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19/11/2016

Afghanistan: les ouvriers de la brique esclaves à vie

En Afghanistan, certains sont milliardaires alors que d’autres ne pourront jamais sortir de la pauvreté, à l’image de ceux qui travaillent dans les briqueteries. Du lever du jour au coucher du soleil, Dil Agha travaille dans un four à briques à la périphérie de Kaboul, la capitale afghane. Pourtant, il restera endetté jusqu'à la fin de sa vie. Il ne pourra jamais rembourser au propriétaire du four le prêt de quelques milliers de dollars que celui-ci lui accordé pour une urgence familiale. Des dettes que ses enfants devront assumer même après à sa mort.

Le sort de la famille de Dil Agha âgé de 23 ans est le même que celui des membres de centaines de familles afghanes qui vivent dans conditions incroyablement difficiles. Ne pouvant jamais échapper à leurs dettes, ils restent pauvres pendant des générations, fournissant à leurs patrons une main-d’œuvre constante à moindre coût. La Commission afghane indépendante des droits de la personne (AIHRC) n’hésitent pas à les définir comme les «esclaves du 21e siècle».

Rafiullah Baidar, le porte-parole de l'AIHRC, l’affirme aux journalistes d’Associated Press: «Ils sont comme des prisonniers, mais cette situation est une violation complète de leurs droits humains» les plus élémentaires, comme l’accès à l'éducation ou aux soins de santé et à des conditions de travail décentes. Car peu éduqués, peu formés et mal soignés, ils ne peuvent pratiquement jamais échapper à leurs conditions.
Pourtant, au cours des quinze dernières années, l'Afghanistan, pour combattre l’insurrection talibane et reconstruire le pays après des décennies de conflit, a reçu plusieurs milliards de dollars d'aides des Etats-Unis. Et plus de 70 pays se sont réunis à Bruxelles en octobre et se sont engagés à donner treize milliards d'euros pour couvrir les besoins de financement du pays durant les quatre prochaines années. En contrepartie des fonds accordés, l'Afghanistan doit mettre en œuvre un certain nombre de réformes politiques, économiques et sociales.

Neuf photos de Rahmat Gul datées d’octobre 2016 illustrent ce propos.
Alors que les fours à briques
rapportent à leurs propriétaires des millions de dollars par an, la loi ne fait rien pour améliorer la situation de personnes surendettées. Et le gouvernement ne veut pas intervenir par peur de se mettre à dos les riches prêteurs. Aucune solution n’est cherchée, aucune proposition n’est faite pour améliorer leur sort. Le vide juridique permet aux propriétaires de continuer cette pratique sans être inquiétés.
La plupart des travailleurs dans les briqueteries

viennent des villages pauvres de la province orientale de Nangarhar (à l’Est). Près de 80% des enfants des briquetiers travaillent aussi. Certains d’entre eux ont à peine 5 ans, alors que la loi interdit aux enfants de moins de 14 ans de travailler. La plupart d’entre eux n’ont aucune protection médicale, pourtant certains souffrent des maladies respiratoires, d’une croissance osseuse altérée et d’arthrite.
Mais comme le déclare l’Organisation internationale du travail (OIT),
interdire le travail des enfants dans les briqueteries s’avère très difficile, car «cela ne ferait que détériorer les conditions de vie des personnes concernées en reléguant ces pratiques dans la clandestinité». Les parents sont dépendants du revenu de leurs enfants pour pouvoir rembourser la dette qui les maintient dans la servitude.
Le propriétaire du four vient aussi de la région de Nangarhar.

Il a prêté de l’argent à tous ceux qui en avaient besoin puis a offert des emplois pendant la saison chaude (avril à octobre) afin que ses employés puissent rembourser leurs prêts. Mais le salaire dépend de la productivité. Il ne dépasse pas 15 à 23 dollars par jour.
Quand les briquetiers retournent dans leurs villages en hiver,
leur patron leur fait des avances sur salaires afin qu'ils puissent acheter suffisamment de nourriture et se chauffer pendant les mois d'hiver. Mais résultat, quand ils reviennent travailler au printemps, ils doivent encore plus d’argent.
En réalité, la situation est encore plus complexe.
Le terrain occupé par les 442 briqueteries de Kaboul est détenu par les oligarques et les anciens chefs de guerre afghans. Et ils se moquent de respecter les lois. A Deh Sabz, au nord-est de Kaboul, les 350 fours du district produisent en moyenne 700.000 briques par mois, soit 245 millions de briques pour les six mois que dure la saison. Avant cuisson, les briques coûtent 7,5 dollars les 1.000, mais une fois cuites, elles valent 48 dollars les 1.000. Un immense profit pour les seigneurs de la guerre.

Le seul organisme de réglementation
à s’occuper des fours des briqueteries est l'Agence nationale de protection de l’environnement et cet organisme s’occupe donc logiquement… de protéger l'environnement et seulement cela. Si les fours ont été déplacés hors de la ville pour lutter contre la pollution de l’air, pour Dil Agha, c’est le cadet de ses soucis.
Il y a quatre ans,
Dil et ses frères ont emprunté 6.100 dollars pour pouvoir payer un traitement médical à leur grand-mère et à une de leur sœur qui s’était cassé la jambe. Ils n’ont pour l’instant réussi à rembourser que 1.500 dollars. «Mon petit-fils n'a pas d'avenir. Quand il sera grand, il sera obligé de faire des briques pour m’aider à rembourser… Si je n’étais pas endetté, je pourrais l’envoyer à l'école et son avenir ne serait pas déjà gâché», précise la grand-mère.
Alifa a 65 ans.
Elle travaille dans un four de Deh Sabz pour aider son mari Gul Asgher et son fils de 28 ans Anwarullah qui doit rembourser un prêt de 1000 dollars. Elle a sept autres enfants et 12 petits-enfants. «Nous
n'avons rien. Nous avons tant de problèmes au milieu de cette boue et cette poussière», dit-elle. Nader, un ancien officier de l’armée afghane, devrait toucher une retraite de militaire. Mais en Afghanistan, un des pays les plus corrompus au monde, il faut payer un bakchich pour la toucher.
Source Geopolis par Laurent Filippi

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