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20/10/2019

Terrabloc change la terre en pierre

La start-up genevoise remporte la deuxième édition du Prix SUD, organisé par «Le Temps». En produisant des briques à partir de déchets d’excavation, elle réinvente une technique ancestrale, la construction en terre crue, tout en appliquant le principe d’économie circulaire au secteur du bâtiment

Oubliez le machine learning, la blockchain, l’intermédiation ou toute autre innovation que l’imaginaire rapporterait au mot start-up. Terrabloc est bien une jeune entreprise de quelques employés qui cherche à grandir et à fignoler son modèle d’affaires. Mais elle ne travaille pas dans un garage, n’a pas d’open space ni de données stockées dans le cloud. Cela ne l’a pas empêchée de remporter la deuxième édition du Prix SUD, le prix de la start-up durable créé et organisé par Le Temps, qui a été remis jeudi soir à Lausanne.

Terrabloc travaille la terre. Celle de nos sous-sols, celle dont plus personne ne veut. Elle la récupère sur les chantiers, la concasse, la mélange, la compresse et en fait des briques. Rien de bien technologique, mais la réinvention intelligente d’une technique ancestrale qui s’inscrit dans un mouvement de fonds et bénéficie d’une prise de conscience écologique généralisée. Une deuxième vie pour les déchets d’excavation locaux qui sont recyclés… pour des chantiers locaux.

De savants mélanges

Le produit de Terrabloc, c’est la terre crue. Lorsqu’il présente son activité, le cofondateur Rodrigo Fernandez évoque volontiers la célèbre citadelle de Bam, en Iran, dont les habitations et la forteresse en adobe, mélange d’argile et de sable, s’étendaient sur une superficie de 180 000 m², avant de s’effondrer lors du grand tremblement de terre de 2003.


La citadelle de Bam, en Iran, un an après le tremblement de terre de 2003
Cette référence n’est pas de la prétention. C’est une manière de souligner que lui et son associé, l’architecte Laurent de Wurstemberger, n’ont rien inventé en créant Terrabloc. Ils n’ont fait qu’améliorer une vieille recette. «Notre savoir-faire, ce sont les mélanges et les techniques de stabilisation, nous avons réalisé une multitude de tests en amont et désormais, c’est surtout à l’expérience que nous sommes capables de savoir si une terre peut convenir à la fabrication de briques ou si elle a besoin d’être mélangée à une autre», confie l’ingénieur de l’EPFL spécialisé en matériaux. Il ne cache pas non plus qu’une part de ciment – entre 3 et 5% – est ajoutée à ces savants mélanges.

Rodrigo Fernandez
«Le Temps» a rencontré Rodrigo Fernandez sur le site de la société Cornaz, à Allaman (VD), avec laquelle les deux associés se sont liés. Dans l’un des entrepôts repose un stock brunâtre: quelque 100 m³ de terre particulièrement riche en argile et dont une partie a été piochée pour être ajoutée à une terre plus sèche afin de répondre à une commande de briques à Chexbres.

Tout à côté des milliers de palettes de briques en terre cuite, de pavés et de dalles entreposées chez Cornaz, les employés de l’entreprise sont en train de fabriquer des éléments de murs de soutènement en béton. Mais deux à trois jours par mois, désormais, la machine change de métier. C’est la terre de Terrabloc qui y est compactée dans des moules par une gigantesque et bruyante presse vibrante.

Les trois quarts de nos produits ne sont pas porteurs. Nous n’avons pas l’ambition de remplacer le béton

Cette industrialisation a permis à Terrabloc d’augmenter ses capacités de production de 1000 à 25 000 blocs par jour. Et de réduire les prix à 110 francs le m². Contre 180 francs à ses débuts, lorsqu’elle n’utilisait que sa petite machine débitant une brique après l’autre. Un modèle artisanal plus fort symboliquement, mais qui n’est pas rentable, reconnaît l’ingénieur. Le «brique par brique» est encore utile pour de petits ouvrages, mais il revêt désormais aussi un but pédagogique, comme sur le chantier d’une école à Estavayer-le-Lac, où les élèves ont pu être sensibilisés aux vertus de la brique écologique..

Ce que ces écoliers auront peut-être appris au passage, c’est qu’à elle seule, la fabrication du béton traditionnel, composé de ciment à hauteur d’environ 15%, est responsable de 5 à 10% des émissions totales de CO2 dans le pays. Mais Rodrigo Fernandez prévient, Terrabloc ne va pas tout changer: «Les trois quarts de nos produits ne sont pas porteurs. Nous n’avons pas l’ambition de remplacer le béton.»

Le retour à la terre
Des façades et de l’ornement surtout, donc. Comme une autre technique similaire mais devenue marginale, le pisé, que la révolution industrielle a plus ou moins englouti. La terre était alors devenue un matériau évoquant la pauvreté et l’artisanat. Elle ne faisait plus le poids face à l’efficacité du béton et de l’acier.

Mais aujourd’hui, à l’image de la réalisation de l’Autrichien Martin Rauch pour la Maison des plantes du confiseur Ricola, à Laufon (BL), les charmes séculaires du pisé séduisent de nouveau. Sauf que le prix de cette méthode est un luxe que tout le monde ne peut pas se permettre. «Ce n’est pas la conception que nous avons de Terrabloc, coupe Rodrigo Fernandez. Nous voulons que l’utilisation de la terre se démocratise.»

Cela semble en bonne voie. L’entreprise a déjà réalisé une quinzaine d’ouvrages. Et une quinzaine d’autres sont en préparation, dont certains de grande ampleur. Le bouche-à-oreille fait son œuvre, les projets déjà réalisés rassurent les hésitants et l’expansion s’accélère. En 2018, le chiffre d’affaires de Terrabloc a atteint 200 000 francs. Et il devrait flirter avec les 500 000 francs cette année.

Ce sont des murs vivants. Il y a des reflets grisés, beiges, couleur sable et des variations de teintes entre chaque brique

Manuel Barthassat, architecte
Si le surcoût d’environ 10%, par rapport à des briques d’ornement en terre cuite classiques, retient certains maîtres d’ouvrage, cela n’a pas été le cas du couple Genton. L’un des derniers ouvrages en briques Terrabloc, ce sont les façades extérieures pour un bâtiment de neuf logements à Lancy (GE), réalisé l’hiver dernier. L’un des architectes, Manuel Barthassat, est séduit. «Ce sont des murs vivants. Il y a des reflets grisés, beiges, couleur sable et des variations de teintes entre chaque brique. C’est, en plus, un matériau très respirant qui absorbe une partie de la chaleur.» Résultat, une façade de 205 m² exposée au soleil, mais protégée de la pluie par des terrasses.

Manuel Barthassat espère pouvoir convaincre d’autres clients. «On aimerait retravailler avec Terrabloc dès qu’on le pourra, on va en tout cas militer pour que cela soit possible dans d’autres projets», assure-t-il. Une bonne nouvelle pour la start-up, puisque «nos vecteurs de vente sont davantage les architectes que les maîtres d’ouvrage», résume Rodrigo Fernandez.

Pour la réalisation de Lancy, les briques ont été constituées à partir de la terre extraite sur le même site. Dans l’idéal, Rodrigo Fernandez voudrait que tous les chantiers puissent s’auto-alimenter. Ou que le chemin entre la terre et la fabrication des briques reste limité à une dizaine de kilomètres. Mais les quantités ou la qualité ne sont pas toujours au rendez-vous. Alors le cofondateur de Terrabloc s’est fixé une limite: pas plus de 50 km pour transporter la terre. «C’est la moyenne effectuée par les camions de chantiers à Genève pour aller jeter la terre, parfois en France voisine.»

Le principe de l’économie circulaire appliqué au monde de la construction. C’est l’argument qui a fini de convaincre les membres du jury d’attribuer le Prix SUD à Terrabloc.

Source Le Temps

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