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18/11/2022

La tuilerie EDILIANS de Doyet (Allier), prise en étau entre crise de l'énergie et forte demande

La Française des tuiles et briques, à une vingtaine de minutes de Montluçon (Allier), fait face à une forte hausse des commandes, depuis deux ans. La petite usine a du mal à suivre la cadence.

Depuis 1960, la tuilerie de Doyet, la Française des tuiles et briques (LFTB), fabrique des tuiles plates traditionnelles, en terre cuite. « On intervient surtout pour de la rénovation », indique Thierry Caille, directeur du site.

D’habitude, à l’approche de l’usine, les nombreuses rangées de tuiles, stockées à côté des bâtiments, attirent l’œil des passants. En ce moment, le terrain est presque vide. « Le peu qui reste dehors est déjà vendu. Et tout ce qui sortira du four jusqu’en mars aussi. »

Des commandes à tout-va

Thierry Caille montre un carnet de commandes plein à craquer et annonce « six à sept mois de délai ». Une cadence infernale, qui a plusieurs explications. « On est à fond depuis le premier semestre du Covid. Beaucoup de Parisiens et de Lyonnais ont acheté des biens à rénover dans la région, après les confinements. »

Pour cette usine, très locale, qui « vend à 80 % sur la région Centre », les intempéries de juin, à Vichy, « ont ajouté un mois de délai supplémentaire ».

« C’est terrible parce qu’on n’arrive pas à répondre à une nécessité bien réelle. La petite dame à Vichy, qui voit les étoiles par son toit percé… On n’a pas de solution rapide pour elle. »

« Le peu qui reste dehors est déjà vendu. Et tout ce qui sortira du four jusqu’en mars aussi. »

Cette augmentation des ventes « de 15 % en deux ans » essouffle la quarantaine d’employés de la petite usine. « Les tuiles demandent 48 heures de cuisson. On peut produire 35 tonnes de tuiles par jour, soit environ 500 mètres carrés », calcule le directeur.

Nouvelle concurrence

« C’est comme cuire un gâteau, s’il faut tant du temps, à telle température, on ne peut pas décider d’aller plus vite, on ne peut pas faire plus », explique Jérôme Legeay, directeur des ventes.

Alors, malgré la forte demande et un apport de matière première suffisant, LFTB est contrainte de laisser la porte ouverte à des acteurs externes. « On voit débarquer des produits de Belgique, d’Allemagne ou encore du Portugal… », liste Thierry Caille.

Une arrivée inquiétante. « On est persuadés que ce qu’on vit en ce moment est un épiphénomène. Ça ne durera pas. Une fois les bâtisses rénovées, ça va se calmer », affirme Jérôme Legeay.

Mais les nouveaux acteurs, eux, ne repartiront pas. « Ce sont de nouveaux concurrents et il faudra qu’on compose avec dans les prochaines années », conclut Thierry Caille.

Crise des énergies : « On se bat pour rester viables »

Les usines à fortes dépenses énergétiques sont durement impactées par la hausse des prix. La tuilerie de Doyet tente de s’adapter.

« L’énergie est notre premier poste de dépense », indique Thierry Caille, directeur de la Française des tuiles et briques (LFTB).Le four de l'usine de Doyet mesure 80 mètres de long et peut cuire 35 tonnes de tuiles en même temps. Il date de 1966.

Jérôme Legeay
« Nous dépensons environ quinze GWh par an. C’est la consommation d’une petite ville. » Le four, lui, « chauffe à 980 degrés » et marche au gaz. Or, en moins d’un an, les prix ont été « multipliés par dix. Jusqu’à trente fois le coût habituel, certains mois ! »

Des augmentations faramineuses

Fatalement, l’augmentation se répercute sur les clients. « On a déjà dû augmenter les prix de 34 % », regrette Jérôme Legeay, directeur des ventes. « Certains produits vont encore prendre 40 %, début 2023. » Les deux hommes s’inquiètent : « Jusqu’à quand le marché va-t-il suivre ? »

Dans le métier depuis plus de 20 ans, Jérôme Legeay affirme « n’avoir jamais vu ça ». Les industriels pensaient pourtant être préparés. « On connaît les enjeux depuis longtemps. Mais là, ça va beaucoup plus vite que prévu ! »

L’approche de l’hiver n’arrange pas les choses. Thierry Caille serre les dents : « La Dréal nous annonce que l’on est interruptibles. Ça veut dire que si besoin, on peut nous fermer les vannes à tout moment. » Jérôme Legeay ajoute, désabusé : « On nous propose de nous prévenir seulement deux heures avant… »

« Les tuiles demandent 48 heures de cuisson. On peut produire 35 tonnes de tuiles par jour, soit environ 500 mètres carrés »

« C’est irrationnel ! Si on nous demandait, on sait s’effacer quand il le faut. Mais il faut du temps ! Un four, c’est quatre jours pour l’éteindre, quatre jours pour l’allumer. Si on le coupe sans préparation, on balance deux jours de travail à la poubelle ! », s’agace Thierry Caille.

Thierry Caille
Des choix inévitables

Le directeur ne sait plus vers qui se tourner : « Ils ne se rendent pas compte. Des coupures comme ça, ça met en danger la sécurité de nos installations ! » Le four, à un million d’euros, « prend dix ans dans la vue à chaque arrêt ».

Face à ces impératifs, l’usine « va fermer environ un mois ». L’occasion d’installer une gaine « pour recycler la chaleur du four, vers le séchoir. » Une dépense de 100.000 euros. « On se bat pour rester dans le circuit », souffle Thierry Caille.

Malgré tout, le directeur veut rester optimiste. « Grâce à notre carrière, l’apport d’argile est assuré pour des dizaines d’années. » Une « chance » qui leur permet, au moins, de limiter l’impact de la hausse des carburants.

Source La Montagne par Delphine Simonneau