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10/09/2019

Matériaux biosourcés, saison 1 : de la terre crue à Nanterre, l’eusses-tu cru ?

Très largement utilisé dans le monde depuis des millénaires pour construire nos maisons, oublié depuis un demi-siècle, le pisé s’offre aujourd’hui un (timide) retour à Nanterre, à l’ombre des tours de la Défense. Pour la saison 2, à Montélimar, on palpera de la pierre. Massive !

Une galette ocre coiffée d’un nuage brillant. À Nanterre, le groupe scolaire Miriam-Makeba, qui vient d’accueillir ses premiers enfants, détonne dans le paysage : derrière, austère, la Préfecture des Hauts-de-Seine, gigantesque barre moderniste (1965, André Wogenscky) ; là-bas, les tours de la Défense marquent l’horizon. Et au milieu, ce petit bâtiment « ancré au sol par son fondement en terre crue, suspendu au ciel par l’immatérialité de sa vêture inox », décrit, lyrique, l’un de ses architectes, Olivier Méheux, de l’agence TOA.

Laissons-lui sa « vêture » des parties hautes, qui relève d’un choix esthétique plutôt bienvenu par son opposition formelle avec le socle lourd de matière brute. À la nuance près – si l’on va au bout de l’intention écolo qui prétend porter ce projet – du coût énergétique de l’inox. Passons.

« Une école ancrée au sol par son fondement en terre crue, suspendue au ciel par l’immatérialité de sa vêture inox », TOA Architectes.

La terre crue, en revanche, intrigue. À la fois lisse (au doigt) et rugueuse (à l’œil), elle se montre telle qu’on l’a montée : par strates successives, comme des lasagnes un peu irrégulières tassées entre deux banches (coffrages), puis démoulées dés la dernière couche. Une technique vieille comme l’humanité, ou presque, juste détrônée depuis soixante-dix ans par l’apparition de matériaux industriels – parpaings de ciment, béton armé, acier… – bien pratiques, mais terriblement gourmands en énergie et matières premières.

Un matériau millénaire

Appelée adobe, pisé, bauge, cette technique de terre dite « crue » – en opposition à la terre cuite, très largement utilisée pour les briques ou les tuiles – abrite encore quelque 30 % de l’humanité. On a tous en tête les merveilleuses villes en terre crue du Yémen, la citadelle de Bam en Iran, la mosquée de Tombouctou au Mali… Protégé de la pluie, le pisé, réparable à l’infini avec de faibles moyens, dure éternellement. Souple, il encaisse bien les secousses telluriques.

En France, le pisé, ou les briques d’adobe, constitue toujours une grande partie du bâti rural. Notamment dans les vallées de la Saône et du Rhône, dans le Dauphiné, l'Auvergne, la Bourgogne. En Bretagne aussi, en Normandie, dans le Midi toulousain. La ville de La Roche-sur-Yon, détruite après la Révolution lors des redoutables guerres vendéennes, a même été reconstruite avec ce matériau sous l’impulsion d’un certain François Cointereau (1740-1830), architecte, ingénieur, grand défenseur de ce système « solide et économique »… Ce qui n’eut pas l’heur de plaire à l’Empereur, qui taxa son œuvre de « ville de boue ».

Un matériau d’avenir
Construire « avec de la boue » a-t-il un sens dans la métropole de demain ? Définitivement : oui. Le projet de l’école Miriam-Makeba en donne un avant-goût prometteur, même si les architectes – et surtout les maîtres d’ouvrage – se sont hélas arrêtés en chemin. La terre crue de leur bâtiment n’est pas structurelle : elle n’en constitue pas les murs, elle ne sert qu’à remplir des vides laissés par le squelette « poteau-dalle » en béton du bâtiment. Il paraît que les élus avaient peur que la commission de sécurité – ou les parents électeurs ? – y trouve à redire. Et tant pis pour le bilan carbonne, l’audace, l’innovation…

D’un côté, un mur de terre, pour « faire joli » et réguler l’atmosphère, mais tout le reste est en béton.

Autre « timidité » de ce projet : les 300 tonnes de terre utilisées à l’école Miriam-Makeba viennent d’une carrière homologuée pour l’extraction d’argile à destination des briquetteries, près de Beauvais, et non pas, comme on pourrait le rêver dans le cadre d’une économie circulaire, du site même, qui a été bien bouleversé par les travaux, ou de chantiers alentours. Encore moins du percement, à quelques kilomètres de là, des tunnels du Grand Paris Express. Pourtant, on estime que la construction du super métro devrait « dégager », au sens propre, quelque 43 millions de mètres cubes de terre d’ici à 2030. Dans l’état actuel de la réglementation, ce « rebut » est considéré comme un déchet qu’on envoie par camions dans des décharges en Seine-et-Marne ou dans l’Oise…

En attendant que nos décideurs ne retombent les pieds sur terre, dans les classes de l’école Miriam-Makeba ces imposantes cloisons de 3 mètres de haut sur 6 de long et 30 centimètres d’épaisseur apportent… beaucoup de douceur. Matériau « perspirant », la terre crue, par sa porosité et son inertie, amortit les sons et tempère l’humidité et la fraîcheur. Cet été, lors de la canicule, le gardien n’a jamais souffert de la chaleur. Belle au regard avec ses fines strates irrégulières, la terre crue possède une ultime qualité : elle sent bon.

Source Telerama par Luc Le Chatelier 

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