Evincée au cours du XXe siècle, la terre crue réapparaît dans les constructions contemporaines en Suisse. Une halle industrielle en argile, réalisée à Laufon (BL) par Herzog & de Meuron pour le confiseur Ricola, incarne cette tendance
Source Le Temps
Une masse d’argile grumeleuse et humide, étendue couche après couche dans un coffrage puis pressée et séchée. C’est en s’appuyant sur cette technique ancestrale que le bureau d’architectes Herzog & de Meuron a réalisé la Maison des plantes du confiseur Ricola.
L’énigmatique bloc percé de fenêtres circulaires se dresse dans les champs aux abords de Laufon, dans le canton de Bâle-Campagne. Il est «constitué de la terre sur laquelle il se trouve» et «fait écho à son environnement», souligne Pierre de Meuron. Les matériaux employés pour la façade proviennent d’un rayon de huit à dix kilomètres autour du site. Mais la halle achevée en 2014, destinée à la transformation des herbes à la base des bonbons Ricola, impressionne également par ses dimensions: plus de 100 mètres de long sur 30 mètres de large et 11 mètres de haut. Cette taille imposante en fait le plus grand édifice en pisé d’Europe.
Encore largement utilisée dans les pays en développement, la terre crue a disparu des bâtiments de nos régions il y a un siècle environ, évincée par l’industrialisation et l’avènement de nouveaux matériaux comme le ciment. Pour faire revivre ce savoir-faire oublié, Jacques Herzog et Pierre de Meuron ont fait appel à Martin Rauch. L’Autrichien, basé dans le Vorarlberg, se positionne comme le chef de file du renouveau des constructions en terre en Europe et remet au goût du jour les techniques de l’architecture vernaculaire, soit la création d’édifices sans maître d’œuvre ni architecte, basée sur les connaissances accumulées au fil des générations.
Il a participé à la réalisation d’une vingtaine d’autres bâtiments publics et privés en Suisse alémanique, dont l’étonnant cinéma Sil Plaz, à Ilanz (GR), et le centre des visiteurs de la Station ornithologique suisse, à Sempach (LU). L’autre pôle de connaissance en matière de constructions en terre crue, le centre de recherche CRAterre, se trouve à Grenoble. Une situation qui ne doit rien au hasard. Le bassin du Rhône, de par ses caractéristiques géologiques, est l’un des berceaux historiques des bâtiments en terre, et possède encore de nombreuses fermes en pisé datant du XIXe siècle.
Esthétique et écologique
Le regain d’intérêt des architectes pour la terre crue découle des qualités esthétiques du matériau. Pierre Frey, professeur honoraire du Département d’architecture de l’EPFL et auteur de l’ouvrage «Learning from vernacular: pour une nouvelle architecture vernaculaire», souligne la grande douceur de la Maison des plantes de Herzog & de Meuron. «Elle attire l’attention et suscite une émotion. Certains matériaux tiennent à distance. D’autres, comme le bois ou la terre, donnent envie de les toucher.»
Mais ce renouveau s’inscrit surtout dans des réflexions d’ordre écologique. «Nous assistons à une prise de conscience du caractère limité de certaines ressources», note Pierre Frey. Les matériaux naturels tels que le bois, la paille, le lin, le chanvre ou encore la cellulose sont de plus en plus utilisés dans la structure des bâtiments, mais aussi comme isolants ou comme revêtement.
A Genève, l’architecte Laurent de Wurstemberger et l’ingénieur Rodrigo Fernandez placent le respect de l’environnement au centre de leur démarche. Leur start-up, Terrabloc, fondée en 2011, recycle les gravats des chantiers pour produire des briques de terre crue. «Rien qu’à Genève, plus d’un million de mètres cubes de déblais terreux sont excavés et mis en décharge chaque année, souligne Rodrigo Fernandez. Sauf s’ils contiennent suffisamment de gravier pour fabriquer du béton, ils ne connaissent à l’heure actuelle aucune revalorisation.»
Retour à la simplicité
Les éléments préfabriqués de Terrabloc servent à la construction de murs de parement, de murs porteurs et de cloisons intérieures. Après trois réalisations dans le canton de Genève, dont le mur de parement de la Maison du futur, le nouvel espace d’exposition des Services industriels genevois situé à Vessy, la jeune société mène des projets dans toute la Suisse romande.
Concrètement, Terrabloc sélectionne la terre sur les sites de constructions de la région en fonction de sa qualité, avant de l’acheminer à Gland (VD), où elle est débarrassée de ses cailloux, triée, malaxée, puis stabilisée avec 5% de ciment «pour lutter contre l’érosion et en faire un matériau durable». Le mélange est ensuite compressé dans une presse hydraulique. La dernière étape, la maturation du bloc, prend 30 jours.
«Seul le pressage nécessite de l’électricité, précise Rodrigo Fernandez. Par rapport à la fabrication de briques en terre cuite, nous utilisons cinq à six fois moins d’énergie.» Evidemment, ce procédé quasi artisanal qui demande un travail important a un coût: 30% de plus que les produits standardisés disponibles sur le marché.
Régulateur naturel
Les qualités de la terre crue ne se limitent pas à sa disponibilité locale et à son faible impact environnemental. Elle agit comme un régulateur naturel d’humidité et de chaleur (l’argile absorbe facilement l’eau et la restitue en fonction de l’humidité de la pièce), et séduit par ses propriétés d’isolant acoustique, aussi bien pour les hautes que pour les basses fréquences.
«Nous vivons dans des thermos gérés par des machines. Pour répondre aux labels et aux exigences actuels, les constructions deviennent de plus en plus compliquées. Nous nous concentrons sur la consommation énergétique des bâtiments sans nous soucier de leur matériau constitutif, note Laurent de Wurstemberger. Le retour à une certaine simplicité et à une certaine modestie donne parfois des résultats étonnants. A cet égard, le recours à la terre crue peut devenir une solution de choix.»
Source Le Temps
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