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06/01/2013

Des grès intemporels à Betschdorf ( Alsace)

Le pot en grès de Betschdorf a souvent franchi les frontières de son Alsace natale. Ses qualités lui réservent une place de choix sur les étagères des cuisines. Discret mais attachant, il mérite l’intérêt. Notez cet article
L’argile vitrifiable de la forêt d’Haguenau fournit la matière première des grès de Betschdorf. Photo Pascal BROCARD
Depuis l’âge de la pierre polie, on modèle l’argile dans la plaine du Rhin. À l’époque gauloise, l’industrie céramique prospère, produisant briques, dallages et tuiles. Au XIIIe siècle, la poterie alsacienne se développe, notamment à Colmar et Sélestat. Mais c’est à Betschdorf, 50 km au nord de Strasbourg, que s’installe en 1586 un dénommé Knoetchen, potier allemand qui apporte le secret des poteries de grès.
La région s’y prête. Les glaisières de la forêt d’Haguenau fournissent en quantité une argile vitrifiable. Le sel servant à la couverture vient de Château-Salins. Les bois et les rivières sont à portée de main. En 1717, une vague de potiers venus du Westerwald, près de Coblence, développe la production des grès gris à décor bleu. En 1865, Betschdorf compte soixante poteries qui emploient 400 ouvriers. L’annexion de 1870 marque un coup d’arrêt, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale qui voit le renouveau de la production. Elle se poursuit malgré la concurrence de l’aluminium et de la tôle émaillée.
Côté technique, les artisans utilisent une argile à forte teneur en silice, dite argile grésante. Après extraction, exposée aux intempéries, elle subit une année de pourrissage. Nettoyée puis malaxée, elle fournit une pâte souple et facile à travailler au tour ou dans des moules. Les pièces sont incisées avec un stylet de buis, décorées par un relief collé à la barbotine ou par un motif appliqué au pinceau. Après séchage, on ajoute les poignées et les boutons de préhension. Les potiers utilisent le bleu de cobalt, seul oxyde pouvant résister à la température élevée de cuisson et qui se rapproche du bleu de Sèvres. Les colorants viennent de Meissen, en Allemagne. Le four chauffé à 1 250°, la cuisson dure plus de cinquante heures. L’argile se vitrifie et devient étanche. Pour obtenir les glaçures, on projette dans le four du chlorure de sodium qui produit un silicate de soude se fixant sur les parois. Conjugué à l’enduit vitrifié, le grain dur et serré du grès assure aux grès de Betschdorf une imperméabilité parfaite qui permet la conservation des aliments.
Les pièces ne supportent pas la cuisson mais savent garder la fraîcheur. Les cruches pansues contiennent du vin, de l’eau, de la bière, ou conservent le schnaps et l’huile. On trouve des bouteilles moines cylindriques et des gourdes aplaties, des chopes à bière aux couvercles et pouciers en étain, ou des tonnelets vinaigriers. Les pots servant à la conservation sont renflés, leur ouverture est ourlée d’une lèvre. Ils sont munis de deux anses et contiennent, suivant leur taille, du beurre, des œufs en saumure ou du saindoux. Certains grands pots cylindriques sans décor servent de pot à choucroute ou de saloir. D’autres permettent de faire cailler le lait pour les faisselles et de les égoutter.
Cette liste n’est pas exhaustive, et le collectionneur peut trouver une foule d’objets en grès à des prix très raisonnables. Les pièces courantes anciennes valent de 5 à 30 euros. Les plus belles pièces datées peuvent atteindre 1 000 ou 15 000 euros en vente spécialisée. Les pièces à décor animalier (pigeon, poule, faisan ou lièvre) sont recherchées, comme celles portant une étoile, symbole des brasseurs.
Ces pots de grès respirent le parfum rassurant des cuisines d’autrefois, des intérieurs douillets, des cochonnailles et des repas de famille. Toujours utile, intemporel et facile à intégrer dans une décoration, le grès de Betschdorf a encore de beaux jours à vivre. On visitera le Musée de la poterie à Betschdorf, ouvert du lundi de Pâques au 30 septembre.
Source Le Républicain Lorrain par Pierre-Antoine WECKER

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