L’Autorité de la concurrence a adressé une notification de griefs à Saint-Gobain Isover, à sa maison mère Saint-Gobain, au Centre technique et scientifique du bâtiment et au syndicat FILMM.
C’est le récit d’une guerre économique d’une rare violence que retrace l’Autorité de la concurrence dans la notification de griefs qu’elle a adressé au cœur de l’été aux acteurs du dossier relatif au marché des produits d’isolation thermique des bâtiments. Selon ce document, auquel « Les Echos » ont eu accès, il est fait grief à Saint-Gobain Isover, au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et au syndicat national des Fabricants d’isolants en laines minérales manufacturés (FILMM) « de s’être échangé, entre mars 2002 et mars 2007, des informations stratégiques et confidentielles ». L’enjeu ? Préserver la position dominante des produits épais, à base de laines minérales, sur un marché de l’isolation de plus de 1 milliard d’euros en plein boom du fait des normes imposées aux bâtiments. Et ce au détriment des isolants à couches minces.
Empêcher « le libre jeu de la concurrence »
Selon les rapporteurs auprès de l’Autorité, ces informations échangées ont « réduit l’incertitude nécessaire au libre jeu de la concurrence » et ont conféré à ces acteurs « un avantage dans la concurrence, sans pour autant améliorer la transparence du marché ». Leur conclusion est que ces pratiques « ont eu pour objet et pour effet d’empêcher le libre jeu de la concurrence et sont contraires aux articles L.420-1 du code de commerce et 101 TFUE [traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, NDLR] ». Elles exposent les parties concernées à des amendes, qui pourraient être d’autant plus importantes que le groupe Saint-Gobain s’est vu également notifier le grief au titre de maison mère d’Isover. Mais, avant que l’Autorité de la concurrence ne prenne sa décision, celles-ci ont un délai de deux mois à compter de la notification pour présenter leurs observations. Contactées par « Les Echos », aucune n’a souhaité réagir, arguant du caractère confidentiel de la procédure, tout comme la société Actis à l’origine de l’affaire.
Un feuilleton qui dure depuis 2007
Il s’agit là, en effet, de l’antépénultième épisode d’un feuilleton qui dure depuis... décembre 2007, lorsque cette PME, basée à Limoux, dénonçait dans un courrier à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) l’attitude du CSTB, un établissement public de caractère industriel et commercial (Epic) qui, selon elle, favoriserait les fabricants des produits isolants traditionnels au détriment de ses propres isolants minces multicouches réflecteurs (IMMR). Le CSTB est l’organisme habilité en France à délivrer les agréments techniques européens (ATE) aux produits isolants. Depuis le début des années 2000, la société Actis cherche ainsi à faire reconnaître les performances techniques de ses IMMR. Mais la délivrance d’un ATE passe par l’élaboration d’une CUAP (« common understanding of assessment procedure »), position commune sur les critères d’évaluation d’un produit au sein de l’Organisation européenne de l’agrément technique, l’Oeat. L’ensemble de la réglementation thermique se réfère en effet à une norme définie en 1983. Or, celle-ci est basée sur une méthode de mesure de la résistance thermique qui fait l’objet de nombreux débats quant à sa pertinence pour évaluer les performances des produits isolants. Et c’est précisément de la résistance thermique mesurée dont dépend l’égibilité des produits aux différents dispositifs d’aides, de l’éco-prêt à taux zéro aux crédits d’impôts en passant par les certificats d’économie d’énergie et donc, leur avenir commercial.
Echange d’informations
C’est dans ce cadre, a constaté l’Autorité de la concurrence en instruisant le dossier, que « le CSTB, le FILMM et Saint-Gobain Isover ont échangé entre eux des informations », alors même que « le CSTB apparaît comme le principal rédacteur de la CUAP » et que la demande d’ATE d’Actis est en principe confidentielle. De quoi s’interroger sur la mission de service public du CSTB. D’autant que, rapporte l’Autorité, « en septembre 2006, à l’époque où les pratiques relevées ont été mises en œuvre, Saint-Gobain Isover soulignait qu’il y avait lieu d’engager des “actions afin de combattre les produits multicouches réflecteurs et de stopper leur progression” ». Mais, comme dans le combat de David contre Goliath, le plus fort pourrait finalement être terrassé par le plus faible en apparence. Au vu de cette notification de griefs de l’Autorité de la concurrence, la persévérance et l’opiniâtreté d’Actis pourraient bien finir par payer... et coûter cher aux puissants.
Source Les Echos par ANTOINE BOUDET
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