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24/06/2010

Abzac terre de tuilerie

La tuilerie de Chardat est l'une des dernières tuileries artisanales de la région. Elle emploie vingt salariés à Abzac. Renaît après un hiver marqué par le chômage.

Dans le Confolentais, on parle de la tuilerie de Chardat comme on parle de la chèvre de Monsieur Seguin. Elle appartient au paysage de l'enfance. Les silhouettes des vingt salariés épousent les courbes des tuiles canal. Aujourd'hui comme hier, dans les deux sites d'Abzac, frontaliers avec la Vienne. Les gestes n'ont pas changé. L'automatisation des lignes les a simplement soulagés. Jean-Pierre Marye, le directeur technique, solide gaillard à la moustache conquérante, montre avec fierté le coupeur. La dernière acquisition de la maison, lorsqu'elle avait encore les moyens d'investir, arrondit les bords.
«Les artisans ne s'abîment plus les mains.»

Tout près, le séchoir engloutit les 3.500 tuiles fabriquées à l'heure dans un ronflement assourdissant. Trente-six heures plus tard, les trente-neuf wagons les aspirent pour les conduire au four de près de 100 mètres de long qui cuit vingt-quatre heures sur vingt-quatre.



«Les négociants ne font plus de stock»



La tuilerie artisanale, l'une des dernières de la région, ne connaît pas de répit depuis le 1er avril. Les trois mois de chômage de l'hiver s'estompent, tant bien que mal. «On vit au jour le jour, les négociants ne font plus de stocks. Les ventes sont très calmes, irrégulières», reconnaît René Malmanche, patron de l'entreprise familiale depuis sa prime jeunesse.

La restauration - 90% de son marché - a marqué le pas avec la crise économique. «Les gens ont peur. Ils préfèrent attendre.» Et le bout du tunnel n'est pas pour demain, si l'on en croit les tuiliers. «En septembre, ça risque d'être terrible. Beaucoup d'artisans n'arrivent plus à se faire payer», anticipe Jean-Pierre Marye. Méfiant face à l'avenir.

Vendre? «Les industriels ne cherchent qu'à récupérer des parts de marché. Ils ferment les unités», lâche-t-il, échaudé par les groupes. Pas question de cèder aux sirènes de la concurrence. «C'est dur mais on continue», affirme René Malmanche qui a déjà repoussé plusieurs offres. «Il y a pas mal d'anciens ici et les anciens on les emmène à la retraite. Il n'y a pas beaucoup de travail dans le coin.» Le capitaine sexagénaire ne veut pas quitter le bateau. Il a rempilé pour six ans en juin 2009. «Pour rendre service.»



«Forcé à devenir autoritaire»



En avril 2008, il avait pourtant passé le relais à sa soeur Annette, depuis huit ans dans l'entreprise. En février 2009, elle était emportée par un cancer. «Les comptes étaient bloqués. Il fallait payer les employés. Refaire une société.» René Malmanche s'est retroussé les manches, comme quarante-cinq plus tôt lorsqu'il avait dû succéder à son père. «J'avais 17 ans. Je ne connaissais pas tout dans l'affaire et les vieux ouvriers n'admettaient pas d'être commandés par un gamin», se souvient-il, le regard embué. Le jeune homme s'est forcé à «devenir autoritaire». «Il faut le vivre ça» soupire-t-il, avec un demi-siècle de recul. Les stigmates du passé ne disparaissent jamais complètement.

Un certificat d'études en poche, René Malmanche avait commencé à travailler trois ans plus tôt avec ses parents Raymond et Edith. Son père «paralysé à 52 ans», il lui fallait assurer. Déjà. Comme il lui a fallu assurer lorsque son frère Roland qui l'a rejoint il y a quarante ans, a été victime d'une attaque cérébrale en 2001. «Des fois, c'est facile. D'autres fois, ça l'est moins, mais avec mon frère on s'est toujours bien entendu», relativise-t-il. Roland Malmanche acquiesce, gagné par la nostalgie. «Il y a cinquante ans, il y avait de l'avenir. Il y avait quatre tuileries ici et on s'amusait bien. Aujourd'hui, c'est fini.» Le ton est las.

Les cloisons sèches et la disparition des plâtriers ont condamné les briques: 18.000 par jour il y a dix ans. Les tuiles plates ne compensent pas cette perte de marché. La tuilerie doit s'adapter en alignant ses prix sur ceux des industriels, en multipliant les accessoires et les nuances. «On teinte avec les engobes. Aujourd'hui, on en fait de toutes les couleurs et on en voit de toutes les couleurs», illustre le directeur technique. Avec humour et philosophie.

Les épreuves actuelles ne font pas oublier «les bons passages des années 70». «Chardat» veut garder le moral. Malgré les tuiles.



1840. Création par Adolphe Malmanche de la tuilerie de Chardat, du nom du hameau situé sur la commune d'Abzac.

1er juin 1961. René Malmanche, quatrième génération, rejoint l'entreprise familiale.

Septembre 1980. Ouverture d'un second site, entre le village de «Chardat» et la route d'Abzac à Montmorillon.

1.600.000 euros. C'est le chiffre d'affaires de cette entreprise aux capitaux familiaux.

30.000. C'est le nombre de tuiles canal fabriquées par jour. 33 centimes. C'est le prix d'une tuile plate ou canal. La différence? Il faut 55 tuiles plates au mètre carré et seulement 34 tuiles canal.

20. C'est le nombre de salariés de l'entreprise qui exploite deux carrières. La plus importante (150 ha) est située à Oradour-Fanais, la seconde (16 ha) à Cherves-Chatelars.
Source La Charente Libre

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