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04/09/2016

L'affaire Wolters Kluwer : un LBO en fraude aux droits des salariés

L'arrêt rendu par la Cour d'appel de Versailles le 2 février 2016, dans l'affaire Wolters Kluwer, éditeur juridique en particulier en droit du travail, a le mérite de sanctionner une opération de LBO faite en fraude des droits des salariés en la considérant comme inopposable à ces derniers, notamment en matière de participation.

Le 30 juin 2007, le groupe hollandais Wolters Kluwer entreprend sa réorganisation : quatre sociétés LAMY, GROUPE LIAISON, WKA et WKB ainsi que l'intégralité de leurs filiales font l'objet d'un LBO. La société Wolters Kluwer France (WKF) devient l'actionnaire unique de toutes ces sociétés, puis procède à une dissolution-confusion des quatre sociétés.
La réorganisation d’un groupe de sociétés nécessite la consultation du comité d’entreprise des sociétés concernées. Si les institutions représentatives du personnel avaient donné un avis favorable à cette opération, l’emprunt contracté en juillet 2007 d’une durée de 15 ans de 445 millions d'euros par WKF à sa mère, la Holding Wolters Kluwer France, leur avait été dissimulé, d’autant que la société WKF n’avait pas de comité d’entreprise à cette date et qui a été constitué seulement en septembre 2007. En outre, à cette première irrégularité s’est ajoutée l’absence de communication audit comité d’entreprise de la documentation économique et financière prévue par la loi, pour les années 2007 et 2008.
Le comité d'entreprise de WKF assigne les sociétés mère et fille aux fins de comprendre la raison pour laquelle les salariés ne recevaient plus leur participation depuis 2007. La question était ici de savoir : dans quelle mesure l'opération financière mise en place pouvaient être caractérisée de frauduleuse et ainsi être inopposable aux salariés ?
C'est sur cette question que se prononce la Cour d'appel de Versailles le 2 février 2016, alors que le Tribunal de Grande Instance de Nanterre avait déclaré irrecevable les demandes du comité d'entreprise le 22 juin 2015.
“La mise en œuvre de manœuvres, ayant pour objet de ne pas transmettre au comité d'entreprise des éléments relatifs à une opération financière, est considérée comme frauduleuse et inopposable aux tiers lorsque la société ne bénéficie pas directement de l'opération fiscale.”
La Cour d'appel retient que les sociétés WKF et HWKF sont à l'origine de manœuvres frauduleuses et ajoute que ces dernières sont caractérisées tant par l'absence de communication au comité d'entreprise des documents obligatoires, que par un discours trompeur. Ainsi, la dissimulation volontaire d'informations est avérée : la société a refusé de transmettre à son comité d'entreprise les éléments permettant d'établir un lien entre la fusion des sociétés et l'absence de versement de la participation.
De plus, la Cour retient que la restructuration ayant obéré le bénéfice net de la société, n'a emporté aucun avantage économique à la société, ni même à ses salariés. Elle affirme que l'opération d'optimisation fiscale ici mise en œuvre ne pouvait pas être bénéfique à la société eu égard aux taux d'intérêts trop élevés et à un endettement très important de la société. Il apparait en filigrane que l'opération en question avait pour objectif de mettre un terme au versement de la participation aux salariés. Ce sont ces éléments qui permettent de caractériser les manœuvres frauduleuses mise en œuvre par les sociétés fille et mère du groupe.
Enfin, l'arrêt conclu que la manœuvre frauduleuse n'est pas opposable aux salariés et condamne la société à reconstituer la réserve spéciale de participation tout en la limitant aux années passées.
Il faut donc en tirer pour conséquence que le mécanisme financier en lui-même n'est pas a priori sanctionné mais que seuls les manœuvres utilisées pour dissimuler au comité d'entreprise l'opération, sont condamnées.
Source Le Nouvel Economiste par Bruno Bédaride

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