Pages

24/11/2020

Rairies-Montrieux : la briquetterie familiale signe les façades mondiales

Une modeste entreprise centenaire située dans un village de 1000 habitants en Maine et Loire est reconnue mondialement pour sa production de briques et plaquettes de parement.

Photo : les façades du nouveau siège social du bailleur Immobilière Podeliha à Angers en cours de construction seront recouvertes de deux références émaillées blanches et claires de Rairies Montrieux ©Cabinet Rolland &Associés

Rairies-Montrieux fait partie de ces entreprises au parcours si classique qu’elles en deviennent atypiques. Créée à la veille de la première guerre mondiale, en 1910, par deux membres de la famille Montrieux, Ernest et Victor, dans le petit village des Rairies (en Maine-et-Loire, entre Angers et Le Mans), elle est devenue en cinq générations une référence des architectes et designer du bâtiment en matière de décoration intérieure et parement de façades.

Si le show-room à l’entrée du site de l’usine éclaire bien les intentions de l’industriel en matière de mise en valeur des murs intérieurs et extérieurs, c’est surtout son volumineux et luxueux catalogue pour architectes, renouvelé en 2019, qui souligne sa volonté de répondre au goût des concepteurs les plus exigeants.

Rémy Montrieux, fils d’Ernest Montrieux, l’un des deux fondateurs de l’entreprise, participe à la direction de l’entreprise Rairies-Montrieux depuis 1972. Il veille au développement technique de l’entreprise, à la richesse esthétique des gammes, comme au maintien de son esprit local.

Une affaire familiale et des aléas économiques

Si l’entreprise a été ballottée par les aléas économiques au cours des dernières décennies – faillites, sursaut… –, sa présence dans le monde de la construction semble tenir par son principal capital : son savoir-faire et la maîtrise de son outil de production aussi traditionnel que pointu.

Rémy Montrieux, fils d’Ernest Montrieux, 67 ans, actuellement directeur financier, « en retraite » depuis quelques années déjà mais en réalité aux commandes de l’entreprise – la présidence officielle par « Airmont » tient de l’énigme trop simple à déchiffrer… – exprime par des souvenirs personnels la profondeur de cette culture aussi technique que personnelle.

Une anecdote en témoigne. En passant devant une petite presse manuelle nettoyée, vernie et rangée dans le musée de l’entreprise organisée sous un ancien séchoir, il laisse filer un souvenir : à l’âge de 10 ans, il travaillait sur cet outil avec sa mère.

Dans ce bassin de l’ouest de la France où l’argile rouge affleure, beaucoup de villages disposaient de leur tuilerie-briqueterie pour répondre à la demande locale.

Si au cours des cinquante dernières années le secteur s’est fortement concentré – Wienerberger est installé dans la ville voisine de Durtal –, Rairies-Montrieux a survécu en s’appuyant sur ses trois piliers : la spécialisation dans les seuls briques, carreaux et plaquettes de parement ; la maîtrise de toute la chaîne industrielle ; et la cuisson au feu de bois.

Pour 2020, la prévision d’activité était fixée à 8,9 M€, pour 2021, à 10,2 M€ ; quant à l’export, sa projection à 2025 est de 2M€.

Un atelier au centre de l’usine réalise les moules d’extrusion pour la production des briques et plaquettes.

Une entreprise modeste à la sortie du village des Rairies

Située à la sortie du village des Rairies, l’entreprise présente toutes les caractéristiques de la modeste fabrique locale : hall d’accueil, zones d’entreposage, bâtiments industriels… Les foyers des quatre fours à bois sont visibles de la rue, et un parcours de visite à même été aménagé à travers le site pour la promenade bucolique des familles, avec exposition de photos, histoire de l’activité.

Plus concrètement, Rairies-Montrieux maîtrise toute la chaîne de son activité. L’entreprise possède ses carrières d’argile dans la campagne alentour. Chaque année, elle en exploite seulement 5 000 t et en achète autant pour produire ses mélanges de terres ; elles viennent de gisements en France, et aussi de Forêt Noire, en Allemagne, qui possède des filons d’argiles blanches et grises utiles pour certaines références, notamment les monocuissons.

À noter que cette propriété de gisements locaux d’argiles est très profitable : les carrières appartenant à Rairies-Montrieux fournissent ainsi chaque année environ 150 000 t de matière première à son voisin Wienerberger pour sa production de briques.

Rénovation à venir des 4 fours à bois

Sous ses bâtiments industriels, le briquetier dispose de l’ensemble de la chaîne des moyens de production. Mélangeurs, presses pour les filières d’extrusion, séchoirs, atelier de production de moules pour ces filières, fours à gaz et au bois, laboratoire pour la mise au point et le contrôle des productions (un investissement de 50 000 € réalisé il y a deux ans), atelier de préparation de teintes à la demande décrit comme une « aire de jeux » pour les architectes…

L’une des dernières créations est la finition brillante, dite « shiny », sur sept nuances de briques et parements dans le catalogue « Architextures ». Sinon, les plus exigeants peuvent demander un développement de couleur sous réserve d’une production minimal d’une vingtaine de mètres carrés.

Éléments stratégiques, les quatre fours à bois vont prochainement faire l’objet d’une rénovation complète. Vieux de 40 ans, d’une capacité unitaire de 40 m³, soit 1 000 m² de revêtement, ils seront démolis et remontées au même emplacement. Ici, l’investissement conséquent sera amorti par le savoir-faire interne.

Les briques réfractaires seront produites au sein de l’entreprise, le chantier suivi par les équipes techniques et le montage effectué par les compagnons en poste. Les coûts seront pratiquement limités aux heures passées et à l’immobilisation du site pendant le chantier.

Les six fours à bois de l’usine, âgés de 40 ans, seront prochainement démolis et reconstruits.

140 m2 à Paris au service des prescripteurs

Reconnue au niveau national, l’entreprise joue en réalité sur deux tableaux : un recrutement local de personnels connaisseurs des méthodes et équipements et qui se transmet les savoirs – on peut rencontrer un père et son fils côte à côte à leurs postes de travail –, et d’autre part un attrait pour les techniciens et ingénieurs de haut niveau.

Plusieurs recrues récentes sont précédemment passées par l’École nationale supérieure de céramique industrielle (ENSCI) de Limoges ou sortent du lycée professionnel Henri Brisson de Vierzon qui dispense le brevet des métiers d’art en céramique. Cette gestion des compétences assure le maintien de la culture technique. L’entreprise compte aujourd’hui 75 salariés, contre 45 en 2017.

Sur un plan plus commercial, Rairies-Montrieux s’est hissé au niveau de la prescription parisienne en occupant, depuis maintenant 20 ans, 140 m² dans une arche du Viaduc des Arts, avenue Daumesnil, dans le 12ème arrondissement de Paris. Cette adresse, qui reçoit, en temps normal, quatre à cinq architectes chaque jour, est progressivement devenue primordiale pour imposer la marque.

Un four en cours de chargement. La cuisson demande 36 heures. Un cycle de remplissage, cuisson et déchargement demande une semaine.

L’entreprise dispose de nombreux postes de travail, ici l’émaillage, où la main d’œuvre effectue des opérations de transfert et de contrôle des produits.

Des imperfections très prisées des architectes

Ce dernier point est important : si nombre de fournisseurs européens proposent des revêtements de terre cuite aux décors homogènes, d’un aspect si régulier qu’il en deviennent sans « caractère », ceux des Rairies attirent justement les designers par leurs imperfections simplement dues au mode de production plus artisanal et à leur emplacement dans le four durant la cuisson.

À son retour du service militaire, début des années 70, Rémy Montrieux participe activement à la gestion de l’entreprise familiale et l’oriente exclusivement vers les produits de façade. Aujourd’hui, la quasi-totalité des 250 000 m² produits chaque année couvrent 300 à 400 grands chantiers ; seuls 20 000 m² sont utilisés en maisons individuelles.

L’entreprise revendique notamment 20 % de parts de marché du revêtement des systèmes d’isolation thermique par l’extérieur (ITE) par éléments en terre cuite. La durabilité du produit – plus de 100 ans – apparaît comme un avantage déterminant dans sa fiche FDES (fiche de données environnementales et sanitaires). Pour s’intégrer à tous les projets, les références peuvent être exploitées dans un projet en gestion Bim.

Ces efforts acharnés paient. En 2019, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 8,8 M€, 24 % de plus qu’en 2018, 50 % de plus qu’en 2017. Le travail de fond mené depuis des décennies montre aussi des succès à l’international : près de 300 000 € ont été facturés en 2019, et l’objectif 2020 était initialement posé à 450 000 €.

Un label Entreprise du patrimoine vivant en 2006

Tous ces efforts ont-ils payé ? La croissance du chiffre d’affaires et le lancement de l’exportation indiquent concrètement leurs effets positifs, et d’autres signes le confirment. Depuis 2006, l’entreprise détient le label EPV, pour Entreprise du patrimoine vivant ; en 2020, elle a accroché le label local « Produit en Anjou ».

Et on peut à la fois être premier à la campagne et premier à la ville : Rairies-Montrieux a décroché le marché de la façade du nouveau siège du bailleur social Podeliha à Angers. Cet imposant bâtiment en L de 11 000 m² construit dans le quartier de la gare rassemble les bureaux des quelque 230 collaborateurs de l’entreprise (7 000 m²) ainsi qu’une centaine de logements (4 000 m²).

Ses façades seront recouvertes de deux références émaillées blanches et claires. Fort de ces succès et même s’il est toujours aussi investi, Rémy Montrieux ne cache pas son envie de faire un pas de plus. Il va falloir transmettre. Il reçoit régulièrement des propositions de rachat ; il y est ouvert.

Mais le choix n’est pas simple, car il veut y mettre toutes les garanties de respect du maintien des acquis, tant de l’esprit de l’entreprise que du savoir-faire. S’il a fixé son prix, les conditions à remplir sont contraignantes.

Source : batirama.com/ Bernard Reinteau