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26/04/2020

Patrimoine du Trégor-Goëlo : pourquoi ces tuiles rouges sur certains toits ?

Dans le paysage d'ardoise bleue, certaines bâtisses du nord-Bretagne sont étonnamment couvertes de tuiles rouges,parfois à l'effigie de la reine Victoria. Quelle est leur origine ?

Le promeneur attentif, arpentant les routes du Trégor, de Paimpol à Morlaix, aura-t-il remarqué les îlots de tuiles rouges dans un paysage d’ardoises bleues ?

L’association Océanide, dont la mission est de recenser et valoriser le patrimoine maritime du Pays de Tréguier, s’est intéressée de très près aux tuiles rouges en Trégor-Goëlo.

Michel Le Hénaff et André le Person, férus du patrimoine local, apportent des éléments de réponse :

« Cette singularité architecturale doit son origine aux relations maritimes étroites réalisées par cabotage à voile, entre la côte nord de Bretagne et le sud-ouest de l’Angleterre »

Depuis l’Angleterre
L’examen des tuiles les plus anciennes montre qu’elles proviennent de Bridgewater, un petit port situé non loin de Bristol et Cardiff, où depuis 1830, quatre usines fabriquent les fameuses tuiles rouges, de modèle double romaines.

Une région bien connue des capitaines bretons puisque c’est vers ce comté du Somerset que leurs voiliers se rendaient régulièrement chargés de poteaux de mines (issus entre autres de la forêt de Penhoat-Lancerf) pour revenir les cales remplies du charbon gallois, distribuées surtout depuis le port de Tréguier.

« Si cet échange de fret outre-Manche assure un débouché rentable et régulier l’hiver, il en va autrement aux beaux jours. Et puisque l’exportation de légumes bretons (pommes de terre, artichauts, choux-fleurs, oignons…) s’avère des plus lucratives, certains capitaines ont alors l’idée de ramener des tuiles rouges de Bridgewater ».

Pour lester le bateau
Les capitaines trouvent rapidement plusieurs avantages à ce commerce :

« Outre le fait de servir de lest, les tuiles salissent moins le bateau que le charbon, leur prix est intéressant et leur manipulation plutôt aisée en raison de leur solidité. »

À la place du chaume

Sans compter qu’à la différence du Finistère et du Morbihan, l’habitat rural dans notre département n’était pas tenu d’utiliser l’ardoise.

La tuile rouge, moins chère que la pierre bleue, permettait de remplacer avantageusement le chaume amené à se dégrader rapidement sous notre climat.

Les nombreux incendies dus aux bougies ou lampes à pétrole incitaient d’ailleurs les assureurs à préconiser la tuile, sans compter les raisons d’ordre hygiénique.

Tuiles mécaniques
Et même si la charpente dédiée à les recevoir, le plus souvent sur un penty (petite maison), devait être renforcée, ce matériau rencontra un joli succès jusqu’aux années 20.

Date vers laquelle les tuiles galloises furent peu à peu concurrencées par la tuile à emboîtement, fabriquée en France, dite aussi « tuile mécanique » car fabriquée en grandes séries à l’aide d’une presse. Des tuiles plus légères, plus faciles à poser et de ce fait, plus économiques.

Et si sur notre territoire l’ardoise grise ou bleue, autrefois du pays, aujourd’hui d’Anjou ou d’Espagne, règne en maître sur les charpentes bretonnes, quelques toits rouges de-ci de-là, demeurent encore, comme un clin d’œil à cette époque du cabotage à la voile.

Réputation mondiale
La tuile anglaise du Sommerset produite par Symons & Co est très reconnaissable : faite dans des moules en bois, elle est ondulée en double romaine de 4 kg, sans agrafe ni rebord.
À Bridgwater, l’argile alluviale est utilisée depuis le Moyen-Âge pour fabriquer des tuiles.
Au milieu du XIXe siècle, quatre usines tournent à plein régime. Les fours de cuisson, qui peuvent en contenir 5 000 à la fois, sont alimentés par le charbon des mines proches du Pays de Galles. Ces tuiles ondulées, faites à la main avec un moule en bois, obtiennent une réputation mondiale.
En 1867, Symons & Co gagne une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris. La firme obtient alors le droit de graver le portrait de Napoléon III sur chaque tuile (ce qui laissa croire à tort, à une production française)
D’autres productions de Bridgewater, de chez Brown & Co, encore plus rares, estampillées du sceau de la reine Victoria, peut encore se retrouver sur l’une de nos toitures locales, comme sur cette grange en bordure du Jaudy à Trédarzec.
Aujourd’hui, sur les rives de la rivière Parret, dans la ville de Bridgwater, en Angleterre, les usines ont depuis longtemps fermé leurs portes. Seul le Musée de la brique et de l’industrie du Somerset évoque cette industrie passée.

Source Actu par David Kerhervé

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