Un étrange objet en forme de sous-marin s’est échoué au pied des cheminées de la cimenterie LafargeHolcim de Belmont-d’Azergues (Rhône). Avec ses 23 partenaires (industriels, écoles, fédérations professionnelles…) du projet Fastcarb, le géant des matériaux de construction teste des solutions pour réduire l’empreinte carbone du béton. Le sécheur à lit fluidisé installé dans cette cimenterie située au nord de Lyon reproduit en accéléré l’effet puits de carbone des bétons vieillissants. Il teste l’absorption du CO2 de process par la pâte de ciment hydratée des granulats de béton recyclé.
"Il s’agit d’améliorer la qualité des granulats par le colmatage de la porosité et de diminuer l’impact CO2 du béton dans les structures", résume Raoul de Parisot, le président de Fastcarb. Ce projet de recherche, prévu pour durer jusqu’en 2021, n’est que l’une des briques mises en œuvre par les acteurs de la filière pour aller vers des ciments et des bétons plus verts.
Changement de recette
Fabriquer du ciment, c’est "faire l’inverse de ce que fait la nature, qui produit du carbonate de calcium en associant le calcium au CO2. L’industrie cimentière, en cuisant du calcaire et de l’argile ensemble, dissocie le CO2 du calcium. Pour qu’il y ait combustion, il faut brûler un produit organique", explique Laurent Izoret, le directeur délégué des produits et applications de l’Association technique de l’industrie des liants hydrauliques. Résultat, le secteur émet environ 7 % des gaz à effet de serre mondiaux et un peu moins de 3 % des émissions françaises. Pour réduire cette empreinte, deux leviers sont actionnés : modifier la composition des ciments (la décarbonatation du calcaire représentant 60 % des émissions) et recourir à des combustibles de substitution (40 %).
Outre la carbonatation accélérée du projet Fastcarb, la recette du ciment peut être modifiée en choisissant des ingrédients plus « verts ». Le ciment Portland, la référence de base, résulte de la cuisson d’un mélange de 80 % de calcaire (contenant 44 % de carbone) et de 20 % d’argile. Broyé et préchauffé, le cru (mélange de calcaire et d’argile) est cuit à 1 450 °C dans un four rotatif. Ce procédé émet 850 kg de CO2 par tonne, un chiffre que la profession entend faire chuter à 130 kg en 2050.
Depuis une trentaine d’années, des ciments sont développés à base de laitiers de hauts-fourneaux, de pouzzolane, de cendres volantes, de fumée de silice ou de schiste calciné, avec un même objectif : abaisser la part du clinker (produit de la cuisson des constituants du ciment à la sortie du four, avant broyage). "Une plus faible teneur en clinker, une consommation d’énergie en baisse pour la calcination par rapport au clinker et le fait que le calcaire n’a pas besoin d’être chauffé devraient contribuer à réduire les coûts de production", estiment les promoteurs du projet de recherche suisse LC3, qui associe 50 % de clinker avec un mélange de calcaire et de métakaolin. À condition que les normes autorisent l’utilisation de ces nouveaux ciments. Le processus de normalisation du CEM-II/C-M et du CEM-VI (contenant respectivement moins de 64 % et moins de 50 % de clinker), reste bloqué, quand bien même la norme est prête depuis quatre ans.
Dans les méandres européens
"Dans le cadre de la réglementation européenne des produits de la construction, le mandat constitue la demande de normalisation de la Commission européenne auprès du Comité européen de normalisation (CEN), décrypte Xavier Guillot, le responsable certification produits et veille normative chez LafargeHolcim. Or, depuis la mi-2019, la Commission s’interroge sur la légalité de la procédure de révision du mandat, dont l’objectif est d’introduire les nouveaux types de ciment. Toute révision de la norme des ciments courants s’en trouve bloquée. De technique, le sujet est devenu juridique. Mais le problème est plus profond encore, car la plupart des normes harmonisées récemment révisées, techniquement robustes, sont non applicables car pas citées au “Journal officiel de l’Union européenne”, par manque de conformité, selon la Commission. Le document technique devrait bientôt partir à l’enquête CEN. Si les pays votent positivement, on pourrait avoir un nouveau document normatif".
Parallèlement, chaque cimentier développe sa stratégie pour verdir ses gammes. En France, Ciments Calcia, filiale du groupe allemand HeidelbergCement, a classé ses ciments vendus en sac par usage, pour sensibiliser les professionnels du bâtiment. Certains affichent une empreinte carbone jusqu’à 40 % inférieure à celle d’un ciment Portland. Vicat vise la neutralité carbone sur sa chaîne de production d’ici à 2050. En France, l’entreprise émettait 657 kg de CO2 par tonne de ciment en 1990, contre 557 kg en 2019, et table sur 540 kg d’ici à 2030. À l’échelle mondiale, le groupe revendique un taux de substitution des combustibles fossiles de 26 % et souhaite monter à 40 % en 2030. En France, ce taux dépasse 50 % et devrait être de 100 % d’ici à cinq ans.
Pour réutiliser le CO2 et la chaleur fatale de ses cimenteries, Vicat participe également au projet CimentAlgue, porté par l’Ademe, sur la production industrielle de microalgues. Il développe enfin des bétons « biosourcés » et s’implique dans le projet européen OxyFuel, qui teste l’introduction d’oxygène pur dans le four de cuisson du clinker. "De cette façon, les gaz d’échappement sont très purs en CO2, ce qui en facilite le captage. L’objectif est de capter 100 % des émissions carbone d’une cimenterie de manière rentable", précise HeidelbergCement, partenaire du projet.
Hoffmann, des cimenteries sans cheminée ni clinker
À Bournezeau (Vendée), Hoffmann Green Cement a choisi le retour vers le futur : le ciment à froid, comme dans l’Antiquité. Pour décarboner le matériau manufacturé le plus utilisé (150 tonnes produites par seconde dans le monde), il fabrique du ciment sans clinker (composant du ciment issu de la calcination du calcaire et des aluminosilicates, dont l’argile) dans des cimenteries sans cheminées. Pour cela, la start-up utilise des coproduits qui ne mobilisent ni carrière d’extraction ni cuisson à haute température. Les laitiers de hauts-fourneaux sont issus de l’industrie métallurgique, les argiles flashées des boues d’argile et les gypses des déblais de chantier.
Hoffmann annonce travailler sur d’autres possibilités. "Dans le cadre des nouvelles réglementations, les industriels vont être incités à valoriser leurs coproduits, se réjouit le président du directoire, Julien Blanchard. Nous créons notre recette avec différents composants, puis elle passe dans un mélangeur où nous ajoutons des activateurs et des suractivateurs, fruits de notre technologie brevetée." La réaction est alcaline et crée des liaisons covalentes entre les composants de la pâte.
Selon sa fiche de déclaration environnementale et sanitaire, le H-UKR, l’une des trois références d’Hoffmann, n’est pas du ciment mais un "liant minéral à base de laitier suractivé". Ce qui lui permet d’être vendu sur le marché malgré les normes régissant la composition du ciment. À 188 kg de CO2 par tonne, contre 850 kg pour un CEM-I, son bilan carbone est divisé par cinq par rapport à un Portland classique. Les 25 premières tonnes de H-UKR ont été livrées à la fin 2018. En 2019, la PME a tenu son objectif de production et de vente de 1 000 tonnes de ciment. En 2024, elle vise une capacité de 550 000 tonnes par an, 3 % de parts de marché en France et 120 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Julien Blanchard estime que "la réglementation environnementale 2020 contraindra l’ensemble des acteurs de la construction à bâtir plus vert". Grâce aux 74 millions d’euros levés en Bourse en octobre 2019, Hoffmann Green Cement (qui tire son nom de celui de son directeur scientifique, David Hoffmann) va ouvrir deux usines d’une capacité de 250 000 tonnes chacune, pour un investissement total de 25 millions d’euros. La première au second semestre 2022 à proximité immédiate de l’usine vendéenne actuelle, la seconde en Ile-de-France au premier semestre 2023.
Source L'Usine Nouvelle
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