À l'image d'un séisme, la crise sanitaire mondiale provoque des répliques inattendues dans de nombreux domaines. Actuellement, une pénurie de matériaux empêche ainsi le secteur du bâtiment français de mener à bien ses chantiers ou de respecter ses délais de livraisons. Alors que tout le BTP s'inquiète, les prix, eux, s’envolent.
D'où vient cette pénurie ?
L'état de l'économie mondiale, lié à la crise sanitaire, est en grande partie à l'origine de la pénurie de matériaux qui touche actuellement le secteur du bâtiment français. Les différents confinements ont largement contribué à la désorganisation des filières d'approvisionnement. Or une reprise brutale de l'activité, liée à une explosion des commandes de chantiers, a surpris les entreprises de construction et les acteurs du BTP. Chacun a donc tenté à sa manière de s'approvisionner en matières premières, ce qui a fait grimper les prix.
La pénurie de matériaux, et plus précisément de bois, s'explique également par la politique menée par Donald Trump vis-à-vis du bois canadien. L'ancien président des Etats-Unis a en effet décidé, l'an passé, de taxer le bois provenant du Canada, jusqu'ici principal fournisseur de son pays. Cette décision a poussé les entreprises américaines à s'approvisionner dans les pays d'Europe, notamment l'Allemagne et l'Autriche, à des prix extrêmement élevés. Un phénomène qui a provoqué une raréfaction du bois disponible en Europe, et une augmentation en flèche des prix.
Enfin, cette situation s'explique aussi par l'augmentation du prix du fret maritime, c'est-à-dire les frais de transport de marchandises, à hauteur de +400% pour les conteneurs. Cette hausse explosive des frais est en lien direct avec l'embouteillage du canal de Suez, provoqué par l'échouage du porte-conteneurs Ever Given survenu le 23 mars dernier.
Quels matériaux sont impactés?
Le bois est certainement le matériau dont la pénurie inquiète le plus le secteur du BTP français. Depuis la politique menée par Donald Trump, il est de plus en plus difficile de s'approvisionner en bois, pourtant essentiel à la livraison des chantiers... De son côté, le groupe Gipen (groupement français d'entreprises de fabrication de bois) évalue l'augmentation du prix du m3 à une fourchette comprise entre 20 et 50 euros, en fonction des essences de bois, comme le détaille le site spécialisé Batiactu.
La filière du béton et du mortier est également touchée de plein fouet par la pénurie de matières premières. Cette indisponibilité est notamment due à un incendie ayant eu lieu dans une usine en Allemagne ainsi qu'à la vague de froid survenue au Texas, qui a engendré des coupures électriques à répétition et des difficultés de production pour de nombreux industriels en février 2021.
Depuis quelques mois déjà, dans le secteur des produits métallurgiques, les compagnies du secteur doivent aussi faire face à des hausses de prix significatives et des délais d’approvisionnement croissants. Entre septembre et décembre 2020, le prix des tôles à chaud en bobine a augmenté de 17,8 %, les ronds à béton de 12,8 %. L’aluminium, les fils de cuivre, le laiton en lingot ont aussi enregistré des hausses de 10 à 40 % ces derniers mois.
La pénurie de matières essentielles à la fabrication de mélanges chimiques affole également le secteur du bâtiment, et pourrait avoir des conséquences dans la livraison en temps et en heure des chantiers déjà lancés. Les secteurs des peintures, encres, couleurs, colles et adhésifs et autres produits de préservation du bois sont directement touchés.
Comme la plupart des matériaux de construction, le verre, et par conséquent les vitrages, est touché par une hausse des prix et une pénurie sans précédent. Le 17 mars 2021, la cinquième hausse depuis le mois de juin 2020 a été enregistrée : les prix s'envolent et les particuliers font face à une hausse des prix de plus de 30%. Les délais de livraison des fenêtres sont ainsi fortement rallongés, entraînant par ricochet des difficultés dans la livraison des chantiers.
Qui est touché?
Les entreprises de construction dont les carnets sont remplis depuis la reprise de l'activité sont fortement touchées par cette pénurie de matériaux. Les retards de livraison et l'indisponibilité de certaines matières premières risquent d'empêcher la poursuite de certains chantiers et d'occasionner une perte importante de chiffre d'affaires. La pénurie frappe également la filière des travaux publics, déjà secouée par les conséquences de la crise sanitaire. La Fédération nationale des travaux publics (FNTP) s'en est émue dans un communiqué, daté du 21 avril, et craint que ces tensions sur les matières premières ne perturbent la relance économique.
Les magasins de matériaux de construction sont eux aussi concernés par l'indisponibilité des matériaux et les retards de livraison. Chez Big Mat Camozzi, magasin de matériaux de construction toulousain contacté par la Dépêche, la pénurie se fait ressentir sur certains produits : "On voit la différence au niveau de l'approvisionnement en bois et en acier". La situation est tout aussi préoccupante chez Colomiers Matériaux comme l'explique l'une des employées : "Au magasin, on voit surtout la différence au niveau du bois et tout ce qui est bois de charpentes. On a aussi de moins en moins de contreplaqué"
Mais l'inquiétude principale vient des délais de livraison qui s'allongent sans fin : "Chez nous, c'est surtout le temps d'attente qui change la donne... Les fournisseurs sont dépassés par les évènements et les délais se rallongent" déplore l'un des salariés de Big Mat Camozzi. "Nos fournisseurs nous ont avertis d'une première hausse des prix des matériaux en mars-avril et je viens d'être informée d'une seconde hausse courant mai" s'alarme-t-on chez Colomiers Matériaux.
Alors les Français se sont pris de passion pour la rénovation de leur logement et le bricolage, ils vont subir une hausse significative dans les magasins spécialisés. Il sera surtout de plus en plus compliqué de s'y procurer certains matériaux.
Quelles seront les conséquences à moyen terme ?
La hausse des prix des matières premières occasionnera inévitablement une forte baisse de la consommation des produits de bricolage et autres matériaux de construction, le pouvoir d'achat des Français ne suivant pas vraiment la même courbe ascendante. De quoi menacer le chiffre d'affaires des enseignes spécialisées
Les chantiers de construction, et donc les livraisons de logement par exemple, pourraient, elles, prendre du retard, voir leur coût bondir et mettre en difficulté de nombreux ménages.
Pour les professionnels de la construction, l’augmentation des prix des matériaux ne peut pas être répercutée sur les devis déjà signés, ils vont donc devoir absorber par eux-mêmes cette hausse. Autre problème majeur pour eux, les retards de livraison de chantier entraîneront des pénalités de retard, ce qui les fragilisera encore un peu plus.
Comme l'explique Le Figaro, la Fédération française du bâtiment (FFB) a écrit au ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, pour lui demander "d'actualiser les prix à la hausse ou à la baisse suivant la fluctuation des prix des matériaux dans les mois qui viennent". Il est également demandé aux autorités de "geler les pénalités en cas de pénurie de matériaux avérée". Olivier Salleron, le président de la FFB citée par le quotidien, espère une stabilisation de la situation "dans 6 mois, le temps que les chaînes de production soient remises à 100%" à condition que le gouvernement français et l'Europe viennent soutenir le secteur.
Source La Dépêche du Midi par Agathe Albouy