- À Altkirch, on connaît au moins le nom de Gilardoni puisqu’une rue porte ce nom. Qui était Xavier Gilardoni et quel rapport avec les deux autres personnages, Émile Muller et Alphonse Brault ?
-Jacques Vigneron : aux côtés de Thiébaud et François-Xavier Gilardoni, père de Xavier, qui ont développé l’entreprise Gilardoni frères, fondée en 1835 par leur beau-père à Altkirch, ces personnages sont trois Altkirchois qui deviendront des tuiliers et qui auront un cursus fort intéressant à Altkirch puis à Paris, après 1871.
Création du premier four industriel au monde
Les deux frères Gilardoni, Thiébaud et François-Xavier, ont œuvré pour l’obtention d’un brevet industriel, une tuile imperméable à emboîtement, un modèle révolutionnaire à l’époque. Pour produire ces tuiles en grande quantité, cette invention a été suivie d’une seconde complètement méconnue : la création et la construction du premier four industriel (ou continu) au monde pour la cuisson de la terre cuite à haute température (1 000 °C).
Cette invention qui date de 1846 est l’œuvre des frères Gilardoni et de leur associé Émile Muller, qui n’a aucun lien avec son homonyme, ancien maire de Mulhouse qui a donné son nom à l’hôpital de cette ville. Émile Muller, né en 1823, est un jeune ingénieur altkirchois issu de l’École centrale des arts et manufactures qui forme les cadres de l’industrie et de l’administration. Titulaire d’un titre d’architecte-constructeur, il s’est aussi investi dans d’autres réalisations, notamment sociales, en Alsace et à Mulhouse en particulier. Il est le concepteur et le réalisateur de la cité ouvrière autour des usines Dollfus-Mieg.
À Altkirch, il s’est illustré très jeune, à l’âge de 22 ans, en menant à bien les travaux prévus par la ville et la paroisse : la destruction de l’ancienne église, celle de la ruine médiévale du château et la construction de la nouvelle église Notre-Dame. Son travail est salué par tous et il est dit que c’est la première fois qu’un chantier complexe de cette envergure est conduit sans accident mortel.
Pour en revenir au four continu, il a été fonctionnel en 1854 mais le brevet officiel sera déposé par l’Allemand Hoffmann en 1859. C’est dommage ! Et pour l’anecdote, durant la première guerre mondiale, alors que la production de tuiles était à l’arrêt dans les deux usines des frères Gilardoni, à Altkirch et à Pargny, en Champagne, le four a été remis en service dans l’usine champenoise pour la torréfaction de la chicorée.
La « Maison Gilardoni » à Thiais (94), classée monument historique, une réalisation d’Alphonse Brault et Xavier Gilardoni.
- Vous vous dites frappé par le climat de confiance qui régnait entre les frères Gilardoni et Émile Muller…
- J. V. : En effet, Émile Muller est largement remercié par les frères Gilardoni qui lui devaient leur développement et qui ont créé avec lui une filiale à 50/50 dont ils lui laissent la totale responsabilité. Ayant opté pour la France en 1871, Émile Muller fonde une tuilerie à Ivry-sur-Seine et développe une activité complémentaire d’ornementation en céramique. Il est le créateur du grès cérame, breveté en 1886.
L’hommage du Gustave Eiffel
Il réalise au côté de son ami Gustave Eiffel, le pavillon français de l’exposition universelle de 1889, le musée éphémère des Beaux-arts et des arts modernes, une œuvre exceptionnelle avec ses dômes de couleur turquoise. Il s’activera d’ailleurs tellement pour le terminer à temps qu’il mourra peu après. Gustave Eiffel lui rendra un bel hommage, louant non seulement sa « recherche passionnée du beau » mais aussi sa fibre sociale.
- Alphonse Brault, lui, n’est pas né à Altkirch mais est quand même une figure de la ville selon vous…
- J.V. : Dans la foulée de François-Xavier Gilardoni et d’Émile Muller, Alphonse puis son fils Alfred Brault puis Xavier Gilardoni ont eu une action importante dans le cadre d’une société qui en dernier ressort porte le nom de Gilardoni fils, à ne pas confondre avec Gilardoni frères. À côté de leur activité principale, la tuilerie, ils s’impliquent fortement dans l’ornementation et la production d’œuvres en céramique.
Alphonse Brault, né à Angers la même année qu’Émile Muller, rencontre ce dernier à Altkirch où il est nommé professeur, sans doute de dessin, au collège d’Altkirch en 1845. Les deux hommes deviennent amis, Alphonse Brault seconde Émile Muller dans son usine d’Ivry-sur-Seine puis dirige une autre tuilerie à Choisy-le-Roi. Il crée la société Gilardoni fils, A. Brault & Cie en 1880.
Une « Maison Gilardoni » classée monument historique à Thiais
L’œuvre remarquable d’Alphonse Brault sera la construction de la « Maison Gilardoni » à Thiais, destinée à montrer tout ce que les deux hommes pouvaient proposer en céramique : terres cuites imitant la pierre et le marbre, tuiles mécaniques, tuiles écailles, bas-reliefs en terre cuite ou en grès cérame, terres cuites émaillées, mosaïques intérieures. Aujourd’hui, ce bâtiment classé monument historique appartient à la Cour des comptes qui le protège et le met à disposition d’organismes de soutien à la jeunesse en difficulté.
Source Les dernières nouvelles d'Alsace par Noëlle BLIND-GANDER