Pages

11/01/2019

Eco-urbanisme : les maisons passives passent à l’action

Sur la terrasse de Benjamin, charpentier, dans l’éco-hameau des Allouviers à Romette (Hautes-Alpes). 

A Romette, près de Gap, six familles menées par Romuald Marlin, architecte militant et pionnier de l’habitat bioclimatique, ont construit un petit écoquartier d’habitations autonomes énergiquement, en matériaux locaux et écologiques. Une intéressante expérience d’habitat partagé construit en bois.
  Eco-urbanisme : les maisons passives passent à l’action
L’éco-urbanisme du XXIe siècle existe et il est enthousiasmant. Le tout récent éco-hameau des Allouviers, à Romette, commune associée à la ville de Gap, fait à lui seul la synthèse de toutes les techniques qu’il est possible d’utiliser pour construire en harmonie avec la nature. Ce projet exemplaire, porté par six familles depuis 2012, regroupe six belles maisons, où vivent désormais dix-huit personnes, sur un terrain de 4 500 m² en pente.

Benjamin, charpentier de 34 ans, reçoit dans sa grande salle de séjour arrondie, ouvrant sur une terrasse de bois local, suspendue à la vue imprenable sur Gap : «J’hallucine sur le confort de cette maison. J’ai fait l’investissement de départ, et depuis je ne dépense plus rien ou presque : la maison fonctionne toute seule.» Il insiste sur la cohérence de l’ensemble du hameau : «Nous sommes allés au bout du projet, sur l’isolation, les consommations, les matériaux, les sources locales, l’équilibre entre densité et intimité…»

Ces maisons sont à la fois bioclimatiques, passives énergétiquement, construites en matériaux écologiques produits localement, et s’insèrent dans une dynamique de construction collective et d’habitat partagé. Pour le site Build Green, cet éco-hameau représente «l’une des réalisations les plus pertinentes» observées à ce jour : «Difficile de trouver des défauts, conception bioclimatique, choix des matériaux, mutualisation, on approche de la perfection.» Le projet est lauréat - catégorie habitat neuf - du grand prix de la construction et de l’aménagement durables, décerné par le département et le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) des Hautes-Alpes.

«Toute une vie de connaissances»
C’est Romuald Marlin, 64 ans, architecte haut-alpin militant et engagé de longue date dans l’habitat bioclimatique, qui a conçu ces six maisons, dont la sienne qu’il partage avec sa compagne, Marie. En ce matin de fin décembre, après une nuit de gel, quelques flocons volètent derrière les grandes baies vitrées mais il fait bon dans leur maison aux lignes harmonieuses et chaleureuses, parois revêtues de terre-argile ou de frêne, sols couverts de planchers et ou de jonc de mer : 18,5 degrés partout, même près des fenêtres. Et pourtant, sourit Marie, «nous n’avons pas chauffé depuis quarante-huit heures. Nous n’utilisons notre poêle à bois que si nous avons trois jours sans soleil».

L'habitat partagé les Allouviers à Romette (Hautes-Alpes) conçu en utilisant des éco-matétiaux et des énergies renouvelables, le 21-12-18. COMMANDE N° 2018-1773Photo Pablo Chignard. Hans Lucas

Romuald Marlin détaille la conjonction de techniques qui permettent ce résultat vaguement miraculeux, sans ostentation : c’est le fruit de «toute une vie de connaissances», concède-t-il tout au plus… Tout semble évident et logique, chaque détail s’imbrique dans l’ensemble. Reprenons point par point.

Les maisons du hameau des Allouviers sont bioclimatiques : les six familles ont choisi un terrain plein sud, à quelques kilomètres du centre-ville de Gap, pour un accès facile en vélo et en transports en commun. Les bâtiments sont orientés pour être protégés des vents dominants du nord et profiter au maximum des apports du soleil : les pièces à vivre s’ouvrent au sud, les chambres, dressings et celliers sont au nord, sans grandes ouvertures mais éclairés par des puits de lumière. La conception des maisons a permis de limiter au maximum les terrassements et l’impact sur la topographie du terrain. La majorité d’entre elles sont même bâties sur pilotis, afin d’éviter les lourdes fondations en béton, matériau très coûteux en énergie pour sa fabrication (l’énergie «grise»).

Chauffage par effet de serre
Les maisons sont en outre «passives» : leurs performances énergétiques sont maximales grâce à leur isolation parfaite (murs de 40 centimètres d’épaisseur, portes d’entrée avec sas, triple vitrage dont une face externe à faible émissivité) et leurs systèmes de ventilation à double flux, compact et efficace (l’air aspiré dans la maison transmet, avant d’être rejeté à l’extérieur, 98 % de son énergie à l’air entrant par de petites bouches d’aération). Les pièces sont chauffées par les apports solaires externes, par effet de serre à travers les baies vitrées et par des murs capteurs d’énergie, qui chargent la chaleur du soleil, le jour, et la restituent à l’intérieur de la maison, la nuit. La cuisine, la chaleur humaine et le petit poêle fournissent le reste. L’eau chaude est essentiellement solaire, les eaux de pluie sont récupérées et réutilisées à l’évier, les ampoules sont des LED, les toilettes sont sèches…

Pierre et Sylvie, dans la maison mitoyenne, sont les plus anciens occupants du hameau : en un an de vie ici, ils ont brûlé moins d’un demi stère de bois au total, et leur consommation d’eau a chuté à 3 m3 par mois. Ils se sont équipés de panneaux photovoltaïques et produisent deux fois plus d’électricité qu’ils n’en consomment. Eux-mêmes sont épatés par ces consommations réduites au maximum : «Cette maison nous pousse à être vertueux !»

Les six constructions ont été bâties avec des matériaux biosourcés, à très faible énergie grise donc, et recyclables. Structure en bois, isolations en plaques de laine de chanvre, en fibre de bois, en balle de riz, bardage extérieur de bois brut non traité, revêtement en argile et ocre naturelles, tuiles de terre cuite, etc. : la proportion d’écomatériaux atteint les 80 % du total ! Ils ont en outre quasiment tous été produits ou récupérés dans les environs, à moins de 50 kilomètres, et la totalité des entreprises sollicitées sont du coin. Le bilan carbone du chantier est exceptionnellement faible…

Le hameau est enfin un projet collectif, concerté, négocié et ciselé en commun, ce qui a permis des économies substantielles de coût et d’espace. Constituées en société civile immobilière d’attribution (SCIA), les six familles ont acheté ensemble le terrain - 70 000 euros par foyer -, ont pu imposer à ERDF l’enfouissement de la ligne moyenne tension traversant leur parcelle et déposer un permis de construire unique. Les achats mutualisés ont permis d’effacer les surcoûts de certains matériaux biosourcés et des dispositifs énergétiques. Au bout du compte, chacune des maisons, qui vont de 97 à 134 m², aura coûté de 1 800 à 2 100 euros le mètre carré, selon le degré d’investissement personnel de chacun concernant les travaux… et les habitants du hameau ont beaucoup œuvré par eux-mêmes, beaucoup appris, se soutenant à tour de rôle pour les phases d’isolation et de finition.

Maison pour les amis
La SCIA va être dissoute, chaque foyer récupérant sa maison et une parcelle minimale autour des murs. Le reliquat du terrain reste mutualisé avec ses potagers en terrasses, son parking collectif, ses voiries soigneusement pensées pour permettre l’échange et les rencontres sans jamais les imposer, et ses locaux collectifs en voie de finition : buanderie, séchoir et petite maison légère sur pilotis avec dix-huit couchage pour les amis.

Pour Romuald Marlin, «proposer une nouvelle forme d’urbanisme, c’est aussi développer un autre vivre ensemble, mutualiser les efforts et les coûts de la construction, participer aux travaux communs, partager et échanger services et équipements»… S’il est heureux de voir ses conceptions bioclimatiques - enfin - saluées, il ne se fait guère d’illusions : «Cela reste marginal. 90 % du neuf construit, c’est "béton-polystyrène", y compris du côté des collectivités territoriales. La seule chose qui prime, c’est le coût de construction initial… alors que le coût à terme du bioclimatique est très vertueux !» D’un geste, il désigne la ville en contrebas : «Pour chaque maison, c’est 2 000 euros de fioul ou de gaz par an… Pourtant, la logique de notre hameau est transposable à la rénovation en milieu urbain. Le champ des possibles est passionnant, mais il reste ignoré.»

Source Libération par François Carrel, Envoyé spécial à Gap (Hautes-Alpes) Photos Pablo Chignard. Hans Lucas

Aucun commentaire: