Depuis 2000, le marché chinois est perçu comme l’Eldorado pour les producteurs de matériaux de construction. Mais 10 à 15 ans après, nombreux sont ceux à n’avoir conquis qu’une part de marché marginale. Quelques champions ont cependant tiré leur épingle du jeu. Pour les autres, il y a urgence : faut-il se retirer ou repenser stratégie et investissements pour se donner enfin les moyens de réussir ?
Les oracles qui, en 2000, faisaient de la Chine le futur géant du marché de la construction ne s’étaient pas trompés. Entre 2000 et 2012, le marché chinois de la construction a cru de 18 % par an en dollars constants. En 2013, la Chine pèse 25 % du marché mondial de la construction (contre 4 % en 2000) et les perspectives pour les prochaines années restent attractives. Avec 7 % par an de croissance attendue sur les cinq prochaines années, la Chine reste malgré son poids considérable l’une des zones les plus dynamiques du monde.
Cependant, dans de nombreuses applications, cette croissance n’a pas bénéficié à tous. Dans l’isolation, les matériaux de couverture, les revêtements de sol, les façades, la menuiserie, la plomberie… des leaders internationaux forts de parts de marché supérieures à 20 % en Europe de l’Ouest ou en Amérique du Nord se retrouvent cantonnés à moins de 2 % du marché chinois, et peinent à devenir profitables. Si les résultats ont été dans bien des cas décevants, c’est que le marché chinois de la construction s’est avéré redoutablement complexe à pénétrer.
Extrêmement volatile d’une part : il est très dépendant des programmes d’infrastructure et d’équipements industriels et résidentiels émanant des autorités nationales, provinciales, municipales, et des grands groupes industriels et immobiliers. En l’espace d’un à deux ans, des villes très dynamiques peuvent voir leur marché se bloquer totalement, tandis que la demande explose dans la province voisine.
D’autre part, les décideurs sont peu au fait des bénéfices apportés par l’offre des acteurs internationaux, souvent bien plus performante techniquement, mais aussi plus chère. Ne sachant pas analyser la valeur ajoutée de ces produits (en terme de coût complet de détention, de disponibilité des installations, de prime de prix à passer au client…), ils privilégient les offres de concurrents locaux, moins-disant financièrement.
Enfin, les canaux d’accès au marché impliquent fréquemment plusieurs strates de distributeurs et d’installateurs. Ceux-ci ont chacun un portefeuille de produits adjacents – par exemple, des systèmes de climatisation, des matériaux d’isolation, et des revêtements de sol – dont certains sont pour eux plus profitables. Les distributeurs vont donc tenter d’influencer les décideurs pour orienter l’allocation des budgets de construction vers ces produits : ce système crée une forme additionnelle de compétition, où des plaques de plâtre peuvent se retrouver en concurrence avec du sol en PVC!
Ces obstacles sont importants, mais pas insurmontables. Il existe des champions qui se sont adaptés avec succès à ces conditions difficiles pour croitre bien plus vite que le marché sur les dernières années. Dans les mortiers, par exemple, un leader européen a monté en franchise un réseau de distribution au détail sous sa marque : ses 1000 points de vente localisés dans les marchés de gros de matériaux de construction autorisent un accès très capillaire au marché, y compris les petits acteurs locaux ; ils limitent ainsi la dépendance aux grands programmes immobiliers, et donc la volatilité du chiffre d’affaires ; ils ont permis une croissance de 44 % par an sur les 3 dernières années.
Dans l’équipement sanitaire, un groupe européen a choisi de s’appuyer sur un partenaire chinois, maintenant intégré à 100 %, pour déployer une stratégie de croissance ambitieuse : fabrication et distribution sous une marque locale ; couverture de 400 villes avec un réseau qui dépasse aujourd’hui 4000 points de vente ; force de vente focalisée sur les développeurs immobiliers, attachés à améliorer la qualité perçue de leurs logements, afin qu’ils prescrivent la marque aux constructeurs et installateurs. Depuis 2009, la croissance qui en résulte est de l’ordre de 50 % par an, et la filiale chinoise réalise 15 % de résultat net.
Il est donc possible de réussir de manière durable et profitable en Chine, en mettant en œuvre quelques principes simples, mais dont l’exécution doit être parfaitement maitrisée :
- Extension de la couverture géographique, pour lisser les ralentissements ponctuels dans certaines villes.
- Développement d’un réseau de distribution capillaire, pour accéder au marché des petits acteurs locaux et de la rénovation, pas seulement aux grands projets de bâtiments neufs.
- Appui sur des partenaires, des sous-traitants, des franchisés, pour limiter les investissements requis par cette extension.
- Focalisation sur les segments les plus dynamiques, avec un portefeuille produit approprié.
- Formation des canaux à la valeur ajoutée des produits, en termes compréhensibles par les différents intervenants sur la chaine de valeur : par exemple, pour un installateur de mousse isolante, communiquer sur un temps de pose divisé par deux et des pertes de matières réduites de 20 % est plus efficace que de vanter des propriétés mécaniques de résistance à l’abrasion et de ductilité.
- Flexibilité et réactivité de l’organisation commerciale et industrielle pour pouvoir rapidement réallouer les moyens sur les villes, les canaux, les segments les plus dynamiques.
Ces principes nécessitent un engagement important de la part des multinationales qui veulent réussir en Chine, en mobilisant des ressources humaines et financières significatives.
Cependant, les transformations que vit en ce moment le marché chinois – augmentation du revenu disponible, montée en puissance de la consommation individuelle comme moteur de la croissance, sophistication croissante des acheteurs en quête de qualité et de performance – sont autant d’opportunités pour transformer cet engagement en croissance rentable. Aux multinationales de jouer pour, enfin, valoriser les efforts de ces dernières années.
Source Le Cercle Les Echos par Yves Dumoulin, Directeur du bureau de Shanghai, Advancy, cabinet de conseil en stratégie
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