L'industrie est en ébullition, avec toute cette série de fusionsacquisitions. Est-ce un hasard de calendrier ou y voyez-vous un mouvement de fond ?
Chez Imerys, comment avez-vous traversé cette crise avec votre forte implantation française ?
La France représente un peu moins de 15 % de notre chiffre d'affaires, 17 % des effectifs et 20 % de la masse fiscale. C'est important, mais pas suffisamment pour que la prospérité du groupe en dépende. Au-delà de la production de tuiles en terre cuite, une partie de nos activités en France consiste à extraire des minéraux pour les transformer et les exporter dans le reste du monde.
Là, le coût du travail n'est pas le premier déterminant de la compétitivité. Cela dépend surtout de la qualité de la ressource minière, des technologies, des procédés et de la capacité de développer des produits correspondant à de nouveaux besoins.
Nous avons élevé l'ambition interne du groupe en matière de R&D en se donnant comme objectif d'atteindre 700 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2016 avec des produits nouveaux. Nos ventes de produits de moins de cinq ans en 2013 ont atteint 333 millions d'euros, soit un peu moins de 10 % du chiffre d'affaires total. Nous sommes donc en marche vers notre objectif 2016. Nous avons par ailleurs reconnu que le potentiel d'acquisition changeait de nature, pour passer à des opérations de taille plus importante comme Amcol ou les Talcs de Luzenac. Le but est de donner à Imerys un profil plus rémunérateur et plus exposé aux secteurs en croissance.
Vous investissez dans le pétrole et le gaz de schiste aux Etats-Unis. Etes-vous toujours aussi optimistes sur leur développement ?
Nous sommes toujours aussi optimistes depuis le lancement de notre investissement il y a deux ans. Sur les 3,3 % d'augmentation des volumes que nous avons annoncés pour le premier trimestre, un tiers vient de notre usine de « proppants » aux Etats-Unis, des petites billes utilisées pour maintenir ouverte la roche fracturée. Ce n'est pas négligeable. L'exploitation du pétrole de schiste n'est pas qu'un feu de paille parce que les Etats-Unis ont des ressources phénoménales et qu'ils apprennent à mieux les exploiter.
C'est un peu plus qu'un hasard de calendrier. Cela peut paraître contre-intuitif mais beaucoup d'entreprises se sont renforcées au cours de la crise, en améliorant leur base de coûts et leur structure financière à force d'efforts de restructuration. Elles sont parées à repartir à la manoeuvre. Dans un environnement où le financement est redevenu possible, on assiste même parfois à des acquisitions acrobatiques à des valeurs élevées. A nouveau, on constate des facilités dans les conditions de financement qui risquent de créer une bulle spéculative. Ce que je ressens assez nettement, c'est que ces multiples élevés empêchent même déjà certaines opérations ciblées de taille moyenne de se réaliser tant le prix des actifs flambe. Il est du coup paradoxalement plus facile en ce moment de conclure de grandes opérations en échangeant des titres.
Y a-t-il déjà une inflation sur les prix ?
Nous l'avons très nettement constaté lors de notre tentative de rachat de l'américain Amcol. Si j'ai proposé au conseil de ne plus surenchérir, ce n'est pas du tout parce que l'opération avait perdu son sens stratégique, mais parce que le niveau de valorisation n'était plus raisonnable par rapport à nos critères. Lorsque nous décidons d'une acquisition, nous estimons qu'à un horizon de trois ans, nous devons être en position de création de valeur, c'est-à-dire que le rendement de l'acquisition doit dépasser le coût des capitaux engagés. La logique de la société qui a racheté Amcol est différente de la nôtre. Notre actionnaire, GBL, représentant Albert Frère et la famille Desmarais, agit comme un investisseur de long terme, avec l'exigence de créer de la valeur sur la durée. Nous ne sommes pas dans la recherche de la taille pour la taille ni sur des indicateurs faciles et de court terme comme le bénéfice par action. Aujourd'hui, n'importe quelle acquisition financée à des taux de 3 à 4 % augmente le bénéfice par action à court terme…
Quel rôle doit jouer l'Etat lorsqu'une grande entreprise française risque de passer sous pavillon étranger ?
Empêcher les choses n'est pas une bonne idée. Lorsqu'une entreprise cède une partie de son activité ou se fait racheter, on ne peut pas s'opposer à ce que cela se passe en France et en même temps inviter les entreprises françaises à faire des acquisitions à l'étranger, comme nous avons cherché à le faire aux Etats-Unis. Il faut aussi prendre en considération le projet industriel. Si deux entreprises se rapprochent pour atteindre une taille critique, comme c'est le cas dans le ciment, alors elles ont probablement de bonnes raisons de le faire. En revanche, l'Etat doit créer les conditions pour qu'il y ait plus d'entreprises françaises en mesure d'acquérir une taille et un leadership qui leur permettent de jouer un rôle de consolidateur. Dans certains cas, comme celui de PSA, l'Etat peut entrer au capital pour aider l'entreprise à traverser des difficultés passagères. C'est ce que nous avions voulu faire au Fonds stratégique d'investissement, que j'ai dirigé. L'Etat n'a pas vocation à être opérateur de ces entreprises, mais plutôt à les accompagner, toujours en minoritaire et en co-investissement. Le meilleur exemple en la matière, c'est Valeo. Cet investissement avait été décrié à l'époque, mais la BPI s'est désengagée il y a quelques mois avec une belle plus-value et surtout un Valeo en pleine forme.
Par le passé, les entreprises françaises se montraient plutôt prédatrices. Aujourd'hui, elles se trouvent en position de proie. Est-ce le signe d'un décrochage ?
Je comprends que le débat soit posé, mais je ne suis pas d'accord avec cette vision fataliste. Regardez la liste des entreprises du SBF 120 : vous y voyez de nombreux leaders mondiaux à base française, comme Imerys. On y trouve des Plastic Omnium, Valeo, Tarkett, SEB, Bonduelle, pour ne citer qu'eux. La France est capable de faire émerger des groupes industriels leaders dans leur domaine. La priorité maintenant, c'est d'enrayer la perte de compétitivité de notre pays, qui est à l'origine de la désindustrialisation. Il a longtemps été impossible en France de dire que nous avions un problème de compétitivité, c'était considéré comme une agression sociale. Maintenant, ce problème a été nommé.
Est-il suffisamment traité ?
Le problème est reconnu et la volonté de le traiter est exprimée. En revanche, les difficultés ne sont pas réglées, car il s'agit de mouvements lents. Il faut retrouver un niveau de coût du travail qui nous remette au milieu du peloton européen et non pas au sommet. Il existe un deuxième aspect dont on commence à peine à prendre conscience, c'est le handicap de la France en termes d'attractivité. Il faut mettre en place de meilleures conditions pour l'exercice des affaires, améliorer la flexibilité, la fiscalité et rendre le pays plus « business friendly ». Le corps social, les habitants de ce pays, doit comprendre que la croissance réside dans la capacité des entreprises à prospérer. Ensuite, nous pourrons parler de redistribution.
Chez Imerys, comment avez-vous traversé cette crise avec votre forte implantation française ?
La France représente un peu moins de 15 % de notre chiffre d'affaires, 17 % des effectifs et 20 % de la masse fiscale. C'est important, mais pas suffisamment pour que la prospérité du groupe en dépende. Au-delà de la production de tuiles en terre cuite, une partie de nos activités en France consiste à extraire des minéraux pour les transformer et les exporter dans le reste du monde.
Là, le coût du travail n'est pas le premier déterminant de la compétitivité. Cela dépend surtout de la qualité de la ressource minière, des technologies, des procédés et de la capacité de développer des produits correspondant à de nouveaux besoins.
La crise a-t-elle poussé Imerys à se réinventer ?
Notre dernière réinvention forte remonte à 1999, avec le passage d'Imetal à Imerys. Les actionnaires, à l'époque, ayant fait le constat que la filière métallique était dans l'impasse, ont choisi de se recentrer sur les minéraux industriels, où ils considéraient que l'industrie était encore à consolider et à développer sur le plan technique. Un des objectifs majeurs du plan que j'ai présenté à mon arrivée, il y a trois ans, consiste à transformer l'entreprise en la rendant plus innovante et en accélérant la croissance interne. C'est ce que nous sommes en train de faire et dont nous voyons les premiers résultats positifs, que cela soit grâce à de nouvelles applications (talc pour l'automobile) ou de nouveaux marchés (« proppants » pour les hydrocarbures non conventionnels).
Nous avons élevé l'ambition interne du groupe en matière de R&D en se donnant comme objectif d'atteindre 700 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2016 avec des produits nouveaux. Nos ventes de produits de moins de cinq ans en 2013 ont atteint 333 millions d'euros, soit un peu moins de 10 % du chiffre d'affaires total. Nous sommes donc en marche vers notre objectif 2016. Nous avons par ailleurs reconnu que le potentiel d'acquisition changeait de nature, pour passer à des opérations de taille plus importante comme Amcol ou les Talcs de Luzenac. Le but est de donner à Imerys un profil plus rémunérateur et plus exposé aux secteurs en croissance.
Déplorez-vous une concurrence déloyale avec des pays comme la Chine qui soutiennent fortement leur industrie ?
Je ne la redoute pas fortement pour Imerys, compte tenu des spécificités de notre métier. Effectivement, un certain nombre de pays émergents ont des politiques favorisant explicitement les industriels locaux, soit par la commande publique, des législations subtiles, par l'absence de protection efficace sur la propriété intellectuelle, par des procédures d'arbitrage devant les tribunaux qui s'ensablent. Cette concurrence déloyale existe et il faut y répondre de façon collective au niveau européen. Chez Imerys, nous sommes vigilants, lorsque nous nous engageons dans un pays émergent, sur notre capacité à déployer notre modèle d'affaires. En Chine par exemple, cela reste difficile pour un groupe comme le nôtre, car les ressources minières sont difficiles d'accès pour les entreprises étrangères. Les pays émergents sont de grand attrait mais ne constituent pas un eldorado en bloc. Il faut bien jauger les zones dans lesquelles il est justifié d'aller, car les conditions d'exercice et l'attractivité peuvent différer d'un pays à l'autre.
La croissance a-t-elle déçu dans les grands pays émergents ?
Effectivement, ces régions ont ralenti depuis quelques mois. Il ne faut plus en attendre 10 % de croissance par an. Cela ne doit pas conduire à brûler ce qu'on a adoré, mais plutôt à être sélectif. Les Etats-Unis, de leur côté, restent dynamiques. L'Europe, après s'être stabilisée en milieu d'année 2013, voit les volumes revenir. Mais ce rebond n'est pas uniforme : il est plutôt tiré par l'Europe du Nord, plus que la France et les pays méditerranéens.
Vous investissez dans le pétrole et le gaz de schiste aux Etats-Unis. Etes-vous toujours aussi optimistes sur leur développement ?
Nous sommes toujours aussi optimistes depuis le lancement de notre investissement il y a deux ans. Sur les 3,3 % d'augmentation des volumes que nous avons annoncés pour le premier trimestre, un tiers vient de notre usine de « proppants » aux Etats-Unis, des petites billes utilisées pour maintenir ouverte la roche fracturée. Ce n'est pas négligeable. L'exploitation du pétrole de schiste n'est pas qu'un feu de paille parce que les Etats-Unis ont des ressources phénoménales et qu'ils apprennent à mieux les exploiter.
En Europe, la crise est-elle derrière nous ?
Je pense que le plus dur de la crise de 2009-2010 est en effet derrière nous. L'Europe a connu cinq trimestres successifs de récession. Le premier trimestre 2014 montre bien les signaux positifs, les volumes commencent à revenir dans un certain nombre de secteurs. En revanche, nous ne sommes pas à l'abri d'un choc financier nouveau. Il peut toujours y avoir une implosion monétaire ou le défaut d'un Etat européen.
Source Les Echos par Ingrid Feuerstein et David Barroux
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