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02/05/2012

LBO : Le bras de fer a commencé

Le surdimensionnement de certains rachats par endettement oblige les entreprises à restructurer leur dette.
Les négociations avec les créanciers sont tendues, dans un contexte économique difficile. « Si le business plan s'était déroulé comme prévu, il n'y aurait pas eu de problème... » déplore Philippe Bayet, le PDG de Desmet Ballestra, une société d'ingénierie spécialisée dans la conception et la livraison d'usines dans le domaine des oléagineux. Cette réflexion, de nombreux dirigeants d'entreprises financées par des « leverage buy-out » (LBO, ou acquisition par endettement) avant la crise de 2008 peuvent se la faire, alors qu'ils doivent honorer les premières échéances du remboursement de leur dette. Desmet Ballestra a été acquise en 2007 par le fonds d'investissement Equistone Partners (Barclays Private Equity à ce moment-là) et son management, sur la base d'un business plan précrise et d'une valorisation, avec un effet de levier bancaire, qui correspondaient aux critères de la belle époque des LBO : sept fois l'Ebitda (les revenus avant impôts, dotation et provisions)... Un temps révolu ! En 2009, après avoir perdu près de 40% de son chiffre d'affaires, Desmet Ballestra doit renégocier sa dette. Equistone injecte 27 millions d'euros et un nouveau business plan est mis en oeuvre. Insuffisant! La dette d'environ 190 millions d'euros reste surdimensionnée pour une société dont l'Ebitda est de 20 millions d'euros. En 2011, tout est à refaire. L'histoire de Desmet Ballestra n'est pas anecdotique. Selon le cabinet américain Dealogic, les LBO montés jusqu'en 2008 vont devoir rembourser 550 milliards de dollars (près de 425 milliards d'euros) en Europe d'ici à 2016, dont 86 milliards de dollars pour la France. Un mur de dette colossal, surtout dans une économie atone. « Beaucoup d'entreprises vont avoir des difficultés. Nous sommes persuadés que l'activité économique ne sera pas forte ces prochaines années, les business plans sont donc à revoir », confirme Ludovic Sénécaut, le président d'Euler Hermes France, l'assureur crédit qui rembourse les impayés de ses clients lorsqu'un LBO tombe. Et plus les montages ont d'envergure, plus le danger est important. « D'énormes LBO ont été réalisés avec des effets de levier considérables et des valorisations d'entreprise très élevées, rappelle Yves Peroy, le directeur corporate finance de la Banque Palatine. Pour les small et mid-cap [les petites et moyennes capitalisations, ndlr], les volumes de dette sont en général plus faibles. »
Éviter la collision La Banque Palatine détient 120 lignes de dettes LBO. Elle estime que 5% à 6% de ces entreprises ont connu des difficultés. Impossible cependant d'évaluer le nombre de sociétés qui ne seront pas en mesure de rembourser leur dette dans les prochains mois. « Cela ne veut pas dire qu'il y aura une catastrophe, poursuit Ludovic Sénécaut. Mais il faut qu'une discussion ait lieu. » Capitaux investisseurs, banquiers et chefs d'entreprise doivent se mettre autour d'une table pour éviter la collision avec le mur. Le bras de fer a déjà commencé. Le message des fonds d'investissement est clair : le mur de la dette est un fantasme. « Dans notre enquête annuelle sur les LBO en difficultés, moins de 1% des entreprises sous LBO ont dû cesser leur activité. Il y a donc des sujets qu'il ne faut pas nier, mais ce n'est pas non plus un grand danger », rappelle Louis Godron, le président de la commission Capital transmission de l'Association française des investisseurs en capital (Afic) et directeur général du fonds d'investissement parisien Argos Soditic. Selon l'étude de l'Afic, 19,2% des participations ont rencontré des difficultés à rembourser leur LBO en 2010, dont 10,8% ont réussi à rééchelonner leur dette bancaire. Et 1,8% seulement a échoué. Les banquiers, eux, durcissent le ton. Pas question d'accepter de repousser encore les échéances, comme ils l'ont fait juste après la première crise financière, sans que les actionnaires, en contrepartie, ne réinjectent aussi des fonds. Histoire de partager les risques.
Materis, un chimiste pour les matériaux de construction détenu par Wendel, a pu le constater. La renégociation de sa dette bancaire de 1,9 milliard d'euros, dont la première échéance tombe en avril 2013, peine à aboutir. L'investisseur ne semble en effet pas disposé à remettre au pot. Les créanciers veulent de leur côté des garanties. L'option de la vente d'une division du chimiste est à l'étude.
Chez Desmet Ballestra, les banquiers ont aussi tapé du poing sur la table. En échange d'un rééchelonnement de la dette, repoussée de deux ans, l'entreprise et ses actionnaires ont dû consentir à quelques sacrifices. Equistone a de nouveau injecté 15 millions d'euros dans le capital de la société en 2011 et a, en parallèle, changé entièrement le management de l'entreprise. Philippe Bayet est arrivé au début de l'année dernière avec pour mission de relancer l'activité. Sortie d'activités non-stratégiques, réorganisation de la R et D, amélioration de la compétitivité des usines... Le nouveau business plan a été finalisé en octobre. Près de six mois de négociations et le passage d'un cabinet d'audit mandaté par les créanciers auront été nécessaire pour parvenir au compromis sur la restructuration de la dette. Le mur de la dette, fantasme ou réalité, aura toutefois eu un autre effet. Les restructurations financières des anciens LBO ont eu une incidence sur les projets. Les acteurs ont changé leurs pratiques, avec des effets de levier moindres (autour de trois fois l'Ebitda contre sept auparavant) et un niveau de fonds propres plus élevé (60% de capital pour 40% de dette bancaire, contre parfois 70% de dette dans les montages). À croire que le monde de la finance a pris conscience de ses propres excès.

LES CINQ LEVIERS POUR S'EN SORTIR
* RENÉGOCIER SES ÉCHÉANCES Un business plan solide peut permettre à l'entreprise de retarder le paiement de sa dette. C'est ce qu'a fait TDF [photo], la société de services numériques et télécoms qui, avec l'accord de ses banques, paiera en 2016 les 3,7 milliards d'euros prévus en 2014 et 2015. Un bol d'air qui lui permettra de financer le développement de services (4G, télévision à péage, radio numérique...). Mais qui alourdira ses frais financiers.

 * EFFACER DE LA DETTE C'est la solution redoutée par les banquiers. Face à une situation devenue intenable pour l'entreprise, quand le service de la dette s'avère trop élevé par rapport aux revenus de l'activité, elle peut demander à ses banques d'effacer une partie de la dette. En France, la procédure de sauvegarde financière accélérée (SFA) a été créée en 2011 pour faciliter cette démarche. Ce « chapter 11 » à la française, qui ne concerne que les dettes financières, permet d'adopter le plan de restructuration à la majorité des créanciers et non à l'unanimité.

* TROUVER DE NOUVELLES RESSOURCES Un apport de cash détend les relations avec la banque. Céder des actifs non-stratégiques permet de rembourser la dette. D'autres entreprises, plus grandes, font appel au marché obligataire pour transformer leur dette en obligations. C'est ce qu'a fait Numericable [photo], détenu par les fonds Carlyle, Cinven et Altis, en levant 360 millions d'euros en février.

* REFAIRE LES POCHES DE SON FONDS Dans ce cas, c'est le fonds d'investissement qui est sollicité. L'actionnaire remet au pot et prend une nouvelle part du capital. Cela permet de réduire le taux d'endettement de la société. Et de donner des garanties supplémentaires aux créanciers. La structure financière de l'entreprise s'en retrouve mécaniquement améliorée. Elle peut financer sa croissance pour payer ses dettes. À la fin de 2011, les fonds d'investissement, dont Equistone Partners, ont réinjecté 19 millions d'euros dans le capital de Desmet Ballestra.

* TRANSFORMER SES CRÉANCIERS EN ACTIONNAIRES La solution est plus rare, les banques n'aimant pas prendre la place des entrepreneurs. Cette technique, plus souvent utilisée dans le monde anglo-saxon, consiste à transformer une partie de la dette en actions. Après d'âpres négociations, le chimiste lorrain Novasep [photo] a ainsi obtenu une réduction de sa dette obligataire de 415 à 150 millions d'euros, le reste étant converti en capital.
 Source L'Usine Nouvelle par ARNAUD DUMAS

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