juin. Mais cette hausse sera ferme, sans négociation possible comme c’est l’usage car nos résultats vont véritablement s’effondrer. De même, nous leur garantissons un volume de production à travers un système de quotas mais suivant les décisions que pourraient prendre nos concurrents, il faut donc savoir que nous ne pourrons pas servir l’ensemble du marché français » prévient-il.

Une stratégie de décarbonation payante

Car si la situation de Bouyer Leroux est difficile, celle des autres acteurs du marché l’est davantage encore. Assez tôt, le groupe coopératif a fait des choix stratégiques qui s’avèrent aujourd’hui salutaires. Depuis 2018, le groupe a consacré un budget de 62 millions d’euros (près de la moitié de son chiffre d’affaires annuel) dans une politique volontariste de transition énergétique avec comme ambition de décarboner 90 % de l’activité production de briques à horizon 2025-2027.

« Notre projet est plus que jamais pertinent, assure Roland Besnard. Dans notre mix énergétique-thermique nécessaire au séchage et la cuisson des briques, 45 % de notre consommation est déjà décarbonnée car issue de la biomasse, du biogaz ou des énergies de récupération de nos fours vers nos séchoirs. Cela nous permet de n’avoir que 55 % de notre énergie thermique issu du gaz naturel ».

Ce choix stratégique donne à l’industriel un avantage concurrentiel certain car l’énergie est la principale composante du prix de revient de la brique de terre cuite. « La matière première, à savoir l’argile, ne représente entre 6 et 7 % du coût de revient. En plus, pour nous elle est peu impactée car nous avons nos propres carrières » complète Roland Besnard.

Alerte sur la spéculation des quotas de CO2

Pour l’industriel, ce cap vers la décarbonisation est une évidence mais il tient à pointer des risques de dommages collatéraux induits par le système d’échanges de quotas d’émission de CO2 en vertu du principe pollueur-payeur mis en place par l’Union européenne. « Les cours des quotas de CO2 européens sont devenus des marchés spéculatifs. Il y a quatre ans en arrière, ils étaient aux alentours de 5 à 6 euros et ils sont maintenant proche de 100 euros » s’inquiète Roland Besnard, qui n’hésite pas à comparer ces marchés de produits dérivés à une sorte de « bitcoins environnementaux ».

Et l’industriel de prévenir : « Ces quotas sont une originalité européenne vertueuse, mais attention à ce que ça ne se retourne pas sur notre industrie européenne au profit de pays concurrents et de spéculateurs à l’affût de plus-values exponentielles. On ne peut pas complètement écarter l’idée que d’autres puissances économiques utilisent cet outil pour s’attaquer à l’industrie européenne. Les Chinois ou d’autres puissances économiques auraient tout intérêt à faire monter le prix des quotas dans la perspective de détruire l’industrie européenne ».

Objectif : 90 % de la production décarbonnée pour Bouyer Leroux

Afin de limiter l’impact du prix du gaz et des quotas de CO2 sur ses activités, le groupe coopératif industriel a mis en place en 2018 un plan de décarbonnation de ses outils de production doté d’un budget de 62 millions d’euros. L’objectif est de décarboner 90 % de l’activité production de briques à horizon 2025-2027. A fin février, les cinq sites du groupe affichent un taux moyen de décarbonation de 45 %. 

Tour d’horizon:


  • Le site de La Séguinière (Maine-et-loire), plus grand site de production de briques en France, déjà décarboné à plus de 50 % avec du biogaz et de la biomasse. Un nouveau projet de foyer à biomasse comme source d’énergie pour le séchage des produits entre dans sa phase de réalisation. Cet investissement supérieur à 10 millions d’euros permettra de décarboner plus de 80 % de sa consommation d’énergie à l’horizon 2024.
  • Le site de Mably (Loire), historiquement alimenté par du biogaz et doté d’une cogénération, poursuit sa transition vers un objectif de décarbonation totale de son process. Un projet d’usine à sciure, lauréat du programme France Relance, a été lancé en 2021 pour un investissement de 4,7 millions d’euros. La première étape va démarrer en avril 2022 avec la mise en service d’une installation de porosage. Ceci se traduira par un ajout de biomasse dans le mélange d’argile permettant d’augmenter la part d’énergie renouvelable de 20 à 40 %.
  • Le site de Gironde-sur-Dropt (Gironde), déjà décarboné à 70 % fait l’objet d’un projet d’investissement de 7 millions d’euros. Egalement lauréat du programme France Relance, ce projet permettra de moderniser l’outil industriel et de réduire la consommation d’énergie thermique de 25 %. Ainsi à horizon 2027, l’activité de ce site sera décarbonée à hauteur de 90 %.
  • Enfin, sur site de Saint-Martin-des-Fontaines (Vendée), avec l’aide de l’Ademe, Bouyer Leroux a initié la phase de mise en service du pilote industriel des gazéifieurs dédiés à l’industrie céramique, en collaboration avec la société Naoden. Cette phase de recherche et développement doit permettre à l’industriel de valider cette solution d’utilisation de la biomasse à grande échelle. Cette unité pilote de gazéification représente un budget d’investissement de 2,3 millions d’euros.

Source Le Moniteur par Jean-Philippe Defawe (Bureau de Nantes du Moniteur)