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13/11/2011

Les Français visent le marché libyen

Pierre Lellouche en Lybie Emmenées par le secrétaire d’État au Commerce extérieur, 80 entreprises ont présenté leur savoir-faire en Libye. Objectif : le très fructueux secteur de la reconstruction.

A Tripoli, en Libye, les visiteurs se suivent et se ressemblent. Et c’est désormais armées d’attachés-cases et de calculettes que ces troupes-là se déplacent. Les Italiens sont déjà venus, en pays de connaissance. Les Au­trichiens aussi, puis les Turcs, emmenés par Recep Erdogan lui-même. Les Allemands, bien sûr, une première fois, puis une deuxième, en compagnie du vice-chancelier chargé de l’Économie, ainsi que les Britanniques.

Objectif de ces délégations, souvent très étoffées : prendre date auprès des très riches et désormais très recommandables Libyens pour préparer des commandes et des contrats que l’on espère massifs.

Un peu tôt, voire excessif ? Un conseil­ler du secrétaire d’État français chargé du Commerce extérieur, Pierre Lel­louche, balaie l’objection d’un revers de main : « Même ceux qui n’ont pas voté les frappes de l’Otan quand les Libyens avaient besoin d’eux viennent à la chasse aux contrats ! Alors, pourquoi les Fran­çais, qui ont décidé l’Otan à intervenir au moment décisif, s’en priveraient-ils ? »

D’où la visite à Tripoli du secrétaire d’État au Commerce extérieur, le 12 octobre : en digne représentant du « pays qui a aidé ce pays à se libérer lui-même », Pierre Lellouche a lancé ses grandes manœuvres. Dans un avion spécialement affrété par la République, des représentants de 80 entreprises, grands groupes et PME, ont pris place, accompagnés de parlementaires, de quelques intellectuels et de journalistes.

Une armada industrielle déployée en bon ordre. Agroalimentaire, banque et financement, BTP, eau et environnement, électricité, pétrole-gaz, santé, sécurité, télécommunications, trans­port, aménagement du territoire et urbanisme, conseils en communication ; les fi-lières représentées sont à même d’orchestrer toute la reconstruction d’un pays où les combats, qui ont été terribles dans certaines villes – Benghazi, Misrata, Syrte… –, sont à peine ter­minés.

« Pour la première fois, explique Pierre Lellouche, les entre­prises se sont organisées en “clusters” [secteurs d’activité] emmenés par un chef de file afin de présenter leur offre ; c’est un gage d’efficacité. Ces regroupements sont constitués autant de PME que de grands groupes : les seconds, qui ont davantage de moyens, doivent emmener les premières, qui sont pourvoyeuses d’emplois dans notre pays. » Ceux, pourtant, qui attendaient de cette première visite une moisson de contrats, en auront été pour leurs frais : côté libyen, personne n’est prêt.

Dans le domaine de l’environnement, par exemple, où il y a beaucoup à faire : « Nous attendons un ministre des municipalités pour avoir un interlocuteur et pour agir », explique une entreprise du cluster aménagement. De la même façon, le secteur des transports attend que « la sécurité soit rétablie et que le système bancaire fonctionne à nouveau ; rien ne se fera sans ça », affirme Oliver de Noray, directeur des ports pour le groupe Bolloré, qui constate « pour l’instant, un problème de lisibilité de l’organisation libyenne ».

Un cadre local d’Alcatel-Lucent, une des rares entreprises à avoir repris ses activités en Libye, confirme : « Le potentiel est énorme. Mais cela prendr
a du temps… »

Malgré l’empressement de leurs nou­veaux amis, les rebelles de Libye n’en sont de fait qu’à leurs balbutiements démocratiques : le Conseil national de transition n’a pas encore tout à fait désigné de gouvernement transitoire, lequel sera suivi, en principe dans huit mois, d’un gouvernement élu.
Or, le ministre des Finances et du Pé­trole, Ali Tarhouni, l’a dit sans ambages : « Aucun contrat ne sera signé avant l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement élu. »

Qu’à cela ne tienne, cela viendra !

Sur les quelque 2 500 kilomètres de côtes que compte le pays et auprès de ses remarquables sites antiques, hôtels et clubs de loisirs pourraient, demain, être édifiés. Dans les villes touchées par les combats, de multiples bâtiments et infrastructures sont à reconstruire. Le secteur pétrolier, qui produisait 1,6 mil­lion de barils par jour, n’en fournirait plus aujourd’hui que 400 000 ; l’urgence est donc à la réhabilitation et à l’extension de réseaux très souvent obsolètes. Total, tout comme l’italienne Eni, a d’ailleurs déjà repris partiellement ses activités…

Keyria, une filiale de Legris Industries, faisait elle aussi partie des entreprises françaises déjà présentes en Libye avant les combats. Cette grosse PME – 1 200 sala­riés – y vendait des briqueteries et tuileries clés en main. « Nous avons livré deux usines en 2008, ex­plique Alain Chaize, président de Keyria, et étions en négociation pour en vendre deux autres. Nous souhaitons revenir, mais, dans un premier temps, il faut écouter les Libyens, comprendre leurs besoins et, ensuite, adapter nos réponses. »

Même si le pays ne compte que 6 mil­lions d’habitants, le marché est important pour Keyria : « Quand tous les autres, des États-Unis à la Russie, ralentissent ou s’écroulent, les marchés qui paraissaient mineurs prennent beaucoup de poids », poursuit Alain Chaize.

D’autant que la Libye est riche, très riche : ce pays, qui n’a pas un dinar de dette, compte en France près de 2 mil­liards de dollars bloqués et en totaliserait quelque 70 milliards dans le monde ! « Et encore, soupire un membre du cabinet de Pierre Lellouche, ils découvrent, paraît-il, tous les jours des doubles comptabilités qui laissent penser qu’il y a encore plus d’argent à récupérer… » Autant dire que, même si quelques contentieux existent encore pour des entreprises qui n’ont pas vu toutes leurs factures payées avant la guerre, la Libye a les moyens de tout s’offrir…

Il lui reste à choisir ses partenaires. Avant le conflit, la France n’était que le sixième fournisseur de la Libye, avec une part de marché de 6 %, alors que celles de l’Italie et de la Chine étaient de 19 % et 11 % respectivement. Compte tenu de ses achats d’hydrocarbures, la France avait un déficit de 4 milliards d’euros en 2010.

La concurrence entre fournisseurs potentiels est féroce

« Jusqu’à présent, l’activité ne concernait qu’une famille et ses obligés. Le pays était laissé dans le sous-développement. Main­tenant, compte tenu des prises de position françaises à la suite de la révolution de février 2011, tout va changer ! », assure un Pierre Lellouche enthousiaste.

En attendant, la concurrence entre fournisseurs potentiels est féroce. Et même si l’accueil tripolitain fait aux Français est très amical, les affaires, ici aussi, resteront les affaires. Les contrats que nous signerons, a d’ailleurs expliqué le ministre libyen, seront avant tout « transparents » – c’est-à-dire soumis à la concurrence – et choisis « en fonction de leur intérêt pour le peuple libyen ».

Il faut donc, le secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur en est per­suadé, montrer « générosité et réactivité » face aux situations d’urgence, à commencer par les soins à donner aux dizaines de milliers de blessés que compte le pays. « C’est un véritable partenariat de santé publique qu’il faut mettre en place en réorganisant la livraison des produits de santé », explique une entreprise du cluster santé. Toujours pour parer au plus pressé, des transmetteurs sur des réseaux de télécommunication est-ouest ayant été endom­magés, une intervention d’urgence doit être mise en œuvre par France Télé­com.

Pour plusieurs mois encore, il faudra donc savoir écouter, aider, accompagner les Libyens. Dans les soutes de l’avion ministériel, plus d’une tonne de médicaments avaient été ainsi amenés à Tri­poli. Des enfants libyens blessés pourraient être prochainement accueil­lis dans des hôpitaux français. L’Institut du monde arabe, à Paris, projette une grande exposition sur les trésors de la Libye antique, tandis que Marseille envisage un jumelage avec Benghazi… À Tripoli même, où l’anglais est la première langue étrangère pratiquée, un éta­blissement scolaire français proposant enseignement primaire et secondaire devrait ouvrir dès 2012, tandis que des opérations de formation continue seront proposées aux salariés des administrations et des sociétés li­byennes. Pour les entreprises elles-mêmes, une antenne d’Ubifrance ou­vrira ses portes d’ici quelques mois dans la capitale.

Objectif commun de ces mesures apparemment hétéroclites : investir sur l’avenir. En espérant, un peu plus tard, récupérer la mise…
Source par Valeurs Actuelles Christine Murris

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