Longtemps cantonné au rayon des exceptions (une exception économique comme il existe une exception culturelle) et donc marginalisé dans un monde économique dominé par les sociétés à actions, le modèle coopératif fait figure d'alternative et de modèle d'avenir. A l'heure de l'urgence climatique et des bouleversements sociaux sous l'influence notamment de la révolution numérique, les limites de l'entreprise capitalistique, centrée sur la seule valorisation du capital financier, apparaissent un peu plus au grand jour. Mais ne nous méprenons pas : de même qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, la loi PACTE n'annonce pas un Grand soir mais plutôt un pas en avant timide vers la transformation réelle et concrète des entreprises.
La loi pourrait même servir de faux-nez à certaines entreprises qui, à la faveur du changement de leur objet social et d'un « label » non contraignant, pourraient être tentées, à grand renfort de communication, de s'abandonner au « socialwashing ». Autrement dit, paraître pour ce qu'elles ne sont pas et livrer ainsi une concurrence particulièrement déloyale aux entreprises coopératives qui, dans un monde purement marchand, ont pris le pari d'investir sans relâche pour faire de la gouvernance démocratisée, du partage des richesses, du travail émancipateur pour ses salariés et de l'écoresponsabilité, non plus une somme de contraintes mais un avantage compétitif durable.
A vrai dire, la confusion serait préjudiciable pour la société toute entière tant les coopératives pourraient être fragilisées par cette concurrence faussement vertueuse. Le monde coopératif offre, par les principes de fonctionnement qu'il s'applique, un rempart utile contre les maux et les outrances du capitalisme lorsque ce dernier est abusivement financiarisé et enfermé dans une rentabilité de court terme alors que la lutte contre les inégalités et la précarité, mais également la transition écologique, nécessitent un investissement de long terme. Cette exigence de long terme est également l'essence des entreprises coopératives car leurs résultats financiers sont répartis entre une « part entreprise », qui les engagent à constituer des réserves financières pérennes de développement et d'investissement, et une « part travail » attribuée équitablement aux salariés. C'est ce modèle vertueux qui est aujourd'hui porté par 3500 Sociétés coopérative et participative (SCOP) et Sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC), dont de grandes réussites nationales et internationales (ACOME, Bouyer Leroux, Enercoop, Habitats Solidaires, Saprena, Scopelec, Up, UTB ...), qui emploient plus de 60 000 personnes et génèrent un chiffre d'affaires agrégé de 5,5 milliards d'euros.
Mais la coopérative n'est pas seulement un autre ou contre modèle. Elle porte surtout l'espoir de répondre concrètement aux aspirations de plus en plus pressantes des individus pour davantage de transparence, de proximité et de justice dans l'organisation économique et politique de la société. Certains ont cru, un court moment, que la puissance de la technologie, notamment déployée par les GAFA, seraient le nouveau vecteur du progrès social, le ressort d'un travail plus libre dans une société plus ouverte. Mais la technologie n'est qu'un moyen sans finalité a priori. Or, ce que nous observons est l'émergence de travailleurs indépendants exploités par les plateformes, et la montée en puissance d'un salariat à deux vitesses.
C'est contre ces fractures sociales, économiques et, aujourd'hui numériques, que les SCOP et les SCIC ne savent user de moyens, par exemple technologiques, que pour les accorder à un « bien commun » et, pour cette raison, ont tout lieu d'être les fers de lance, par exemple, de la « Social Tech », ce mouvement, en devenir et d'avenir, qui met la technologie au service de l'intérêt général.
Ainsi, et bien que cela puisse paraître paradoxal au premier abord, nos sociétés individualistes font naître un puissant désir de solidarité. Jamais sans doute les individus n'ont eu autant besoin de s'épauler, l'État, les entreprises et les territoires de collaborer avec les corps intermédiaires et des tiers de confiance robustes. Les entreprises coopératives sont de ceux-ci.
Source La Tribune par Youssef Achour
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