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07/04/2015

MAROC- Azzeddine Abaakil : «L’industrie des matériaux de construction court à la catastrophe !»

La production de logements pratiquement à l’arrêt gèle les commandes adressées aux industriels des matériaux de construction. Les opérateurs sont contraints de baisser drastiquement leurs prix, ce qui induit des pertes, en plus des tensions sur la trésorerie résultant de l’allongement des délais de paiement.
Dans un contexte difficile pour le secteur de l’immobilier, comment se porte l’industrie des matériaux de construction ?
La situation est difficile. Nous constatons pratiquement un arrêt des programmes immobiliers et de la commande de matériaux de construction qu’ils généraient. Les industriels du béton préfabriqué, en particulier, sont forcés de baisser les prix de manière drastique. Nos produits se vendent actuellement 10 à 15% moins cher qu’en 2012. Sachant qu’en parallèle, le coût de nos intrants augmente, cela induit d’importantes pertes pour la majorité des industriels. Cette situation est aggravée par l’allongement des délais de paiement vécu par nos clients et amplifié à notre niveau. La norme en matière de délai client est aujourd’hui entre 6 mois et 1 an et l’on peut aller dans les cas extrêmes jusqu’à un an et demi, ce qui ne manque pas de tendre à l’extrême les trésoreries des industriels. Tout cela nous fait penser que nous courons à la catastrophe avec un risque réel de cessations d’activité de plusieurs unités de production et par conséquent la destruction de dizaines de milliers d’emplois. Des échos nous parviennent déjà quant à deux unités basées à Agadir et Tétouan menacées d’arrêt d’activité. La situation pourrait s’aggraver rapidement sur les mois à venir au niveau de tout le secteur des matériaux de construction si aucune mesure n’est prise.
Quel levier d’action immédiat proposez-vous justement ?
Nous pensons qu’il faut œuvrer à réenclencher la production d’habitats en libérant le gisement de demande considérable que représente le logement locatif. Il s’agit de développer le locatif social par exemple, en veillant à l’assortir d’un loyer qui serait contenu à 30% du Smig, grâce à une aide de l’Etat et des collectivités locales. A défaut de ce genre d’actions, la reprise ne devrait pas intervenir avant 2017. C’est en effet le délai qui nous semble nécessaire pour absorber le stock existant de logements et parvenir à un équilibre des indicateurs macroéconomiques, deux facteurs de nature à relancer le secteur immobilier.
Hormis la mauvaise passe actuelle, le secteur du béton préfabriqué reste structurellement peu développé au Maroc…
L’industrie du béton consomme actuellement autour de 7% de la production nationale de ciment alors que les marchés plus développés affichent une proportion de plus de 24%. Cela est révélateur de la faible industrialisation du secteur national de la construction qui induit d’importantes pertes sur plusieurs plans. Celles-ci sont d’abord liées aux longs délais de réalisation des projets de construction alors que l’usage du béton préfabriqué permet de raccourcir le cycle de production du secteur avec un gain en rigueur et en qualité. Les pertes résultent également de la consommation excessive de matériaux que permet d’éviter la préfabrication dont les pièces sont élaborées avec des techniques d’optimisation. Par ailleurs, le faible développement de l’industrie du béton limite grandement les possibilités d’exportation des opérateurs nationaux par manque d’assise financière. Ceci alors qu’ils auraient été d’une grande utilité aux promoteurs immobiliers qui ont étendu leurs activités en Afrique subsaharienne. Ce marché est en effet caractérisé par une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, ce qui accroît l’intérêt de la préfabrication, d’où l’opportunité d’y implanter des unités de fabrication. Ne pouvant pas s’appuyer sur des industriels nationaux, certains de nos promoteurs qui s’exportent ont été obligé de solliciter des opérateurs étrangers pour les fournir en produits préfabriqués.
Comment s’explique cette faible industrialisation du secteur de la construction ?
Elle est d’abord due à un environnement clairement hostile à l’innovation caractérisé par des mentalités conservatrices de nos donneurs d’ordre et surtout de notre administration qui freine tout changement dans l’acte de bâtir. Jusque dans les grandes entreprises, on reste réticent à introduire de nouvelles techniques même si le gain que l’on peut en retirer est avéré. En somme, l’on peut dire qu’en termes d’acte de bâtir on continue d’appliquer les mêmes techniques utilisées pendant le protectorat français.
Une autre raison qui justifie le faible usage du béton préfabriqué tient aux surcoûts qui frappent ce produit, avec en première ligne la taxe spéciale sur le ciment. Celle-ci représente aujourd’hui 15 à 20% du prix du ciment et fait du béton préfabriqué l’une des rares industries, si ce n’est la seule au Maroc et peut être dans le monde, dont les intrants fabriqués localement sont taxés. Ce prélèvement se justifierait à la limite s’il s’agissait d’une matière première importée mais qu’il s’applique aux produits de l’industrie nationale est un non-sens, d’autant plus à voir les distorsions que cela cause. Par exemple, à cause de la taxe, les préfabricants de tuyaux et de canalisations en béton sont de fait désavantagés par rapport aux produits en PVC qui sont en grande partie importés. La taxe pénalise également les fabricants des blocs en béton par rapport aux fabricants de briques rouges très consommatrices en énergie.
La taxe représente encore 4% du coût de production des préfabricants de charpente en béton ; ce qui les pénalise par rapport aux mêmes produits importés ou encore par rapport aux importations de matériaux en métal.
Le secteur du béton préfabriqué reste aussi très désorganisé…
Effectivement, sur un total de près de 250 industriels du béton préfabriqué il y a de nombreuses unités informelles. Je tiens à préciser que nous excluons de ces chiffres l’informel basé sur l’emploi familial qui effectue une production artisanale. Celui-ci joue selon nous un rôle social et des efforts doivent être déployés pour sa conservation tout en lui procurant les moyens d’évoluer progressivement vers la transparence. En revanche, l’informel qui nous préoccupe est le fait d’unités industrielles qui écoulent leur production sans appliquer la TVA et sans s’acquitter de leurs obligations sociales et fiscales. Ces acteurs écoulent leurs produits avec des marges réalisées sur la TVA, l’IR et la CNSS et vendent moins cher par rapport aux tarifs des acteurs. Un écart irrattrapable sachant qu’avec des efforts d’innovation et d’économie de coût, un opérateur transparent ne peut espérer réduire ses prix que de 5% maximum. Le plus inquiétant est que l’on voit de plus en plus d’entreprises basculer une partie de leur activité vers l’informel. Elles y sont d’autant plus encouragées par deux facteurs. D’une part, cela leur permet de se faire payer au comptant ; ce qui soulage leur trésorerie. D’autre part, l’Etat a pratiquement garanti des débouchés à ces opérateurs informels en exonérant l’auto-construction du paiement de la TVA. Cela pousse les particuliers à s’adresser systématiquement aux industriels qui pratiquent le noir. Tout cela fait que l’industrie du béton préfabriqué reste largement désorganisée avec une faible probabilité d’émergence de champions nationaux.
Quel est le plan d’action de l’Association marocaine de l’industrie du béton (AMIB) pour remédier à cela ?
Nous envisageons d’agir sur deux axes. Le premier touche le plan interne et consistera d’abord à organiser le secteur en élargissant la base des entreprises adhérentes à l’AMIB. Aussi, nous travaillons à la création d’un label qualité AMIB des produits préfabriqués qui permettra d’élever le niveau technologique des unités de production et de promouvoir la qualité. Enfin, il s’agit pour nous de créer un climat de dialogue entre les industriels.
Notre second axe d’action touche le plan externe et se déclinera en premier par la promotion de l’utilisation des produits en béton dans le bâtiment et travaux publics à travers des campagnes explicatives auprès des donneurs d’ordre. Il s’agira également d’entamer un dialogue entre divers producteurs et utilisateurs de produits à base de ciment afin d’enrayer les effets néfastes de la taxe sur le ciment et d’autres taxes qui pèsent sur les industriels du béton en particulier et le BTP en général. Enfin, notre objectif est d’ouvrir l’échange avec d’autres associations professionnelles agissant dans le BTP pour réfléchir sur des mesures urgentes pour sauvegarder l’activité et les emplois du secteur.
Source La Vie éco par Réda Harmak. 

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