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16/03/2012

Art de vivre et habitat – L’architecture durable

L’architecture écologique, la tendance montante de l’art de la construction. Plaçant l’usager au cœur de sa démarche de conception, et la prise en compte du terrain comme préalable à toute construction, elle remodèle certains codes de l’architecture traditionnelle. Et fait évoluer le métier vers davantage de pluridisciplinarité. Ce qui n’est pas sans soulever quelques critiques.

C’est vieilles Converse aux pieds que tout adolescent branché daigne se montrer en public. Le bobo néglige quant à lui le pain ordinaire pour une baguette dite “tradition”, plus chère mais “tellement plus goûtue”. Le Graal du mélomane dans le coup ? Un bon vieux vinyle des Rolling Stones. “Un son incomparable.” Bref, être à la mode n’est rien d’autre que faire du neuf avec du vieux.

En architecture aussi ? Assurément. Quel maire ne se rêve pas en héraut de l’avant-garde écologiste en annonçant la construction prochaine d’un éco-quartier ? Quel jeune couple imagine encore sa future maison sans une armature en bois, un système de récupération des eaux usées, et une large ouverture plein sud ? Or l’apparente modernité de ces modes de construction ne s’adosse pas au génie de quelques architectes théoriciens du XXIe siècle, mais bel et bien à la solide épaisseur des siècles.

Du neuf avec du vieux
Les anciens n’avaient en effet pas attendu l’édiction de la RT 2012 pour se protéger du froid l’hiver et du chaud l’été, en modulant la température de leurs intérieurs. Leurs si formidables outils techniques ? De larges murs de pierre et beaucoup de bon sens. Des méthodes ancestrales oubliées, puis réapparues dans l’art de bâtir dans le courant des années 60-70, sous le nom d’architecture bioclimatique. “C’est le premier choc pétrolier qui a remis la question des économies d’énergie au cœur du débat. Le credo de cette ‘discipline’ était simple : tirer parti des potentialités d’un site. Cela passait par une architecture douce, des habitations orientées au sud, des espaces tampon au nord. On observait aussi une petite percée des matériaux écologiques”, se souvient Elisabeth Pélegrin-Genel, architecte et présidente de l’association Archinov. Portée autant que décrédibilisée par le mouvement baba-cool, cette nouvelle façon de bâtir demeura cependant marginale.

Il faut dire qu’à peu près à la même époque, une architecture à la philosophie, à la démarche et aux objectifs totalement différents voyait le jour. Celle-ci prenait avant tout en compte les réalités sociales du moment, notamment les besoins de logement, ainsi que les aspirations de beaucoup à devenir propriétaires. “Cette période a vu le basculement vers une architecture industrielle, avec des maisons sur catalogue qui ne prenaient en compte que l’aspect économique. L’esthétique, le respect du terrain, le confort de vie dans la maison étaient des critères complètement abandonnés. Cette démarche commerciale a aussi fait disparaître toute critique et toute attente qualitative chez les usagers” regrette Frédéric Denisart, architecte et vice-président du Conseil national de l’ordre des architectes. Une dérive encouragée par l’Etat puisqu’en 1977, la loi soustrayait les maisons de moins de 170 m2 à l’obligation de faire appel à un architecte pour leur construction. Un désaveu dans lequel les architectes avaient aussi leur responsabilité, davantage intéressés qu’ils étaient par la réalisation de grands ensembles ou d’immeubles que par celle de pavillons individuels.

Aujourd’hui, “si 90 % des maisons sont encore réalisées par des constructeurs”, rappelle Frédéric Denisart, la donne commence à changer et les consciences à s’éveiller. “Le deuxième choc pétrolier, Kyoto, et plus récemment le Grenelle, ont ramené les préoccupations écologiques au premier plan. Aujourd’hui, tout le monde y est sensibilisé” se réjouit Elisabeth Pélegrin-Genel. A tel point que l’écologie durable commence à faire son trou.

Du social dans l’écolo
Après la standardisation de la maison Phénix, place à l’adaptation. A l’environnement direct, tout d’abord. “Comment positionner la maison en respectant le site, et non l’inverse, comment adapter l’intérieur à la lumière”, énumère le vice-président du Conseil national de l’ordre des architectes. Des principes qui permettent d’insérer en douceur l’habitat dans une nature la moins perturbée possible.

“C’est une nouvelle relation à l’environnement” affirme Elisabeth Pélegrin-Genel. Contrairement à une idée reçue, bâtir écolo ne se résume donc pas à de la technicité. Pour l’ensemble des professionnels, il s’agit bien davantage d’une démarche de conception qu’une mise en œuvre de matériaux. Pour autant, certains d’entre eux s’avèrent plus indiqués que d’autres. Notamment depuis l’émergence de la notion d’énergie grise, qui incite à calculer l’impact environnemental de l’usage de certains matériaux, depuis leur construction jusqu’à leur destruction en passant par leur utilisation pratique. “Dans ce cadre, nous allons plus facilement vers du bois ou de l’aluminium que vers du PVC” constate la présidente d’Archinov.

Mais le respect de la nature n’est pas tout. Loin de là. Cet aspect de l’architecture durable agace même certains professionnels, comme Vincent Michel, directeur de l’Ensa (Ecole nationale supérieure d’architecture) de Versailles, qui préfère utiliser le terme d’“architecture soutenable”. “Résumer cette dernière à des prescriptions de matériaux ou des techniques d’isolation écolo est contre-productif, et ne fait que répondre aux exigences économiques des fournisseurs de matériaux.”

Selon lui, le cœur de cet art nouveau de construire est ailleurs : “Dans la dimension sociale, trop souvent oubliée parmi les trois piliers du développement durable. Si l’architecte oublie le social, il s’agit d’une régression. A l’Ensa de Grenoble, que je dirigeais autrefois, nous étions à la pointe en matière de construction en terre crue. Quand on sait que 2 à 3 milliards de terriens vivent dans ce type d’habitat, avancer dans la recherche et l’utilisation de cette technique apparaît comme une vraie avancée sociale.” Pour autant, l’impact de l’action des architectes vertueux n’est-il pas à nuancer, tant le social semble rester le pré carré de l’Etat et des collectivités ? “Non, tonne Vincent Michel. Le social, c’est aussi la valorisation du foncier. Et pour ce faire, les architectes sont tout indiqués !”

D’où un grand nombre d’avantages pour l’habitant à vivre dans du durable. Au premier rang de ceux-ci, le confort au quotidien. Quoique non quantifiable, cet aspect de la maison soutenable se révèle primordial selon l’ensemble des professionnels. Simple argument de vente ? Non, car en plaçant l’usager au cœur de la démarche de construction, l’architecture durable parvient à coller au plus près des besoins de celui-ci. Mais au-delà de cet aspect, bâtir soutenable peut aussi permettre une meilleure insertion dans le tissu social local. En mixant les fonctions des bâtiments dans un éco-quartier, par exemple. Ou en rénovant de l’ancien plutôt qu’en bâtissant du neuf. “Je vis moi-même au cœur d’un petit village, dans une vieille maison que j’ai rénovée. Cela me permet d’aller chez les commerçants à pied, de discuter avec le voisinage, d’avoir les potins du village. Autant d’éléments qui m’ont permis d’être très bien accueilli et de parfaitement m’intégrer, bien mieux que si j’avais emménagé dans un lotissement à l’extérieur du village” affirme Frédéric Denisart.

Nouveau métier, nouvelles pratiques
A nouvelles priorités, nouveaux modes de travail. L’architecture soutenable apparaît donc comme une redéfinition du métier de l’architecte. Dans quel sens ? Celui d’une extension vers une discipline cousine – voire plus : l’urbanisme. Désireux d’aider le citoyen à vivre mieux, mais aussi d’interagir de façon vertueuse avec l’environnement, l’architecte vert se doit d’élargir son champ d’action. “Il doit dépasser les échelles, partir de celle du bâtiment, et aller vers celle du quartier, de la ville, puis de la métropole et ainsi de suite”, note Jean Pierre Bobenriether, directeur de l’Ensa de Paris Belleville. Une extension que l’on retrouve dans différents projets menés actuellement, comme celui du Grand Paris, où les architectes se font plus que jamais urbanistes.

“Ou dans certains projets de téléphériques urbains, qui allient le respect des sols et le mieux-être du voyageur qui se déplace ‘à l’air libre’ ” rappelle Vincent Michel. Autant de chantiers qui impliquent une vision globale des projets, avec des interrelations nouvelles, notamment avec les techniciens du bâtiment. Car du fait du respect nécessaire de nombreuses normes – environnementales notamment –, l’architecte se doit de travailler avec des équipes d’une pluridisciplinarité croissante. “Dernière évolution, note Elisabeth Pélerin-Genel, l’équipement informatique important dont doivent se doter les architectes, afin de réaliser des esquisses qui prennent en compte avec toujours plus de finesse les qualités techniques des futurs bâtiments.”

Trop de normes, trop peu de bon sens
Une redéfinition des prérogatives et du métier d’architecte qui ne va pas sans critiques. Au premier rang de celles-ci, la place trop importante laissée aux techniciens par les architectes durables, qui se cantonneraient dans un simple rôle de conception en amont, et abandonneraient en partie le temps de la construction. La faute, selon Frédéric Denisard, à une “technicité exagérée que l’on impose aux architectes et qui se traduit par l’obligation du respect d’une armada de normes”.

Or, poursuit le même, “il ne faut pas perdre de vue que moins une maison consomme d’énergie, moins nous avons besoin de technique. La priorité, c’est donc la qualité de l’enveloppe. Et notre credo, c’est un minimum de technicité et un maximum de bon sens”. Donc, avant de réfléchir à l’installation de pompes à chaleur et autre système de ventilation à double flux, priorité à une isolation efficace ! D’autant que les normes imposées par le législateur se révèlent trop rigides. En effet, celles-ci n’analysent pas les comportements d’usage, mais définissent un standard de ce que devrait être le fonctionnement d’une maison. Bref, une démarche opposée au mode de fonctionnement de l’architecture soutenable, qui met l’habitant et son confort au centre de l’architecture.

“L’addition de normes n’aboutit pas toujours à une qualité de construction. Bien au contraire, des espaces sur-normés peuvent amener à des contresens. Utiliser beaucoup d’aluminium peut par exemple peser lourd sur un bilan global. De même, la construction d’éco-quartiers renfermés sur eux-mêmes peut amener à une forme de ghettoïsation” martèle Vincent Michel. Ainsi, au-delà de la dérive ultra-technique, “l’architecte doit tenir sa place, et demeurer un concepteur d’ensemble pour penser le quotidien”, rappelle Elisabeth Pélegrin-Genel. En ce sens, de nombreuses écoles proposent d’ailleurs des cursus mêlant les études d’ingénieurs à celles d’architecture, afin d’optimiser le dialogue entre ces deux acteurs clés de la construction.

Autre élément pointé du doigt par les détracteurs de l’architecture durable, son manque de créativité. Symbole de cette limite supposée, l’éco-quartier Bedzed de Londres, austère et monotone. Là encore, certains défenseurs du durable s’en prennent à la profusion des normes et de règles qui nuiraient à la créativité des architectes. Enfin, le durable coûterait cher. Bien davantage en tout cas que les constructions traditionnelles.

Frédéric Denisard nuance cette idée : “Faire rénover une maison de façon écolo peut revenir environ 15 % plus cher. Et dans le neuf, la facture peut être supérieure de 10 à 15 %. Mais il faut voir plus loin que ces chiffres, puisque l’avantage de l’architecture durable, c’est sa capacité à répondre aux besoins très précis des habitants. Donc nous ne leur proposons que ce dont ils ont besoin, sans rien de superflu. Par ailleurs, n’oublions pas non plus qu’une maison représente du patrimoine, et qu’une habitation durable se revendra plus cher. D’autant que lorsque la RT 2020 sera en place, toutes les maisons seront écolo, et celles qui ne le seront pas souffriront d’un vrai déficit de valeur”.

Derrière les critiques, l’avenir de l’architecture écologique se révélerait donc dégagé. Car en plus de cette réglementation bientôt à l’œuvre, le “construire-propre” est devenu un credo partagé par une très grande partie des jeunes architectes. “Dans les écoles, le développement soutenable est un concept transversal à chacune de nos disciplines. C’est ainsi que nous préparons une nouvelle génération d’architectes, qui est en plus sensibilisée à ces questions avant même de franchir le seuil de nos établissements” rappelle Vincent Michel. Un optimisme à nuancer, toutefois, puisque si les bâtiments récents se font de plus en plus verts, l’ancien demeure le point noir du parc immobilier français. Or, le neuf ne renouvelle chaque année que 1 % du parc bâti sur le territoire. La route est encore longue.
Source Le Nouvel Économiste

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