Durant la seconde moitié du 19e siècle, la région de
Terrebonne connaît un essor manufacturier. On constate les débuts de la
manufacture de machineries agricoles de Matthew Moody et on assiste à une
réorganisation de la production des moulins de la seigneuresse Masson. Il
existe cependant des activités un peu plus marginales qui méritent une certaine
attention, c'est le cas de la manufacture de briques de Terrebonne qui
s'établit ici dans le dernier quart du 19e siècle.
Le journal «Les Laurentides» (Saint-Lin) du 12 février 1875
annonce sous la rubrique «Nouvelles locales» «qu'il vient de se former à
Terrebonne une compagnie pour manufacturer la brique et les poteries. Les
travaux sont déjà commencés paraît-il».
Localisation et historique des lieux
La nouvelle compagnie s'est installée sur ce site le 16
novembre 1874 avec en main un bail de dix ans. Elle est située sur la montée
Pincourt (aujourd'hui, boulevard Moody) au pied du coteau. L'emplacement est
loué par Matthew Moody à la Manufacture de briques de Terrebonne le 15 mai
1875. Le site comprend les débris «de l'ancienne remise ou hangar, des
étendoirs ou abris et des contrevents, etc., qui ont servi autrefois pour
cuire, sécher et abriter la brique». Ainsi, la fabrication de briques
s'effectuait déjà à cet endroit, mais le site était abandonné depuis un certain
temps! En plus du site, la manufacture loue une maison et deux tombereaux à
patins pour transporter la glaise, le tout pour une somme de 100 $ par an.
Les actionnaires
Les divers extraits du livre des délibérations de la
compagnie nous renseignent sur ses actionnaires et administrateurs. Ainsi, en
1875, les directeurs fondateurs sont : Louis-Rodrigue Masson, avocat et député
fédéral, Adolphe Chauvin, meunier et gérant des moulins Masson, Joseph Lauzon
et A. W. Joubert, marchands, et John Moody, machiniste et gérant de la
manufacture de M. Moody. Toutefois, en 1877, la direction est grandement
modifiée : L.R. Masson est toujours président, mais il est assisté de Matthew
Moody, machiniste, Théodore Roussil, menuisier et marchand, Joseph Lauzon et
Thomas Lapointe, aussi marchands. Qu'est-ce qui explique ce changement? Il
semble bien qu'il y avait d'autres actionnaires, notamment William Moody,
décédé en 1876. Il y aurait donc eu des démissions ou des élections de nouveaux
dirigeants.
La production
L'entreprise fabrique des briques, des tuiles et des
poteries. Outre les deux tombereaux à patins, elle utilisait une presse à
doubles chevaux, des brouettes, des pelles et des piques. Les fours (deux)
fonctionnaient au bois, puisqu'à l'hiver 1875, la compagnie achète deux cents
cordes d'épinette, sapin et bouleau à G. Désormier dit Cusson de
Saint-François-de-Sales, pour la somme de 500 $. À l'hiver 1876, un amas de
glaise (matière première) se trouve sur le site.
On retrouve un contrat daté du 14 mai 1877 où John Moody,
cautionné par son père, Matthew, s'engage à fabriquer 800 000 briques de
première qualité «et dont les deux-tiers au moins devront être de briques dures
et de bonne couleur». Le contrat nous apprend également que la manufacture
dispose de trois séchoirs neufs à ajouter aux anciens ainsi qu'aux deux
fourneaux. L'équipement ainsi décrit révèle une certaine ampleur de la
production tout en étant encore à un stade de production artisanale.
Qu'est-ce que justifie la commande d'une telle quantité de
briques? Produit-on sur commande ou pour un «marché anonyme»? Néanmoins, il
s'agit ici d'une commande sûrement alléchante pour justifier un déboursé de
2000 $ pour ces 800 000 briques.
Les conditions de travail
Une facette souvent négligée de la recherche en histoire
sociale est les conditions de vie et de travail des «petites gens». Un contrat
du 19 mai 1875 nous apprend que la compagnie procéda à l'engagement de Félix
Beauchamp, de Montréal, analphabète sans occupation déclarée, lequel loue ses
services à la manufacture. Il est tenu à la surveillance et à la conduite des
hommes, à la surveillance et à la garde des chevaux et des instruments. Pour
bien remplir ses obligations, il doit demeurer sur les prémisses avec sa
famille dans une petite maison louée par la compagnie. Enfin, Félix Beauchamp
doit «prendre les intérêts de la compagnie comme un bon père de famille et un
bon serviteur», faute de quoi il pourra être remercié de ses services. Il y a
dans cette phrase, qui fait cliché, toute une évolution des relations
personnelles entre l'employé et ses patrons. Félix Beauchamp est lié moralement
à la compagnie et doit être soumis comme un serviteur.
Le prix d'une telle soumission : 3 $ par jour ouvrable, y
compris les jours de fête d'obligation (mais non les dimanches), soit la somme
de 18 $ par semaine payable le samedi au bureau de la compagnie. Il s'agit pour
l'époque d'un excellent salaire de contremaître; un poste très enviable!
Cet engagement a-t-il été rentable pour la compagnie?
Cependant, en 1877, le marché entre John Moody et la compagnie ressemble
étrangement à un contrat forfaitaire : 800 000 briques pour 2 000 $. La
compagnie fournit les matériaux et les outils tandis que John Moody fournit le
reste, soit probablement la main-d'œuvre. Il faut donc en croire que les
premières années d'exploitation de la Manufacture de briques de Terrebonne
furent très prospères. Qu'est-il advenu de cette fabrique de briques? Nous n'en
savons rien. Il ne semble plus figurer dans les documents du début du 20e
siècle.
La
revue de cœur et d’action par Claude Martel
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