Pages

17/12/2016

De la terre rouge, de l’eau et du feu…

Une activité peu mécanisée. Jean Perrin et son gendre, Michel Baylot, sortent les tuiles une par une.
Brives-Charensac. La visite de l’une des plus vieilles fabriques de France vaut le détour.
Faut-il toujours parler au passé quand on évoque le caractère industriel de Brives-Charensac ? Que nenni ! L’entreprise de fabrication artisanale de tuiles, de briques et carrelages de la famille Perrin rythme la vie de l’avenue des Sports depuis le XIXe siècle. Elle est la dernière en activité. La cité des bords de Loire compta jusqu’à sept tuileries. Au-delà des stocks de tuiles et de briques se dresse un bâtiment hors du temps. Ne nous y trompons pas : malgré sa toiture moussue, l’atelier que dirige de main de maître Jean Perrin est bien vivant.
La qualité des tuiles dépend du mélange des argiles
Il est 5 heures, quand la fabrique s’éveille.
À 85 ans, le cheveu dru et hirsute, l’artisan est toujours le premier arrivé. Il promène son œil d’esthète sur la fournée de tuiles de la veille. Jean Perrin n’avait pas plus d’une dizaine d’années qu’il secondait déjà son père, auprès du vieux four Hoffmann à charbon, mis à mal par la crue de la Loire en 1980. Quand la fabrique tournait à plein régime, le tuilier pouvait passer pas loin d’une semaine sans dormir. Marie, son épouse se souvient : « Je dormais sur le toit du four. Je faisais en sorte de tenir mon mari éveillé ».
Les temps ont changé.
L’activité s’est réduite. Le gigantesque four en brique tout en longueur ne sert plus guère que de cave à vins. Il a été remplacé par un four plus moderne, à gaz, qui permet néanmoins de cuire un nombre de pièces plus limité : autour de 1.200 tuiles contre 20.000 auparavant.
Les secrets de fabrication des tuiles creuses, écailles, gironnées, et tous les accessoires allant avec, les briques et autres carrelages, rouges ou vernissés réalisés tout à la main, sont bien gardés. Jean Perrin, et Marie son épouse, ont toujours veillé à limiter l’accès de l’atelier au public. Un atelier que baigne une lumière irréelle.
Michel Baylot, leur gendre qui travaille à la fabrique, est lui aussi un homme discret qui perpétue le savoir-faire des tuiliers brivois. Ils ne sont plus que trois aujourd’hui à faire « tourner la boutique », en comptant Jean-François Pigeon, le saisonnier.
La terre d’argile rouge est puisée directement dans la carrière voisine de Malescot qu’exploite depuis des décennies la famille Perrin. La qualité du produit fini dépend d’un savant mélange d’argiles sèches et plus grasses. De la trémie, la terre tombe directement dans un malaxeur. Ainsi se forme la pâte. Elle passe ensuite entre deux cylindres pour être broyée et laminée. Et la voilà déjà dans un second malaxeur.
« À ce stade, on doit rajouter l’eau nécessaire à la fabrication », explique Michel Baylot. Une tuile « c’est de l’eau, de la terre et du feu », résume Jean Perrin.
Un souvenir du péage sur le vieux pont de Brives.
600 tuiles à l’heure
L’argile subit encore une nouvelle étape en passant dans une imposante mouleuse, activée par une vis sans fin. Elle est poussée dans un moule (différent selon le type de tuile voulu). La terre passe sur un tapis. Un système de pignon déclenche un emporte-pièce. Les tuiles sont récupérées, subissent encore plusieurs coupes avant d’être mises à sécher.
« La durée du séchage dépend du temps. En général, il faut compter un mois, parfois plus. À cette période de l’année les tuiles sont rentrées afin d’éviter les risques de gel, car la terre contient 30 % d’eau », commente Michel Baylot. Les tuiliers ont une astuce : ils récupèrent la chaleur du four pour faire sécher plus vite les produits.
Les artisans peuvent fabriquer 600 tuiles à l’heure (la valeur d’une fournée). « Il ne faut pas le dire aux gros (N.D.L.R. : Les fabricants industriels), ça les ferait rire », admet Jean Perrin.
Pour les tuiles romaines de la basilique Saint-Julien de Brioude, qui ont été fabriquées à Brives-Charensac, l’artisan n’en passait guère plus de 20 à l’heure. Il avait pour l’occasion réactivé sa vieille presse de 1900. Le nez de chaque tuile était limé manuellement. « À la fin, il fallait le faire avec un morceau de bois, on n’avait plus de peau au bout des doigts. Mais qui pourrait s’en douter. Il n’y a bien que les pigeons pour voir le détail », renchérit Michel Baylot.
 Le vieux four Hoffmann, tout en longueur, jadis alimenté au charbon a été précieusement conservé par la famille Perrin. Il pouvait cuire jusqu’à 20.000 pièces.
Le four aux 40 brûleurs
La cuisson constitue l’ultime étape de la fabrication des tuiles et carrelages artisanaux, dans le grand four avec ses 40 brûleurs. La température y atteint les 1.045°C. Il faut 17 heures au total pour une seule fournée. Il n’est pas rare de surprendre encore à 20 heures passées Jean Perrin auprès de son four à surveiller le bon déroulement des cuissons. Chaque pièce d’une même fournée est unique. Selon la place qui est la sienne au sein du four, la couleur varie. N’est-ce pas là aussi ce qui fait le charme de la tuile artisanale ?
Source L'Eveil par Philippe Suc

Aucun commentaire: