Pages

22/03/2020

Pour réduire les émissions de CO2 de l'industrie, les pompes à chaleur montent en température

Selon l’AIE, le captage de CO2 est indispensable pour décarboner l’industrie mais reste trop cher
« La donne change pour la récupération de chaleur fatale dans l’industrie », lance Gilles David, PDG d’Enertime

Pour réduire les émissions de CO2 de l'industrie, les pompes à chaleur montent en température
En poussant la température à la sortie du condenseur à plus de 80 °C, voire 100 °C, les pompes à chaleur haute température permettent de valoriser des gisements de chaleur fatale inexploités dans l’industrie, tout en réduisant les émissions de CO2.

Une pompe à chaleur (PAC) valorise d’autant plus un gisement de chaleur fatale qu’elle rehausse le niveau thermique. Le fluide frigorigène, qui circule en boucle entre l’évaporateur (source froide) et le condenseur (source chaude), gagne plusieurs dizaines de degrés sous l’action d’un compresseur mécanique – ou thermique dans une PAC gaz à absorption. Cette plus-value énergétique peut ensuite être mise à profit pour alimenter un réseau de chaleur, le chauffage d’un bâtiment, voire un processus industriel. Pour ce dernier usage cependant, le champ opérationnel de la PAC était restreint avant 2010, la température maximale à la sortie du condenseur se limitant à 70 °C. C’est suffisant pour sécher du malt, par exemple, mais guère plus… Les limites ont été repoussées chaque année depuis : les PAC dites à haute température (HT) approchent, atteignent voire dépassent 90 °C.

Cette évolution ouvre de nouvelles perspectives, car « elle coïncide avec les besoins des industriels », plaide Jean-Marie Fourmigué, chef de projet en R & D sur l’efficacité énergétique dans l’industrie chez EDF. Lors d’une présentation à Paris, en octobre, à l’initiative de l’Alliance industrielle pour la compétitivité et l’efficacité énergétique (Allice), cet ingénieur et docteur en physique prenait l’exemple d’un producteur de boissons, en Suisse. À la sortie des groupes frigorifiques dans les chambres froides, l’énergie calorique à 37 °C est transformée par une PAC en eau chaude à 95 °C, servant à la désinfection des récipients. Les émissions de CO2 ont été réduites de 40 %, grâce à une économie de combustible de 26 000 litres par an.

C’est un cas édifiant de réintroduction de chaleur fatale dans le process. Mais la PAC HT peut améliorer l’efficacité énergétique des installations de la production de chaleur, par exemple en relevant la température du retour d’eau dans une chaudière. Une PAC est d’autant plus efficace, donc rentable, que son coefficient de performance (COP) est élevé. Cet indicateur exprime le rapport entre l’énergie thermique produite et l’énergie électrique consommée par le compresseur. « Moyennant un COP de 4, une PAC remplace 1 MWh de gaz par 250 kWh d’électricité, évalue Jean-Marie Fourmigué. Même si l’électricité est deux fois plus chère que le gaz pour les industriels, l’amortissement est réalisé en quatre à cinq ans. De plus, l’électricité en France, d’origine essentiellement nucléaire et hydraulique, contient quatre fois moins de CO2.» Un terrain favorable pour la PAC.

De nombreux débouchés
«La température idéale de la source se situe entre 40 et 80 °C, estime Jean-Marie Fourmigué. Il s’agit des rejets liquides ou gazeux provenant des groupes frigorifiques, des buées de sécheurs ou des eaux de refroidissement. » Ces gammes de température s’observent dans l’agroalimentaire, la papeterie et certaines industries chimiques. Après l’augmentation de température produite par la PAC, les débouchés potentiels aux alentours de 80-90 °C sont nombreux : séchage d’aliments ou du papier-carton, pasteurisation, préchauffage ou chauffage de moules dans la plasturgie, nettoyage à l’eau chaude des équipements… Les aciéries, verreries et sites où la production est très exothermique n’ont en revanche aucun intérêt à choisir une PAC : les effluents à plus de 150 °C sont directement exploitables à l’aide d’un échangeur.

Les progrès de la PAC HT doivent aux recherches menées sur les fluides frigorigènes et l’utilisation de nouveaux compresseurs. Le fluide frigorigène idéal possède la température critique la plus élevée possible, une excellente enthalpie et satisfait dans le même temps les réglementations protégeant l’environnement. À cause de leur impact dévastateur sur la couche d’ozone, les chlorofluorocarbones (CFC) ont été bannis depuis la signature du protocole de Montréal, en 1985. Leurs successeurs, les HCFC et HFC (hydrofluorocarbones), sont quant à eux de puissants gaz à effet de serre, dont le développement a été freiné. Les pays signataires de l’accord de Kigali, en 2016, qui a amendé le protocole de Montréal, se sont engagés à réduire de 80 % la production et l’utilisation des HFC ces trente prochaines années.

L’avenir immédiat appartient désormais aux hydrofluoro-oléfines (HFO). « Ces fluides de quatrième génération possèdent un potentiel de réchauffement global (PRG) minime et leur potentiel de déplétion ozonique (PDO) est nul », précise Ismael Zaïd, ingénieur grands comptes chez EDF, qui a travaillé à partir de 2007 en partenariat avec Johnson Controls, Carrier – deux des plus grands fournisseurs – et le frigoriste Clauger. Dans la famille des HFO, le R1234ze, ou tétrafluoropropylène, est le composé de synthèse le plus répandu aujourd’hui. Son léger potentiel d’inflammabilité – classé A2L selon la norme EN378 – impose toutefois un local ventilé. Les HFO sont des fluides à basse pression (20-30 bars) capables d’exploiter le vaste gisement de températures autour de 80-95 °C. Mais ils sont limités à 100 °C. Pour aller au-delà, les constructeurs se sont tournés vers le classique ammoniac, dont la température critique atteint 131 °C.

C’est la mise au point de compresseurs à haute pression (70-80 bars) pour les industries chimiques et pétrochimiques notamment, qui a permis de développer l’usage dans les PAC HT de cette molécule naturelle aux multiples avantages. L’ammoniac est peu coûteux, se négociant 3 euros le kilo, contre 40 euros pour le R1234ze. Par ailleurs, son enthalpie est deux fois plus grande, ce qui signifie que « pour une même puissance thermique, le compresseur doit entraîner un seul volume d’ammoniac contre deux volumes de fluide HFO, détaille Jean-Jacques Lebatard, le responsable du développement commercial des PAC de Johnson Controls. L’ammoniac est certes toxique, mais n’entre pas dans le cadre de l’ICPE [installation classée pour la protection de l’environnement, ndlr] tant que la PAC n’en contient pas plus de 150 kg. Et même avec cela, on produit déjà plus de 2 MW. » L’arrivée de compresseurs à 130-160 bars a enfin ouvert les portes aux PAC à base de CO2, dont les températures en sortie avoisinent 110-120 °C.

Un lourd investissement
L’offre de PAC à très haute température (THT), à plus de 100 °C, provient de PME et de start-up. Les multinationales Johnson Controls et Carrier, suivies par GEA, Friotherm et quelques autres, se concentrent sur les PAC HT. Les PAC THT représentent une solution intéressante pour certaines applications, comme la distillation ou la stérilisation. « Mais le marché français, bureaux d’études compris, méconnaît cette offre », regrette Pascal Drevet, le président de Tenova et importateur de l’allemand Combitherm et de l’autrichien Ochsner. Toutefois, dans leur majorité, ces PAC THT sont soit des prototypes, soit conçues sur mesure. Ou elles emploient du R245fa, un fluide HFC dont la disparition est programmée. De plus, les décideurs hésitent à intégrer une PAC dont le fournisseur n’est pas aussi bien implanté que les géants du secteur. « C’est le principal frein, relève Ismael Zaïd. Trop peu de fournisseurs de PAC sont du calibre de Johnson Controls, Carrier, GEA et autres, qui fabriquent des machines en série, disponibles sur catalogue. »

Le déploiement des PAC HT est encore freiné par leur coût. Un modèle de Johnson Controls d’une puissance de 1,71 MW vaut 470 000 euros. Sans compter l’étude et la mise en œuvre, complexe si la distance entre la source et le puits de chaleur est grande. Au total, selon Jean-Marie Fourmigué, il faut compter près de 500 000 euros pour 1 MW thermique produit. Un industriel est souvent plus enclin à investir un tel budget dans la modernisation de son outil de production. Des incitations financières existent cependant : subventions publiques, Fonds chaleur ou certificats d’économies d’énergie. Sans oublier les certificats d’économies d’énergie, dont l’augmentation de la prime pourrait accélérer l’essor des PAC HT.

Source Industrie Techno

Aucun commentaire: