La crise a crispé les relations entre les dirigeants et
leurs actionnaires fonds d’investissement. Mais chacun trouve ses marques.
Entre fonds d'investissement et dirigeants d'entreprise,
l'histoire n'est plus la même. « Aujourd'hui, les premiers ne peuvent plus se
comporter comme des ‘deal makers', ils doivent assumer leur rôle d'actionnaire
» : ce constat d'un directeur d'investissement frappe comme une évidence pour
tous les protagonistes du secteur, les financiers comme les chefs d'entreprise.
Depuis le déclenchement de la crise, leurs relations subissent en effet
quelques tensions. Besoin accru de rentabiliser les investissements d'un côté,
difficulté à améliorer les résultats dans un contexte de croissance atone de
l'autre sont les deux facteurs d'une équation délicate à résoudre.
« La crise a impacté à plus d'un titre les relations entre
les fonds et les sociétés en portefeuille, confirme Bertrand Falcotet, associé
chez Valtus Transition, cabinet de management de transition qui effectue des
missions pour des fonds d'investissement. D'une part, elle est intervenue après
une période particulièrement faste pour les fonds. D'autre part, en l'absence
de croissance, les sociétés se sont retrouvées dans des situations très
tendues. » Les cas de figure sont alors multiples. Généralement, « lorsqu'un
fonds arrive dans une entreprise, la première chose qui change, c'est la
gestion financière qui devient très rigoureuse », observe Christian Liagre,
président du groupe organisateur de foires et congrès Créatifs. Un constat que
cet expert de la gestion opérationnelle généralise à toutes les sociétés qu'il
a eu à diriger, comme Réponse ou Nortène. « Un entrepreneur ne garde pas tous
les jours un oeil rivé sur les ratios financiers, poursuit-il. En revanche, le
fonds met en place des outils de gestion et de prévisions plus pointus. Ces
derniers ont l'avantage de permettre un meilleur monitoring de l'entreprise,
mais ils peuvent s'avérer lourds pour une société de taille intermédiaire qui
ne peut se permettre d'y consacrer les ressources (humaines entre autres)
nécessaires. »
Capacité à gérer la trésorerie
La crise ne fait qu'accentuer les exigences de la part des
fonds-actionnaires. Résultat, certains managers ne sont plus adaptés au nouvel
environnement de crise. « Les fonds se sont rendu compte qu'il y avait eu
des erreurs de casting, explique Serge Bonnefoi, manager spécialiste de
l'investissement dans des sociétés sous LBO (leveraged buy-out) depuis huit
ans. Leur premier réflexe a surtout été de renforcer le contrôle financier en
nommant des hommes rompus aux situations de restructuration, aguerris à la
gestion de la trésorerie et au BFR (besoin en fonds de roulement, NDLR). »
Un avis partagé par Bertrand Falcotet qui estime que « depuis 2009, le
management doit être orienté beaucoup plus ‘cash'. Aujourd'hui, un dirigeant
qui n'est pas sensible à la gestion des problèmes de trésorerie ne reste pas
longtemps à son poste ». Les fonds assument d'ailleurs cette logique. « Depuis
trois à quatre ans, les critères de recrutement évoluent et portent un peu plus
sur la capacité à gérer la trésorerie et à réduire les coûts. Avec la crise,
c'est devenu un élément clé dans la conduite d'une entreprise », reconnaît
Jean-Louis Grevet, président fondateur de Perceva, société qui investit en
fonds propres dans les PME françaises en retournement. Et plus qu'un profil de cost-killer,
les directeurs financiers recherchés doivent aussi maîtriser l'art délicat des
négociations avec les acteurs bancaires. « Durant la crise, le plus dur a été
de gérer les relations houleuses avec les banques qui avaient pour objectif de
limiter leurs risques en réduisant les moyens de financement traditionnellement
accordés aux entreprises en difficulté, confie le directeur financier d'une
entreprise en retournement. De nombreuses sociétés sous LBO ont eu des
problèmes avec leurs échéances bancaires, et les banques ont parfois refusé
l'étalement de la dette. »
Plus globalement, les fonds déterminent souvent ce qu'il
convient d'apporter en matière d'expertise au management. « Certains d'entre
eux ont même créé en interne des postes dédiés à l'amélioration des compétences
dans les sociétés en portefeuille », notait récemment Didier Vuchot, président
du cabinet de chasse de têtes Korn Ferry, à l'occasion d'une conférence sur ce
sujet. Selon lui, ce ne sont plus seulement les dirigeants ou les directeurs
financiers qui dialoguent avec les fonds mais tous les membres du comité
exécutif des entreprises. De fait, les conseils dispensés en matière de
recrutement vont, depuis la crise, au-delà de leur périmètre habituel. « Selon
le profil des sociétés, nous pouvons intervenir pour donner un avis aux
dirigeants sur des managers d'échelons inférieurs mais tout aussi stratégiques,
comme la direction commerciale, marketing, voire même la gestion des achats
pour un groupe industriel, confirme Jean-Louis Grevet. La crise nous oblige à
examiner plus en profondeur les compétences. » Si les exigences des fonds se
sont accrues, elles ne se traduisent pas toujours par un interventionnisme
effréné. « Même s'ils donnent leur opinion sur tous les sujets, ils laissent
souvent leur liberté de gestion aux managers, relève Christian Liagre. Dans
l'intérêt des deux parties, fort heureusement. La guerre est rare ! » Un
directeur d'investissement met en garde : « Il faut toujours avoir à l'esprit
les limites au-delà desquelles le fonds peut être qualifié de gestionnaire de
fait, avec tous les risques que cela peut comporter. » Ainsi, en matière de
recrutement, rien n'est imposé. « Lorsqu'un dirigeant veut recruter un
directeur, il nous consulte, mais finalement c'est lui qui prend la décision,
précise Jean-Louis Grevet. Nous n'avons qu'un avis consultatif car nous
estimons qu'un bon dirigeant est avant tout quelqu'un qui sait s'entourer de
personnes compétentes. Il est important qu'un patron assume ses
responsabilités. »
Profil international
Les fonds sont certes pressants envers le management des
entreprises en portefeuille, mais cela se traduit aussi par une attention plus
marquée. Une forme de coaching pour périodes de crise. « Ils sont aujourd'hui
plus mobilisés pour apporter de la valeur ajoutée à leurs sociétés, juge
Bertrand Falcotet. Ils en ont d'autant plus le temps et les moyens qu'il y a
beaucoup moins de ‘deal'. » Cette mobilisation a pris un nouveau virage. Plus
stratégique cette fois. « A compter de 2011, les fonds qui espéraient un
redémarrage de la croissance en ont été pour leurs frais, explique Serge
Bonnefoi. Leur interventionnisme a donc pris une autre tournure avec la volonté
d'orienter leurs entreprises vers de la croissance externe. Il leur a fallu
effectuer de la consolidation via des relais de croissance dans d'autres zones
géographiques. » Selon Didier Vuchot, « les fonds sont aujourd'hui dans une
démarche d'internationalisation des sociétés qu'ils détiennent. Ils savent
qu'ils doivent aller chercher la croissance ailleurs qu'en Europe. De fait, les
recherches et les recrutements s'orientent vers des profils de managers très
internationaux, particulièrement tournés sur les marchés émergents. Les profils
spécialisés dans le ‘sourcing' et l'origination sont aussi recherchés ».
Les fonds d'investissement sont donc plus concernés par la
vie des entreprises dans lesquelles ils investissent, allant au-delà des seules
considérations financières. Certains, comme le Fonds stratégique
d'investissement (FSI), en ont même fait leur cheval de bataille. « Nous
mettons en place un dialogue structuré pour encourager et suivre des actions
d'amélioration qui embrassent toutes les dimensions de l'entreprise, non
seulement financières, mais également industrielles, stratégiques et sociales
», décrit Yves Barou, conseiller social du FSI. Une démarche qui peut parfois
surprendre les chefs d'entreprise peu habitués à autant d'égards. « L'un
d'entre eux m'a même dit après une réunion : ‘Cela fait plaisir que l'on
s'intéresse à ce que je fais. D'habitude, il n'y en a que pour mon directeur
financier !' », se souvient avec humour le conseiller social du FSI. Il
n'empêche, cette pensée doit être aujourd'hui commune à nombre de managers qui
travaillent avec des fonds actionnaires de leurs sociétés.
Source L’AGEFI
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