Les 9.500 collaborateurs français d'Alcatel-Lucent s'interrogent sur leur sort. Lors d'une vidéo-conférence, le patron du groupe, Ben Verwaayen, a évoqué la semaine dernière les difficultés économiques de cet équipementier télécom. Mais aucun détail n'a filtré concernant l'annonce, le 26 juillet dernier, de 5.000 suppressions de postes dans le monde. La direction se dit contrainte au silence, pour cause de procédure et sous peine de délit d'entrave. Mais l'inquiétude grandit. « La nature ayant horreur du vide, le silence de la direction est compensé par les rumeurs », dévoile Stéphane Dubled, délégué CGT d'Alcatel-Lucent.
En cet automne où la barre des 3 millions de chômeurs est franchie, les plans sociaux se succèdent, de France Télévisions à la FNAC, de Carrefour à SFR, Air France ou Sanofi. Certains se déroulent sans heurts. D'autres, dans un fracas médiatique, comme Doux ou Fralib. Avec pour point commun, aux yeux des salariés, un déficit de communication. « Nous avons lancé des alertes. Mais l'entreprise nous a tout caché. Les journalistes étaient plus au courant que nous ! On s'est fait rouler dans la farine ! », déplore Jean-Luc Guillart, délégué CFDT chez Doux. Des regrets aussi chez PSA : « La direction aurait pu jouer davantage la transparence. Pendant des mois, il y a eu un black-out total sur la communication aux dires mêmes du PDG qui ne souhaitait pas que le plan de PSA devienne l'otage de la campagne présidentielle », raconte Jean-François Laborde, délégué syndical CFE-CGC de PSA à Vélizy.
Or en cas de séisme social, la communication interne devient clef. Pour preuve ? « Les plans sociaux ne représentent qu'une goutte d'eau au regard des emplois supprimés à l'échelle nationale, estime Jean-Christophe Alquier, cofondateur de l'agence de communication Ella Factory. Et pourtant, ils choquent davantage. Car ce qui compte, c'est ce qui se sait. »
D'où l'intérêt, pour l'entreprise, de savoir en parler. « Un plan de sauvegarde de l'emploi dont les motifs ne seront pas compris par les équipes risque de générer un profond ressentiment, observe Jean-Claude Delgènes, directeur général de Technologia. Il faut communiquer de manière précise et rigoureuse pour éviter les fantasmes et les scénarios dramatiques. Etant donné que les salariés se sont investis, ils doivent comprendre pourquoi on en est arrivé là. » Une démarche sur mesure : chaque société a une culture, chaque PSE a son histoire.
Souvent, l'erreur des dirigeants est de n'avoir pas préparé le terrain. « Il est rare que les restructurations visent la mort de l'entreprise, elles servent au contraire à la sauver ! Cacher la vérité est le meilleur moyen de se prendre les pieds dans le tapis », affirme Xavier Tedeschi, fondateur du cabinet de conseil Latitude RH et auteur du livre : « Et moi, je fais quoi ? » (Editions du Palio).
Des procédures à suivre
Le tapis est glissant. Chez Alcatel-Lucent, l'absence de réponses a jeté le doute sur la stratégie du groupe : « L'entreprise a déjà été éprouvée par les plans sociaux. Les salariés subissent les réorganisations et leur point de vue n'est pas pris en compte, commente Stéphane Dubled. L'heure est à la défiance. » Le ressenti est sombre aussi chez PSA : « A Vélizy, l'angoisse est palpable et nous craignons les risques psychosociaux », observe Jean-François Laborde.
Défiance et angoisse ne sont pas sans risque. « Dans une entreprise qui va mal, les gens tendent à se recentrer sur leur coeur de métier : elle devient moins agile.Les salariés peuvent alors avoir peur, se démotiver ou même s'en aller », affirme Guillaume Aper, président de l'Association française de communication interne (AFCI). Toutefois, communiquer n'est pas simple. « Parfois la direction de la communication n'a pas l'information car celle-ci est confidentielle, parfois la loi ne l'autorise pas à en parler avant la tenue d'un comité d'entreprise », poursuit-il. Exemple chez PSA : « Entre communication interne et externe, la frontière est ténue. Et la durée de vie d'une information est de plus en plus courte. Et pour communiquer nous sommes tenus par des obligations légales », assure la direction.
Sans cesse, les fuites menacent. « Le but est d'attirer l'attention des médias par des scoops pour mobiliser les politiques. L'enjeu est de prendre la parole le premier », juge Jean-Christophe Alquier. Bilan : la communication interne est souvent contrainte de réagir et non d'agir.
Car les informations se propagent instantanément. Mercredi dernier, les discussions entre syndicats et dirigeants de PSA à Poissy sur la revitalisation du site d'Aulnay-sous-Bois étaient relayées sur Twitter. « Twitter ou pas, Facebook ou pas, SMS ou non, les armes ne sont pas égales. L'entreprise ne doit pas risquer d'enfreindre la procédure d'information consultation, et doit respecter le calendrier fixé par le législateur. Les représentants du personnel, eux, ont moins de contraintes », note Marie-Céline Terré, fondatrice de l'agence Ozinfos.
Et pour que la tempête médiatique ne reflète pas le ressenti en interne, mieux vaut prendre la main. C'est donc une course de vitesse. « Il faut se préparer. Tenir des communiqués prêts à être diffusés, dès le comité d'entreprise terminé », assure Guillaume Aper.
Paradoxalement, le temps des négociations est long. « Pour les salariés, c'est une lente agonie », confie un dirigeant. Un no man's land qu'il faut meubler. « Si l'on ne peut pas s'exprimer sur les chiffres, on peut, en revanche, communiquer sur la manière dont on va procéder pour négocier, en détaillant les accords de méthode ou le calendrier », estime Jean-Christophe Alquier.
Motiver les « survivants »
Autre impératif salutaire, mettre le cap sur l'avenir. « Même en période noire, une entreprise a des projets. Il est vital de garder le moral », déclare Guillaume Aper. Notamment pour les « survivants » qui doivent rester motivés. « A terme, la communication doit montrer l'exemplarité de l'entreprise à trouver des solutions pour recréer des emplois, en défendant un bassin de vie avec les collectivités locales. Elle peut aussi dévoiler la réussite d'anciens et démontrer, ainsi, qu'il y a une vie après l'entreprise. Cela déculpabilise ceux qui restent et le traumatisme est moindre », explique Jean-Claude Delgènes.
C'est un travail de longue haleine et de tous les instants. « Il faut, régulièrement, des relais de communication sur le terrain pour dissiper les inquiétudes en comprenant leur nature exacte », souligne Guillaume Aper. Quitte à former les managers pour « ne jamais les laisser sans message, note Xavier Tedeschi. Car s'ils se murent dans le silence, les salariés se tournent vers les syndicats ou vers l'extérieur, et la direction perd la main. » Et un DRH de résumer :« Le maître mot est de rassurer, de donner du sens et de la visibilité pour expliquer comment on voit l'avenir ».
Source Les Echos par Laurance N'kaoua
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