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12/08/2017

AUBAGNE - Filière Argile : son avenir doit mobiliser tous les acteurs de la Métropole

La 14e édition d’Argilla, plus grand marché potier de France, se tiendra à Aubagne les 5 et 6 août prochains. L’occasion pour GoMet’ de faire un point sur la filière argile, à l’échelle aubagnaise comme métropolitaine. Comment se porte l’économie de l’argile aujourd’hui ? Quelles sont les menaces auxquelles elle doit faire face ? Quel rôle pourrait avoir la Métropole dans la filière ? Bilan.

« C’est une très vieille filière, ce sont de très anciens métiers. Ce ne sont pas des métiers d’une attractivité récente ou d’une mode quelconque ». Ainsi André Ruffier Lanche, ancien directeur d’Activargile* et désormais consultant spécialisé en céramique et santons, résume l’héritage multiséculaire de l’argile à Aubagne et en Provence. En Paca et aux alentours, on compte aujourd’hui près de 600 entreprises des arts, métiers et industries de la terre. C’est près d’un quart des entreprises du secteur à l’échelle nationale. À partir d’un même matériau, l’artisan créé des santons ou des objets en céramique.

Après Marseille au milieu du XVIIe siècle, la céramique aubagnaise connaît, elle, son apogée à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. À l’ère de la grande industrie, elle sert dans le bâtiment – tuiles, tomettes – et, à moindre échelle, aux objets utilitaires comme la vaisselle. De nombreux ateliers sont présents sur le territoire, et ils intègrent peu à peu la notion de création, qu’on appellerait aujourd’hui design. La production s’exporte, et l’argile fait partie du quotidien de la population. Mais entre les deux guerres mondiales, elle décline pour ne retrouver une dynamique de croissance qu’à partir des années 1970 et 1980. Les entreprises qui sont restées malgré le temps passé s’allient alors à celles qui se créent. Cependant, les ateliers sont bien plus petits qu’avant. C’est cette multiplication des petits ateliers qui se poursuit entre 1990 et 2005. La production est plus diverse, la dimension créative et artistique prend de l’ampleur.

« Plus rien de linéaire »

« Aujourd’hui, l’économie de la filière se porte relativement bien par rapport à d’autres filières, selon Eleonor Locato, directrice des politiques publiques de l’argile au conseil de territoire du Pays d’Aubagne et de l’Etoile. Ce n’est plus comme avant, mais on est dans la moyenne ». André Ruffier Lanche nuance : « Il n’y a plus rien de linéaire ». En effet, la filière est soumise à de multiples variations. D’une année sur l’autre, le nombre d’entreprises sur le territoire peut augmenter de 10 à 15%. La conjoncture économique globale a une forte influence, notamment sur la main d’œuvre.

« Produire des objets en argile, dans une dimension artisanale ou manufacturière, c’est investir plus de 50% de la valeur du produit dans la main d’œuvre. Aujourd’hui il y a peu de métier qui investissent autant dans de la main d’œuvre », témoigne André Ruffier Lanche. Cette main d’œuvre doit être particulièrement qualifiée, tant d’un point de vue créatif que d’un point de vue technique. Il faut faire preuve de soin, d’attention, de technicité, mais aussi de capacité d’observation, de curiosité et d’innovation. « Le céramiste travaille avec un matériau vivant. Et cette terre, selon d’où elle provient, est différente. Issue de la même carrière, mais d’un filon à l’autre, d’une année sur l’autre, elle peut avoir des caractéristiques différentes qui font qu’à la cuisson, elle ne va pas prendre la même teinte, ou alors sa cohésion avec le vernis ne sera pas la même, et ainsi de suite. L’argile, on ne peut pas en faire grand-chose sans savoir-faire ».

Mais au-delà du savoir-faire, les céramistes doivent désormais se montrer ouverts à l’esprit d’entreprise, ainsi qu’aux spécificités du commerce et de la communication d’aujourd’hui. Ce n’est plus seulement le client qui vient, il faut aussi aller le chercher. D’autant plus qu’il n’est pas forcément très loin. « La clientèle a énormément évolué, mais n’a pas disparu », explique M. Ruffier Lanche. Il serait erroné de penser que le client se montrerait frileux face au prix des objets artisanaux : un prix plus élevé que dans la grande distribution témoigne d’une authenticité, d’un héritage, d’une démarche artistique unique. « Le prix n’est pas le problème. C’est la cohérence avec ce que les gens attendent, ce que les gens rêvent, ce que les gens veulent mettre dans l’objet ».

Toutefois, si, dans l’esprit commun, le prix est marqueur d’un savoir-faire local, une petite minorité de céramistes se permet d’importer une partie de sa marchandise. « Il y a en partie tromperie », dénonce André Ruffier Lanche. Ce système, qui peut fonctionner à court-terme, risque d’être destructeur sur un temps plus long. Pour lutter contre cela, et depuis 2014, la loi permet de demander une indication géographique (IG) pour les produits industriels et manufacturés. Un dossier est en cours de constitution pour une appellation « santons de Provence ». Cette IG devra traduire un patrimoine et une géographie de savoir-faire. « C’est une réelle avancée, mais qui n’est pas toujours simple à mettre en place, car elle nécessite au moins une réelle compréhension et une réelle attitude positive de la part des territoires ». En attendant, à cause des importations, le territoire aubagnais risque de perdre en crédibilité et la filière argile pourrait se diviser, s’atomiser.

Vers « une révolution de la pensée » ?

« La Métropole, c’est l’oxygène indispensable aujourd’hui, parce que ça permettra de changer d’échelle », s’enthousiasme André Ruffier Lanche. Selon lui, la Métropole offre la possibilité de s’unir et de bénéficier d’une meilleure visibilité. Elle donnera les moyens d’aller vers une convergence, tout en gardant les spécificités de chaque territoire. Elle constitue un « seuil minimum », c’est-à-dire qu’elle rassemble un nombre suffisant d’acteurs pour mettre en place une dynamique. « C’est une révolution de la pensée, mais, dans l’ensemble, on n’a pas envie de penser autrement, on a envie de rester dans les habitudes d’il y a 10, 20, 30 ans », déplore M. Ruffier Lanche.

Aujourd’hui, Aubagne présente la particularité d’avoir une compétence dédiée à l’argile en conseil de territoire. « Dans les autres conseils de territoire, on s’occupe de l’argile, mais elle intégrée à une autre compétence, comme à l’économie par exemple », explique Eleanor Locato, dont la « fonction est d’appliquer les décisions métropolitaines concernant l’argile ». La question concerne alors l’avenir de cette compétence unique, afin de créer une cohérence métropolitaine. « On est dans les premiers balbutiements de la Métropole, ça n’a pas encore été discuté. On en saura plus courant 2018 ». Des décisions qui joueront certainement sur l’avenir de toute une filière…

* Activargile, désormais nommé L’Argile Provence, était un pôle régional de développement économique solidaire (Prides) créé en 2008. Par manque de financement, il a perdu son statut de Prides en 2013 mais son héritage persiste. Soutenu par la suite par l’association locale Prometerre d’Aubagne, les deux entités sont fusionnées en 2016 afin de maintenir des activités de promotion et de communication de la filière Terre. Grâce à Activargile, un vaste réseau régional des métiers de l’argile et certains outils, dont un site internet, sont toujours très actifs.

L’école de céramique de Provence

L’école de céramique de Provence est née de la concertation de la Bourse du Travail et de l’Association des santonniers et céramistes d’Aubagne en 1989. Elle propose aujourd’hui 3 CAP – modèles et moules céramiques, tournage et décoration – un BEP mise en œuvre des matériaux option céramique et des cycles de formation continue. Elle accueille chaque année une soixantaine de personnes de toute la France, voire plus loin. Il s’agit du seul centre de formation des apprentis (CFA) de la céramique dans l’Académie Aix-Marseille. C’est aussi le seul centre de formation agréé par la Région PACA dans ce domaine.

La particularité de l’école est de mettre un accent sur l’esprit d’entreprise, en plus de la création artistique. « On se situe sur une perception contemporaine du métier, où l’on sait que les gens qu’on va former seront, le plus souvent, des indépendants. Ils auront des projets de création d’activité. En même temps, par le fort lien qu’on garde avec les entreprises, il y a cette idée de former des agents de production, des ouvriers spécialisés, destinés à travailler dans des entreprises de production de petite ou moyenne taille », explique Cyrille Huygues Depointes, responsable de la formation. Celui-ci tient à transmettre les valeurs de la filière argile. « On est dans des métiers d’origine ouvrière, avec souvent un esprit de groupe très marqué. On est aussi dans des métiers d’art, où il y a une passion pour le travail bien fait et le savoir-faire ». C’est pourquoi le recrutement se fait surtout sur des critères de motivations, pour « mélanger les publics ».

Après presque 30 ans d’implantation à Aubagne, l’école profite d’un ancrage fort sur le territoire. Elle est en relation permanente avec les entreprises, qui viennent recruter leur main d’œuvre. Mais l’école de céramique de Provence touche bien plus large, puisqu’elle est la seule à offrir un tel panel de formation dans presque tout le sud de la France. La demande d’apprentis de la part des entreprises est en légère croissance. Cyrille Huygues Despointes estime qu’elle va particulièrement augmenter dans les prochaines années en ce qui concerne les tourneurs professionnels, puisqu’une partie des ouvriers spécialisés vont partir à la retraite. La menace reste toutefois celle des délocalisations : « Il y a un enjeu fort autour du maintien des emplois locaux sur notre filière ».

Source Go MET  par Nina Simonneau

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