Son nom est certainement plus connu de la Bourse de Paris que du grand public. Imerys, quèsaco ? La plupart de sa trentaine de produits ne sont guère évocateurs. Qui a entendu parler de la bentonite, des proppants ou de la wollastonite ? Pourtant, ces minéraux sont partout et c'est cette ubiquité qui plaît aux financiers. C'est le kaolin qui donne sa blancheur au papier. La perlite aide à isoler les faux plafonds ou à filtrer les nutriments dans la culture hors-sol. Issue d'algues fossilisées, la diatomite filtre la bière. Sans l'andalousite et les chamottes, les hauts-fourneaux fondraient sous l'effet de températures de 1.500 degrés.
Le talc ne sert pas seulement à calmer les rougeurs des bébés : on en trouve près de 15 kilos dans les voitures modernes. Du neuf avec du vieux en onze lettres, c'est la définition du nonagénaire par Tristan Bernard, bien connue des cruciverbistes. Faire du neuf avec du vieux, c'est aussi devenu le métier d'Imerys. Le talc et le kaolin étaient déjà connus des Egyptiens, mais, comme le souligne le PDG, Gilles Michel : « Trouver des usages nouveaux à des produits très vieux c'est toute la beauté de nos activités. » Un métier nouveau, donc, pour une vieille dame qui a refait sa vie.
Née du mariage agité de deux centenaires, Le Nickel de Nouvelle-Calédonie et le mineur Pennaroya (cuivre, plomb, zinc), l'actuel Imerys n'a en effet plus grand-chose à voir avec ses mânes fondateurs. Son actionnaire, la banque Rotschild, déstabilisée par la nationalisation de 1982, a finalement cédé la place en 1987 à GBL, le groupe d'Albert Frère. Le financier belge contrôle encore 57 % de son capital, lui montrant ainsi une rare fidélité. Le nom du groupe aussi a changé, l'Imetal de 1974 est devenu, en 1999, Imerys. Celui-ci cédait ainsi à la mode des noms en « ys » ou variante en « is », l'équivalent pour les entreprises de la rafale de Kevin qui s'est abattue sur les berceaux français, mais il est vrai que son ancien patronyme Imetal ne correspondait plus du tout à son activité.
Conscients que le groupe n'avait pas l'envergure nécessaire pour se frotter aux géants mondiaux de la mine, ses dirigeants avaient en effet jeté les métaux par-dessus bord pour ne conserver que les tuiles et les minéraux industriels, ce sera ceux-là qu'ils décideront de faire fructifier. Ces minerais non métalliques comme le kaolin, le mica ou le feldspath n'ont pas de valeur en eux-mêmes. Il ne s'agit donc pas de les vendre en vrac, mais d'en faire des produits sur mesure. Il faut avoir une palette assez riche pour viser le plus grand nombre de secteurs industriels, et la corbeille de départ n'y aurait pas suffi. Dans les années 1990, l'entreprise a donc multiplié les emplettes mais c'est le rachat d'English China Clay en 1999 qui, en lui apportant son kaolin et surtout plus de 1 milliard de chiffre d'affaires supplémentaire, l'installe dans la cour des grands. Les années 2000 sont encore consacrées à élargir son échantillon, aux Etats-Unis, en Inde, plus de 70 acquisitions permettent de bâtir le leader mondial par la taille et la rentabilité de cet univers peu connu des minéraux industriels.
Mais la violence de la crise de 2009 a conduit le groupe à mieux assurer son activité. Il ne renonce pas à la croissance externe. Celle-ci, selon Gilles Michel qui a pris les commandes en 2010, doit « rester un vecteur important du groupe ». Le passage de cet ancien de Peugeot et Saint-Gobain au Fonds stratégique d'investissement (FSI) lui a fourni un bon entraînement sur le sujet ! Dès 2011, il a d'ailleurs repris les Talcs de Luzenac à Rio Tinto, la plus grande carrière de talc du monde, ce qui l'installe au premier rang mondial, avec 15 % d'un marché très fragmenté. Il a de même tenté la plus grande OPA de son histoire, 1,2 milliard d'euros, sur l'américain Amcol, numéro un mondial de la bentonite, sis à Deadwood (Dakota du Sud), le pays de Calamity Jane - ce qui n'est pas surprenant parce que la bentonite, très utilisée dans les forages pétroliers, servit alors de lot de consolation aux mineurs attirés dans la région par la ruée vers l'or. L'escalade des prix l'a fait reculer, ce qu'a apprécié le courtier Oddo qui y voit « une excellente preuve de la rigueur du management d'Imerys en matière de sélectivité des projets ». L'achat du grec S&B pour près de 800 millions lui offre une solution de rechange attractive par ses réserves de bentonite et sa présence américaine.
Mais si la porte n'est pas fermée aux acquisitions, le groupe veut exploiter davantage son potentiel de croissance interne, pousser ses propres forces, dynamiser sa recherche pour s'ouvrir de nouveaux marchés, s'étendre géographiquement. Les produits nouveaux, qui représentaient moins de 5 % des ventes en 2010, en sont à 10 % et les dépenses de recherche ont augmenté de 50 % en deux ans.
Sur les 8 centres de recherche, celui de Limoges planche sur les céramiques, Toulouse sur les polymères, Lyon sur les réfractaires, etc. Le groupe veut doper ou transformer les propriétés de ses minéraux (résistance thermique, pouvoir couvrant, conductivité…) pour aider ses clients à améliorer leurs performances. « Transform to perform » est son slogan.
En intégrant du talc dans des polymères, il les rend plus résistants aux chocs et à la chaleur, ce qui permet d'utiliser de plus en plus de plastiques dans une automobile et ainsi de l'alléger. La diatonite était utilisée pour la filtration de produits alimentaires. En adaptant cette méthode au fractionnement du plasma sanguin, les chercheurs ont trouvé une nouvelle source de haute valeur ajoutée. Pour « améliorer le profil de croissance du groupe », son patron veut le recentrer sur des marchés plus porteurs au détriment par exemple d'activités plus languissantes, comme la brique de terre cuite ou le carbonate de calcium aux Etats-Unis où l'industrie du papier qui l'utilise n'a pas le vent en poupe.
En revanche, c'est outre-Atlantique que le gaz de schiste nourrit les plus vifs espoirs d'Imerys. Il y a même consacré son investissement interne le plus important de ces dernières années. En se dotant de 3 lignes de production de proppants en Géorgie, il estime contrôler entre 10 et 15 % de ce marché. Ces petites billes en céramique maintiennent ouvertes les fractures hydrauliques qui servent à extraire ce gaz clef de voûte de la compétitivité américaine.
Gilles Michel compte aussi installer chaque jour davantage dans l'automobile ses minéraux de plus en plus présents dans les peintures, les plastiques, les catalyseurs qui intègrent, entre autres, des céramiques techniques. Le groupe a beaucoup investi dans la mise au point de graphites haute pureté destinés aux batteries lithium-ion, au coeur de l'énergie mobile, dont il est le leader mondial. Il vient de doubler la capacité de son usine belge de noir de carbone. S'il développe ses usines, Imerys doit aussi entretenir ses mines, une durée de vie d'au moins vingt ans de ses ressources est nécessaire pour que les clients s'engagent, sa centaine de géologues y veillent. Il détient les réserves de kaolin les plus abondantes et les plus pures. L'ardoise a mis de 400 à 500 ans à s'épuiser, Imerys a dû annoncer fin 2013 la fermeture du dernier site de Trélazé.
Nouveaux secteurs mais aussi nouveaux pays. Situé en amont de tout processus industriel, le groupe réalise plus du quart de ses ventes dans les marchés émergents, cette année il a ouvert une usine de chaux au Brésil et une d'alumine fondue à Bahreïn. La Chine, même si elle pose des problèmes d'accès à ses matières premières, est prioritaire avec l'Inde et le Brésil ainsi que les pays à fort potentiel comme la Thaïlande, la Turquie ou la Malaisie. La part de l'Europe est passée sous les 50 % et les Etats-Unis, dopés par l'énergie des gaz de schiste, ont plutôt le vent en poupe. C'est ça Imerys !
Chiffres clefs
- Chiffre d'affaires 2013 : 3,7 milliards d'euros.
- Marge opérationnelle 12,9 %.
- Résultat opérationnel 477 millions.
- Dépenses de recherche 60 millions d'euros.
- Effectif 15.805 salariés dans 50 pays (250 implantations industrielles).
Une gamme de 30 minéraux différents
- Plus de vingt ans en moyenne de réserves minérales.
- Les produits de moins de cinq ans ont apporté 200 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2011, 333 en 2013. L'objectif est de 700 millions en 2016.
Répartition géographique des ventes
- Europe de l'Ouest : 47 %
- Amérique du Nord : 22 %
- Pays émergents : 26 %
- Japon, Australie : 5%
Trois débouchés principaux:
- Production industrielle et acier : environ 20 %
- Construction : environ 25 % (dont 10 % dans les tuiles en France).
- Papier (20 % du CA).
Source Les Echos par SABINE DELANGLADE
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