Pages

15/04/2018

Ainsi font, font, font les fonds d'investissement

Une fois leur deal bouclé, les fonds anglo-saxons entament la phase la plus complexe de leur mission : générer du cash sur leur cible. Le directeur du fonds britannique Cinven, Hugh Langmuir, annonce toujours la couleur lorsqu'il débarque dans une entreprise " sous gestion " : " En règle générale, nous recherchons un retour sur investissement de 20 % net. " " On va vite, c'est notre philosophie ", renchérit Franck Falézan, le patron de Carlyle en France. Quitte à bousculer des managers qui avaient une autre vision de l'entreprise. 

Le plus souvent, le code de valeurs des nouveaux propriétaires ne tarde pas à remplacer les habitudes maison : conference calls hebdomadaires, reporting. " Ils apportent une vraie culture de la trésorerie et de la rentabilité ", explique Olivier Dousset, directeur associé de Close Brothers. Pour y parvenir, les gestionnaires des fonds passent tous les postes au peigne fin. " Le suivi de trésorerie faisait l'objet d'un point quotidien du temps de Carlyle ", témoigne Hervé Gastinel, président de Terreal, le fabricant historique de tuiles de Saint-Gobain, cédé début août 2005 par l'investisseur américain au fonds LBO France. A Oxbow, le fonds CVC Capital Partners a décidé de vendre le siège social, mais aussi les voitures et le mobilier, pour tout louer. Même les bureaux et les corbeilles à papier ! L'autre grand classique pour faire remonter l'argent dans les caisses consiste à réduire les délais de paiement des clients. A Terreal, les commerciaux s'assurent désormais eux-mêmes du circuit de la facture, et n'hésitent pas à relancer leurs clients.

La pression s'exerce également sur les managers. D'ailleurs, on ne compte plus les patrons débarqués pour non-respect des objectifs. En 1997, tout juste arrivé au capital de la Générale de santé, Cinven a changé le président, et promu le n° 2, flanqué d'un directeur financier. De même, quand CVC Capital Partners rachète en 1999 BSN Glass Pack, il congédie les dirigeants en place et impose ses managers. A Londres, 3i cultive une pépinière de managers prêts à partir en mission commandée pour prendre la tête d'une société, en fonction de leur spécialité. " Tout écart par rapport aux objectifs doit se justifier, sinon la relation se dégrade vite ", témoigne Jean-Pierre Rémy, président d'Egencia, spécialiste des voyages d'affaires sur Internet, un temps détenu par Carlyle.

Les gérants de fonds se défendent, toutefois, d'être des coupeurs de têtes patronales. " On ne cherche pas le pouvoir. On veut seulement de la création de valeur. Quand l'histoire se passe bien, les managers n'ont pas à le regretter. On les associe souvent au capital. Lorsqu'on sort, une partie de la plus-value leur revient, et cela se compte parfois en millions d'euros ", assure Alexandre Ossola, manager de CVC Capital Partners à Paris. Un patron en convient : " Une pression difficile pendant quatre ans, mais une belle récompense à l'arrivée, lors de l'introduction en Bourse. "

Qu'en est-il de l'outil industriel, du capital intellectuel et social des sociétés tombées dans l'escarcelle des fonds ? Là encore, il faut se méfier des généralisations. L'arrivée d'un investisseur financier ne signifie pas toujours la fin d'un business model. Mais, culture du cash oblige, toute décision budgétaire est prise en fonction d'une simple équation : le rapport entre la dépense et le gain à l'horizon de quelques années. " Si un fonds s'endette à un taux d'environ 6 %, son investissement devra générer un rendement supérieur à ce pourcentage ", raisonne froidement le directeur d'un fonds. La ligne de flottaison ainsi tracée, les financiers n'excluent aucune stratégie. L'expansion : avec Barclays Private Equity, les restaurants Courtepaille sont ainsi passés de 110 à 160 en quatre ans et demi, avec un millier d'emplois créés à la clef. Le recentrage : pilotée par Cinven, la Générale de santé a commencé par faire le ménage dans ses participations, puis s'est remise en quête de nouvelles cibles pour accroître son périmètre. Ou le délestage : CVC Capital Partners, un temps aux commandes de BSN Glass Pack, a vendu au bout de cinq ans les actifs de l'entreprise, allégée de deux filiales industrielles. Plus récemment, en juillet dernier, dans les télécoms, Cinven et le câblo-opérateur Altice, tout juste acquéreur de Numéricâble, ont validé un plan social. " Une réduction de 250 emplois et des externalisations d'activités un peu partout. Ils poursuivent une affaire financière, pas un projet industriel ", déplore le délégué central CFTC du groupe, François Allançon. " Ils osent prendre des décisions que le management en place n'a pas su ou voulu prendre pour des raisons souvent affectives ", raconte un patron débarqué par un fonds. 

Source L'Express L'Expansion

Aucun commentaire: