Le groupe belge Etex est un grand industriel discret. Son CEO Paul Van Oyen nous a parlé de la mue que traverse le géant des matériaux dans un secteur riche en défis.
Le groupe familial belge Etex, actif dans les matériaux de construction, pèse un poids certain dans l'industrie: 13.000 emplois, près de 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires, une centaine d'usines, 40 pays... C'est un discret mastodonte que dirige depuis 6 ans Paul Van Oyen. La discrétion n'exclut pas la mue, comme nous explique le CEO.
Pourquoi le groupe Etex est-il sorti du secteur des toitures?
Nous n’avons pas changé de raison d'être depuis 100 ans, nous sommes restés un producteur de matériaux de construction de qualité, esthétiques, durables, légers et polyvalents. C'est d'ailleurs notre polyvalence qui a fait qu'historiquement, on s’est réveillé d’un cauchemar dans l’amiante-ciment, qui a duré des dizaines d’années... Nous voulons contribuer à la société en fournissant des produits durables; c’est ce qui nous donne le droit d’exister.
"La zone est très fine entre diversification et dispersion..."
Notre vision, en revanche, a changé. Lorsqu’on a acquis Lafarge Plâtre auprès du groupe français homonyme en 2011, on a découvert la construction légère. Cette technologie se développe plus rapidement dans le monde que la construction traditionnelle en briques et béton. Parce qu’elle est économique, durable et parce qu’elle est industrialisable et donc plus facile à réaliser.
Quand on a pris conscience de la puissance de cette technologie, il nous est apparu qu’il n’était plus nécessaire de conserver certaines autres activités dans le groupe. Notre business dans les toitures résidentielles (tuiles en argile, dalles en béton…) n’avait pas entièrement abouti. On aurait dû investir énormément pour nous renforcer dans ce segment, si l'on souhaitait compter en Europe. On a dès lors décidé d’en sortir.
Avec la cession, en octobre 2020, de la filiale Creaton, cette vague de désinvestissements est terminée pour Etex. On était trop petit pour y devenir grand, et trop grand pour y rester petit. La zone est très fine entre diversification et dispersion...
"En découvrant l’intérêt de la construction légère, on est automatiquement entré dans la disruption de la chaine de valeur de la construction."
Et vous avez créé une nouvelle division, New Ways…
En découvrant l’intérêt de la construction légère, on est automatiquement entré dans la disruption de la chaîne de valeur de la construction. Cette industrie n’a pas réussi à augmenter sa productivité durant 40 ans. Autrement dit, on s'y trouve face à un très grand défi: se réinventer.
Cette disruption sera basée sur trois piliers. Un, la construction va s’industrialiser. Ce chantier est déjà entamé. En Allemagne, par exemple, 20% des maisons sont déjà préfabriquées de manière industrielle. Etex s’intéresse à ce volet d'activité. Deux, cette évolution sera digitale à travers toute la chaîne, depuis la production des matériaux (où s’active Etex) et la conception jusqu’au démontage des bâtiments. Trois, on fournira des solutions de construction 100% durables: réduction de l’empreinte CO2, circularité, partenariats, etc. Un grand défi, car la construction est le premier secteur émetteur de CO2, devant le transport.
13.000 EMPLOISLe groupe Etex emploie 13.000 collaborateurs dans le monde, dont 1.400 en Belgique (siège social, usine, centre de R&D et centre IT).
Dans cette aventure, Etex s’engage avec l’esprit ouvert dans les constructions acier et bois, auprès des clientèles des entreprises et des particuliers, en deux (panneaux) comme en trois dimensions (modules). On est en apprentissage dans ces domaines, mais on apprend très vite, y compris par acquisitions. Et notre division New Ways (nom choisi pour indiquer que tout change) abrite désormais notre activité de construction légère en modules.
D’ici 10 ou 20 ans, croyez-vous que la majorité des nouvelles constructions seront légères?
Je ne sais pas, ce n’est pas la vitesse qui importe pour un groupe comme Etex. On préfère une croissance de 5% par an que doubler de taille en deux ans.
Mais se dirige-t-on vers un monde d’immeubles et de maisons en "light"?
C’est clair! Toutes les grandes tendances dans le monde pointent en ce sens: la technologie des matériaux, le manque de main d’œuvre qualifiée, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la durabilité plus largement… En outre, la fabrication en usine permet d’augmenter le niveau de précision et la garantie de qualité.
Pour réduire sensiblement les émissions de CO2 dans le secteur, le chemin sera-t-il long?
Dans les matériaux, les ambitions commencent à se réaliser. On peut rêver d’un monde qui soit neutre en CO2 dans la production de matériaux. Cela reste un défi technologique, mais c’est pour nous un objectif. Dans le secteur du bâtiment tout entier, en incluant le résidentiel, les hôpitaux, etc., il reste, en revanche, beaucoup à faire: l’enjeu pour réduire l’empreinte CO2 y dépasse largement celui au niveau des matériaux.
"Plutôt que le savoir-faire, c’est la performance qui nous achète notre liberté, c’est-à-dire notre croissance."
Comment fait-on pour diriger 13.000 personnes sur plus de 40 marchés?
On le fait à la façon d’Etex! (rires) La transformation dont on vient de parler est secondaire par rapport à celle du leadership au sein d’Etex. On a renversé les trois termes de l’équation: croissance, performance, personnel. Ce sont nos gens d’abord, qui développent une culture de la performance.
Plutôt que le savoir-faire, c’est la performance qui nous achète notre liberté, c’est-à-dire notre croissance. Cela donne de bons résultats, ainsi qu’en témoignent nos indicateurs non seulement financiers, mais aussi de satisfaction client, de motivation du personnel, de sécurité et de responsabilité sociale (CSR). Nous avons trouvé une harmonie entre le leadership autoritaire et le modèle démocratique, qui nous a permis de transformer l’esprit d’entreprendre des cadres et dirigeants en un entrepreneuriat du XXIe siècle, partagé par tous.
Concrètement, qu’est-ce que cela implique?
Nos collaborateurs sont entièrement responsables de leurs marchés et de leurs clients, mais ils acceptent, en même temps, l’obligation de collaborer et de cocréer avec d’autres.
"Nous avons d’ores et déjà décidé de verser une prime de solidarité à nos 13.000 employés pour leur participation à une année exceptionnelle."
Cela débouche-t-il sur une participation aux bénéfices?
Oui, et comme nos résultats 2020, qui seront dévoilés dans quelques jours, s’avèreront bien meilleurs que prévu, nous avons d’ores et déjà décidé de verser une prime de solidarité à nos 13.000 employés pour leur participation à une année exceptionnelle.
Tout cela nécessite aussi une vision pointue de notre politique de ressources humaines. 2021 sera, par exemple, la première année sans budget chez Etex. Personne n'avait envie de faire des budgets en année Covid, puis le département des finances nous a proposé de remplacer la pratique des budgets par une procédure plus agile, basée sur les actions à entreprendre, que nous étrennons cette année.
L’actionnariat d’Etex, essentiellement familial, est-il destiné à évoluer?
La famille détient la majorité du capital. Il y a deux raisons pour lesquelles nous n’avons pas besoin de revoir la structure de l’actionnariat. Un, la famille a une vision à long terme et veut être présente dans la société via une activité industrielle qui fait sens. Deux, elle a traduit cela en un niveau modeste de versement de dividende; on arrive, dès lors, à la fois à faire croître le dividende, à être libre de toute dette et à disposer d’un volume confortable de capitaux à investir.
Je salue, au passage, le départ de Jean-Louis de Cartier de Marchienne, un homme au style "challenging" mais très respectueux, qui a atteint la limite maximale de nombre de mandats et qui quitte la présidence du conseil d’Etex, où il sera remplacé par Jo Van Biesbroeck.
"On a eu une 'task force Covid' en place avant toute autre entreprise… et avant même que je n’en sois au courant!"
Comment Etex a-t-il traversé la crise pandémique l’an dernier?
On va présenter dans quelques jours de très bons résultats, atteints grâce à la transformation de notre culture au sein du groupe. Sachez qu’on a eu une "task force Covid" en place avant toute autre entreprise… et avant même que je n’en sois au courant! Etex a une usine de production de panneaux en fibre-ciment à Guangzhou (Canton), en Chine, ainsi qu’une série de fournisseurs chinois. Dès janvier 2020, ils se sont organisés et ont alerté nos unités dans les autres pays où nous sommes présents.
Notre comité de direction a bien entendu été impliqué, mais dans ce contexte, le centre de décision est resté très local. Et nos collaborateurs dans nos 40 marchés ont eu une réaction remarquable. Au début, ils ont établi leurs propres règles, puis ils ont échangé leurs meilleures pratiques avec les filiales des autres pays.
Le mouvement est donc parti de l’usine de Guangzhou?
Oui, de cette usine qui produit pour l’exportation, ainsi que de plusieurs fournisseurs clés. Nous avons, certes, des structures formelles dans le groupe, mais la puissance de l’informel et la volonté de collaborer dépassent de loin le pouvoir des structures matricielles.
CV Express de Paul Van Oyen
- Diplôme en géologie et minéralogie, complété par un master en management, KU Leuven.
- Après plusieurs années consacrées à la recherche, entrée au service d'Etex en 1990, d'abord comme chef de laboratoire de division chez Eternit Belgium.
- Directeur général pour l'Europe de l'Est en 2007, puis directeur de la division Protection Incendie et Isolation en 2011 .
- CEO d'Etex depuis janvier 2015.